« Le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde... » disait Jean-Luc Godard, prônant le potentiel du cinéma pour émouvoir et refléter concrètement et matériellement la condition humaine. C’est avec ce même esprit que le spectateur pourrait aborder le film Goodbye Julia. Paru en 2023, le premier long métrage de Mohammad Kordofani, ex-ingénieur en aviation et réalisateur autodidacte, envoie en effet un message universel et sensibilise sur l’oppression que de nombreuses communautés peuvent subir dans le monde entier. Chaleureusement acclamé par le public, il a reçu d’excellents retours des critiques. Il est d’ailleurs le premier film soudanais à être présenté dans la catégorie « Un certain regard » au Festival de Cannes.
Pour rentrer dans le vif du sujet, l’histoire se déroule à Khartoum, capitale du Soudan, suite au décès dans un accident d’hélicoptère de John Garang de Mabior, ex-chef de la rébellion du Sud-Soudan devenu vice-président du pays. C’est un début in medias res, qui baigne d’emblée l’audience dans l’ambiance tendue au Soudan en 2005, quelques années avant le référendum qui a divisé le pays. À ce stade-là, le stress et l’action ne font que commencer. Effectivement, le film est parsemé de révélations, d’anxiété, de secrets qui risquent d’exploser à tout moment.
En bref, il n’est vraiment pas facile à regarder et cela est en grande partie dû à son intensité qui contraint le spectateur à retenir son souffle. Kordofani affirme avoir choisi de dépeindre sur grand écran cette époque spécifique puisqu’elle représente pour lui une opportunité ratée de réconcilier les Soudanais qui, au lieu d’assumer leurs torts passés, se sont davantage divisés. Il maudit l’accord du peuple de séparer le sud du pays (le Soudan du Sud s’est séparé du Soudan et a accédé à l’indépendance le 9 juillet 2011 après un référendum d’autodétermination organisé en janvier 2011 au cours duquel 98,83 % avaient voté pour la séparation, Ndlr). À travers son film, le réalisateur vise aussi à dénoncer le racisme et les préjudices transmis de génération en génération au peuple nord-soudanais et désire sensibiliser les spectateurs à travers ses deux protagonistes.
Mona, originaire du Nord, a joué un rôle majeur mais toutefois indirect dans le décès tragique du mari de Julia, originaire quant à elle du Sud. Elle décide donc de l’embaucher en tant que domestique afin de déculpabiliser, tout en lui cachant la vérité derrière ses intentions. Les parallèles entre Julia et Mona (campées par Eiman Yousif et Siran Riak) sont poignants, l’une endeuillée et dans la misère, l’autre rongée par son remords et hantée par l’atrocité de ses actions. C’est une illustration réaliste et touchante de deux faces différentes du Soudan.
Dans une interview à Afikra sur YouTube, le réalisateur admet que son intention était de sensibiliser les audiences, quelles que soient leurs origines, mais surtout celles qui viennent du Soudan, afin de les convaincre de s’unir.
La réconciliation rêvée entre le Nord et le Sud
« Décision stupide et émotionnelle, pourquoi ne pouvais-tu pas me demander la permission avant ? » gronde Akram, le mari de Mona, dans une réaction qui résume assez bien leur relation. Il est possessif et strict, la prive de liberté et d’initiative, ce qui la pousse à trouver du réconfort chez sa nouvelle amie Julia. Leur relation évolue : en 2005, il s’agit strictement d’une dynamique employeur/employé, mais au fil des années (jusqu’en 2010), elles deviennent de véritables amies et complices. Elles symbolisent la réconciliation entre Nord et Sud, non sans péripéties.
En soit, Goodbye Julia est un mélodrame brillamment écrit, le jeu d’acteur est déchirant et l’intrigue est touchante. Par contre, il a un peu de mal à intégrer l’histoire dans un contexte politique plus large que la perspective de ses protagonistes. Avant tout, le film raconte la séparation du Soudan et du Soudan du Sud, y compris les divisions de classe, de religion et de groupes ethniques qui y sont associées. Pourtant, cet opus prête peut-être trop d’attention aux drames domestiques et aux secrets de Mona, son mari Akram et leur domestique Julia.
Ce n’est donc pas forcément le film à regarder en ayant la volonté de s’informer sur l’histoire soudanaise au sens académique et collectif, mais plutôt l’histoire des sentiments et des conséquences émotionnelles du conflit, à l’échelle individuelle.