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Nos Lecteurs ont la Parole

La séparation des pouvoirs dans le régime constitutionnel libanais

La séparation des pouvoirs dans le régime constitutionnel libanais

Le Grand Sérail de Beyrouth. Photo Archives CDL

Les recherches comparatives internationales depuis surtout les années 1970 à propos de régimes constitutionnels considérés autrefois de particuliers, « sui generis », recherches entreprises surtout par des sociologues et politologues, n’ont pas débouché sur des travaux plus approfondis, au moyen d’études de cas, sur les « conditions de gouvernabilité normative de ces régimes ».

Des recherches comparatives sur les régimes de « power-sharing », « consociation », concordance, consensus, « proporzdemocratie »… ont été souvent assimilées à une doctrine ou philosophie, comme libéralisme, socialisme, communisme… entraînant nombre d’auteurs, libanais et étrangers, à justifier ou contester, alors qu’il s’agit de « typologie », de « classification » scientifique et méthodologique.

Toute classification dans les sciences de la nature et les sciences humaines doit déboucher, pour la construction d’une théorie, sur des « études de cas » qui déterminent les situations pathologiques et les situations normatives. Les études de cas (Suisse, Belgique, Pays-Bas, Irlande du Nord, Afrique du Sud, île Maurice, îles Fidji, Ghana, Liban…) permettent de déboucher sur une théorisation constitutionnelle qui enrichit et développe les normes générales de classification, avec des variantes qui associent des processus à la fois compétitifs et coopératifs pour la gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel.

Régime d’assemblée ? Régime directorial ? Droit de dissolution de l’Assemblée ? Rôle du chef de l’État ? Quelle forme de gouvernement ? La plupart de ceux, libanais et étrangers, qui se qualifient de constitutionnalistes et qui rejettent les six articles 9, 10, 19, 49, 65 et 95 dans la poubelle du « confessionnalisme », « sectarisme, » « communautarisme »… n’apportent rien à la compréhension du régime constitutionnel libanais. Le discours apologétique en termes de « sîghâ » (formule libanaise) n’apporte rien à une compréhension opérationnelle.

L’incompréhension n’est pas inoffensive. Elle a largement ouvert la voie à des manipulateurs et imposteurs pour justifier des blocages, des abus de majorité ou minorité et institutionnaliser le clientélisme sous couvert de « confessionnalisme », avec la bénédiction d’idéologues de la modernité et d’intellectuels sans expérience. Maxence Unau écrit : « La détermination du critère de classification des régimes politiques et la qualification d’un régime particulier doivent se faire « au regard de l’ensemble des normes incluses dans l’ordre constitutionnel ». Il s’agit de réaménager la classification des régimes politiques, afin de la faire reposer sur des fondements plus rigoureux » (Maxence Unau, Propositions pour une classification renouvelée des régimes politiques, Revue française de droit constitutionnel, n° 136, 2023, pp. 935-955).

Les six articles 9, 10, 19, 49, 65 et 95 sont des « catégories en droit constitutionnel comparé ». Ils se rattachent aux théories du « pluralisme juridique », de « l’autonomie personnelle ou fédéralisme personnel », et de la « discrimination positive ». La Constitution libanaise forme un ensemble qu’il faut « comprendre », c’est-à-dire, suivant l’étymologie latine (« comprehendere »), embrasser dans un ensemble.

Le chef de l’État, roi constitutionnel

Des équilibrages impossibles et incompatibles avec le principe universel de séparation des pouvoirs étaient proposés au cours de la mission d’April Glaspie (18/1 au 26/3 et 10/5/1987) et de la médiation

allemande-européenne-vaticane à l’initiative de Franz Josef Strauss (24/9 au 3/10/1986). Pour sauvegarder la détention à un maronite de la haute magistrature, le nouvel article 49 de la Constitution fait assumer au chef de l’État le rôle d’un roi constitutionnel non héréditaire, qui « veille au respect de la Constitution », pleinement au-dessus de l’idéologie des « salâhiyyât » (attributions). La désignation d’un vice-président (chiite) de la République avait été envisagée.

Au cours du 11e round des négociations libano-syriennes engagées par April Glaspie à Damas, nous avons recensé 14 propositions en vue d’un équilibrage communautaire entre les plus hautes charges dans l’État, le plus souvent en violation du principe universel de séparation des pouvoirs.

A. En ce qui concerne le Conseil des ministres et l’équilibrage

maronite-sunnite :

1. La limitation du vote en Conseil des ministres aux ministres, à l’exclusion du président maronite de la République (8 mars 1987).

2. La réunion du Conseil des ministres sous la présidence du chef sunnite du gouvernement, avec l’exigence d’une majorité qualifiée pour les décisions (15 février).

3. La distinction entre deux types de Conseil des ministres, celui présidé par le président maronite de la République et qui décide de certaines affaires importantes dont la nature est à déterminer, et celui présidé par le chef sunnite du gouvernement. Des objections ont été formulées à l’encontre de cette proposition. Il y a là une source de conflit sur la qualification juridique des projets et sur l’instance habilitée à régler le conflit (15 mars).

4. La réunion du gouvernement sous la forme d’un conseil de cabinet et sous la présidence du ministre orthodoxe le plus âgé, une fois par semaine. Les projets de décrets sont transmis au président de la République et au chef du gouvernement pour approbation (7 avril).

5. L’élection du chef sunnite du gouvernement par la Chambre, ce qui accroît l’influence du chef chiite de l’Assemblée et réduit l’influence présumée du président maronite de la République dans cette désignation (10 mars).

6. La création de six portefeuilles de ministres d’État pour six grandes communautés (maronite, sunnite, chiite, druze, grecque-catholique et grecque-orthodoxe), la communauté arménienne étant souvent exclue. Ces six ministres d’État forment un conseil qui statue sur les affaires importantes. En cas de conflit, ces affaires sont transmises au Conseil des ministres (3 février).

7. L’équilibrage par les bâtiments grâce à la réunion du Conseil des ministres au Sérail, siège de la présidence sunnite du gouvernement et non pas au palais de Baabda, siège de la présidence maronite de la République, de sorte que le Conseil des ministres ait un bâtiment indépendant avec des fonctionnaires qui en relèvent directement (2 avril).

B. En ce qui concerne la communauté chiite :

8. La création d’une vice-

présidence chiite de la République (18 janvier 1987).

9. L’affectation d’une vice-

présidence du gouvernement à la communauté chiite (18 janvier).

10. La prorogation de la durée du mandat du président chiite de la Chambre pour 4 ans afin d’équilibrer par la durée le décalage tel que perçu au niveau des postes et des attributions. Cette proposition s’est heurtée à l’objection que chaque mandat présidentiel a connu en pratique le même chef du législatif.

11. La signature par le président chiite de la Chambre des décrets relatifs à la nomination du chef du gouvernement et à la formation du cabinet. Cette proposition a été critiquée parce qu’elle enfreint le principe de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif (8 février).

12. La désignation du président chiite de la Chambre en tant que membre du Conseil supérieur de défense (9 février).

13. L’affection permanente du portefeuille ministériel des Finances à un chiite dont le contreseing est exigé pour la promulgation des lois et décrets cosignés par le président de la République et le chef du gouvernement. Cette proposition aurait été refusée par le ministre chiite, Nabih Berri, qui réclame une participation plus effective au sein du Conseil même des ministres (20 janvier et 9 février).

C. En ce qui concerne la communauté druze :

14. La création d’un Sénat dont la présidence est confiée à un druze (17 février 1987).

Les gouvernements libanais  « exécutoires » 

Le gouvernement dans la Constitution de 1926 est qualifié, dans tout le chapitre IV, de pouvoir « exécutoire (sulta ijrâ’iyya) », à la manière des départements exécutoires au ministère de la Justice en vue de l’exécution des décisions des tribunaux. La qualification « exécutoire » est volontairement reproduite dans l’Accord d’entente nationale de Taëf. L’article 95 de la Constitution confirme cette orientation, puisqu’il est dit que « les communautés sont représentées au gouvernement », et non nécessairement des forces politiques, ni des « ahjâm » (volumes) et des « husâs » (parts) !

Les autorités d’occupation du Liban et des collaborateurs internes, sous couvert de « mîthâqiyya » (pacte), entente, unité nationale… ont fait virer les fondements du régime parlementaire mixte ou pluraliste libanais vers un « régime d’assemblée avec des gouvernements mini-Parlements » où la séparation des pouvoirs est violée, avec absence totale de contrôle parlementaire, de toute opposition efficience, et l’institutionnalisation du clientélisme.

Le droit de dissolution de la Chambre

Des travaux sur le régime constitutionnel libanais, quand la perspective n’est ni intégrée ni intégrale, amplifient la portée du droit de dissolution dans un régime parlementaire mixte ou pluraliste. Le droit de dissolution est absent de plusieurs régimes pourtant qualifiés de parlementaires, comme en Norvège. Ce qui importe, c’est la « responsabilité politique » qui doit être garantie au sommet au Liban par le président de la République, « chef de l’État qui veille au respect de la Constitution ».

***

Le fondement universel du principe de séparation des pouvoirs est la « responsabilité du gouvernement » : 1. Devant le Parlement dans un régime parlementaire ou devant le président de la République dans un régime présidentiel, avec des variantes dans les aménagements juridiques, et 2. « Responsabilité gouvernementale d’effectivité » devant les citoyens et l’opinion publique. D’où, dans le régime constitutionnel pluraliste libanais, la qualification originelle des gouvernements de pouvoir « exécutoire (sulta ijrâ’iyya) », et non simplement exécutif, et « représentation des communautés » (art. 95) et non des mini-Parlements qui transforment le régime parlementaire en régime d’assemblée, où toute la responsabilité est diluée, sans opposition effective, dictature camouflée, institutionnalisation du clientélisme et où tout se décide avec des partages de prébendes entre « aqtâb » (élites dirigeantes) au sommet.

Note : éxtrait d’un ouvrage de l’auteur, « La gouvernabilité du Liban », à paraître fin 2024.

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Les recherches comparatives internationales depuis surtout les années 1970 à propos de régimes constitutionnels considérés autrefois de particuliers, « sui generis », recherches entreprises surtout par des sociologues et politologues, n’ont pas débouché sur des travaux plus approfondis, au moyen d’études de cas, sur les « conditions de gouvernabilité normative de...
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