Retour sur des histoires criminelles, anciennes ou plus récentes, qui ont défrayé la chronique tant à Nabeul, en Tunisie, qu’au Liban, à Kirkouk en Irak, à Gizeh en Égypte, en Jordanie et au Maroc. Des pays où la justice est bancale et où des communautés conservatrices et idéologisées sécrètent d’inavouables psychopathies.
La série Dark Minds qui vient de sortir sur Netflix a été commissionnée par Asharq Discovery, écrite par Samir Farhat et Edmund Hedded. Produite par Rebecca Maatouk et Fadi Harb et dirigée par Karim Rahbani, elle met en lumière des tueurs récidivistes à travers des enquêtes méticuleuses, une abondance de documents et de preuves, des interviews de témoins ou de proches, des commentaires de psychologues et responsables sécuritaires.
Mis à part leur totale absence d’empathie, les « serial killers » auxquels s’intéresse Dark Minds ne sont pas comparables avec les criminels des séries américaines. Ils incarnent des cellules malignes de leur propre culture et sont en général les produits de milieux fermés, soumis à des endoctrinements religieux ou idéologiques, victimes d’une marginalisation par rapport à des communautés qui se considèrent plus légitimes, d’une éducation sévère ou au contraire laxiste, de violences, entre autres sexuelles, subies au cours de l’enfance.
La série revient sur le parcours sanglant de criminels qui s’avèrent des révélateurs inversés des problèmes sociétaux propres à leur environnement. Ces tueurs ont en commun un esprit méthodique et imperturbable, une incapacité à percevoir leurs victimes comme des personnes à part entière, aimées par leur entourage, et une absence totale de remords ou de remise en question. Les faits sont reproduits avec objectivité, l’apport des experts interrogés se limitant à les expliquer sans, évidemment, jamais les justifier.
Nabeul, les enfants libres et la moto rouge
Dans le premier épisode, on est au début des années 1980 en Tunisie, à Nabeul, une petite ville où les enfants vivent librement, en toute sécurité. Le malheur arrive sur une mobylette rouge. Un homme s’arrête, demande son chemin vers un autre village, tout proche, fait semblant de ne pas comprendre, convainc un gamin de l’accompagner, et l’enfant ne revient jamais. Treize fois, treize enfants disparaissent de la même manière. Étrangement, les parents ne s’inquiètent pas tout de suite, se disent que le gamin fait l’école buissonnière, jusqu’à ce que de plus en plus d’enfants manquent à l’appel et qu’on découvre finalement des ossements aux abords d’une grotte. Un portrait-robot est enfin constitué grâce à une jeune victime qui a réussi à échapper au tueur. Au fil de l’enquête, on apprend que ce dernier, Naceur Damergi, est né en prison d’une mère prostituée.
Beyrouth, les tueurs de chauffeurs de taxi
La suite à Beyrouth, où se déroulent les deux épisodes suivants. Ils concernent les frères Michel et Georges Tanalian, coupables du meurtre d’au moins onze personnes sur la seule année 2011, en majorité des chauffeurs de taxi tués d’une balle dans la nuque entre Sin el-Fil et Nahr el-Mott. Arméniens originaires de Syrie, les deux hommes appartiennent à une fratrie nombreuse qui semble avoir grandi dans la pauvreté, sous la férule d’un père violent, selon le témoignage d’un voisin. Marginalisés, ils ont peu de liens avec l’extérieur. Lorsqu’ils sont arrêtés, chacun rejette la faute sur l’autre. Dans les interviews filmées pour Dark Minds c’est Michel, l’aîné, le plus mesuré des deux, qui semble piloter Georges, le plus jeune et le plus nerveux. Aucun des deux n’exprime le moindre remords. Achraf Rifi qui était, au moment des faits, directeur général des Forces de sécurité intérieure, se prononce, dans un commentaire pour Dark Minds, en faveur de la peine de mort qu’il considère dissuasive. Les deux tueurs ont été interviewés à la prison de Roumié où ils purgent une peine de condamnation à perpétuité.
Kirkouk et l’ange de la mort
Le 4e épisode se déroule en 2006 à Kirkouk, dans le nord de l’Irak, où un médecin d’origine kurde, recruté par un groupe rebelle, Ansar al-Sunna, joue les anges de la mort quand lui sont confiés des blessés appartenant aux forces de l’ordre irakiennes. Au moment des faits, en 2006, Louai al-Taï n’a que 31 ans. Au début, il se contente de fournir aux rebelles des informations sur les blessés admis à l’hôpital de Kirkouk. Petit à petit, il commence à se livrer à des actes criminels, élargissant les blessures des patients, coupant l’électricité en salle d’opération, ou l’oxygène lors de sa tournée, forçant les doses d’anesthésiant, selon ses aveux recueillis lors de son arrestation. Au total, il aura tué 43 personnes, profitant de ses gardes nocturnes où il était seul maître à bord.
À Gizeh, un escroc sanguinaire
On se retrouve ensuite en Égypte pour un 5e épisode qui s’intéresse à Gaddafi Farag Abdellatif, surnommé « Le Boucher de Gizeh ». Entre 2015 et 2017, cet entrepreneur, sous les dehors d’un homme de foi et de bonne moralité, va tuer quatre personnes entre Gizeh et Alexandrie pour couvrir ses vols. Sa première victime, Reda Mohammad Abdel-Latif, un ingénieur égyptien qui travaille en Arabie saoudite, vient lui réclamer l’argent qu’il a investi avec lui. Farag l’invite chez lui, le drogue et lui fracasse le crâne avec une barre de fer avant de l’envelopper dans un sac de ciment et de l’enterrer dans une fosse creusée à l’intérieur de sa maison. Il tuera par la suite la sœur d’une femme qu’il voulait épouser en secondes noces, puis sa propre épouse et enfin une assistante récemment embauchée, toutes dépouillées de leurs bijoux et enterrées de la même manière, sous le carrelage de sa maison.
À Zarqa, en Jordanie, le meurtrier frappait à la porte
Cap vers la Jordanie, théâtre du 6e épisode où, dans la ville désormais radicalisée de Zarqa, la légendaire sécurité du pays est mise à mal, entre 1994 et 1998, par une série de douze meurtres inexpliqués. Le procédé est le même : un inconnu frappe à la porte, demande un verre d’eau, profitant des mœurs hospitalières du pays. L’inconnu est Bilal Moussa Mohammad, accompagné de sa complice Susan Ibrahim Tawfiq. Il poignarde ses victimes ou les étrangle avec un câble de téléphone, ou les assomme avec un objet lourd. Et puis les vole, tout simplement.
À Mediouna, au Maroc, des cadavres dans un café
Au Maroc, en 1980, des personnes ordinaires telles qu’un gardien de cimetière et sa femme, un marchand de fèves ambulant, étaient retrouvés poignardés. Ces crimes sont liés à un petit café traditionnel où une jeune serveuse subit le même sort, suivie par trois autres victimes. Tel est le sujet du 7e et dernier épisode. Abdelaziz al-Tijari, connu comme le tueur en série de Mediouna, a été condamné à mort par la cour d'appel de Casablanca pour six meurtres confirmés, y compris des parents qu'il a tués pour leurs biens entre 1989 et 2008. Ses crimes ont été révélés par hasard lors d'une affaire d'escroquerie, qui a conduit à la découverte de cadavres dans une fosse de son café.
Ces meurtres ont en commun d’avoir fortement choqué le public et les communautés lors de leur révélation, notamment en raison de leur répétition. Certains ont été commis par cupidité, d’autres par conviction idéologique, d’autres encore par frustration. Ils posent avec pertinence la question de la peine de mort dans des pays qui ne l’ont pas encore abolie. La plus belle réponse vient de la mère d’une victime des frères Tanalian : « Cela ne me rendra pas mon fils. » Une série bien menée et documentée, commentée par d’excellents experts de diverses spécialités.
« Dark Minds », sur Netflix depuis le 1er juillet. En arabe, non sous-titré.
Et la bande de tueurs en serie pour motif politique qui sevit au Liban depuis 2005 ?
12 h 25, le 08 août 2024