Critiques littéraires

La bataille de Normandie vécue par les Allemands

La bataille de Normandie vécue par les Allemands

Ces dernières décennies, l’histoire militaire est devenue largement une histoire sociale, voire même une histoire anthropologique prenant en considération tout aussi bien les dimensions corporelles que les approches mentales des intéressés. Le présent livre en est la démonstration.

L’armée allemande durant la bataille de Normandie (juin-août 1944) a d’abord été largement mythifiée alors qu’il s’agissait d’une lutte totalement déséquilibrée, pourtant poursuivie contre toute logique par la dictature nationale-socialiste au prix d’hécatombes inutiles. Pourquoi, comment et dans quelle mesure les troupes allemandes ont-elles poursuivi un combat de plus en plus désespéré et meurtrier sont autant de questions qui se posent.

Avant même le débarquement, les Alliés avaient déjà en fait gagné la guerre du fait de leur énorme supériorité en ressources matérielles et en production industrielle. Il ne s’agissait plus que d’une question de temps. Les conquêtes nazies ont eu pour effet d’éparpiller les forces allemandes du cap Nord à l’Italie tandis que le front de l’Est avait déjà causé d’énormes pertes. En un sens, le débarquement appartient plus à une logique de l’après-guerre à venir que d’une guerre à venir. La simple menace de l’opération suffit à fixer 40% du potentiel militaire allemand en dehors des fronts russe et italien. Mais pour les Anglo-Américains comme pour les Allemands, elle est considérée comme la bataille décisive.

En 1944, l’armée allemande a dû mobiliser le maximum possible d’hommes, l’âge des soldats allant de 17 ans à plus de 60. 27% des soldats avaient entre 21 et 30 ans, contre 63% du côté américain. La dotation en matériel ne suit pas la croissance des effectifs, le manque de carburant ne permet pas de constituer une armée véritablement motorisée.

Si le renseignement avait permis de discerner que l’attaque la plus probable serait en Normandie, l’incohérence du système de commandement, fondé sur la rivalité des différentes armes, a rendu impossible une riposte réellement organisée. L’expérience du front de l’Est a provoqué une double sous-estimation : l’artillerie de marine alliée a pilonné les positions allemandes durant toute la bataille et elle a été relayée par l’aviation. Un tel matraquage rappelle celui de la Grande Guerre et interdit du côté allemand une vraie guerre de mouvement. Cela a été une terrible surprise pour les militaires allemands qui avaient tendance à mépriser leurs adversaires américains.

La partie la plus intéressante est consacrée aux hommes. En raison de l’usure des combats, il existe une pénurie d’officiers pour encadrer un « matériel humain » déficient. Le niveau intellectuel est faible à tous les niveaux. Les écrits et les propos de la plupart de ces hommes témoignent de leur adhésion aux idées du régime. Les motivations vont de la haine raciale à la peur de l’extermination. La plupart des responsables ont été impliqués dans les crimes de masse à l’Est.

L’auteur donne un récit détaillé et passionnant des réactions allemandes au 6 juin. Beaucoup de légendes se trouvent réfutées. La bataille de Normandie a fait 63 000 morts du côté allemand contre 46 000 pour les alliés en 87 jours. Les tirs d’artillerie, les armes d’infanterie et les attaques aériennes ont fauché la plupart de ces soldats, dans des proportions qui s’établissent respectivement aux alentours de 55 %, 20 % et 15 % des cas connus. Les services sanitaires sont déficients, la fatigue psychologique est considérable et les soldats consomment une grande quantité d’alcool pour tenir.

Ils combattent tout en ayant conscience pour la plupart que la guerre est perdue. La « réaction machinale aux ordres » du soldat le conduit à combattre jusqu’aux limites de ses capacités autant qu’à se montrer d’une grande docilité une fois capturé.

Les troupes manifestent un réel attachement envers la figure tutélaire d’Hitler en laquelle elles croient, mais aussi en laquelle elles ont besoin de croire. La psychologie du combattant est aussi envisagée en fonction de son ravitaillement, des honneurs qui lui sont accordés. La fonction des médailles évolue dans la dernière partie du conflit. Auparavant, elles servaient à récompenser la conduite adroite des opérations, l’intelligence tactique d’un chef ou un acte de bravoure individuel. Avec la situation de plus en plus critique sur tous les fronts, décerner des médailles sert aussi à masquer (ou du moins à atténuer) les échecs aux yeux du monde et de la population.

La coercition est aussi utilisée. L’autorité est exercée brutalement et va jusqu’à des exécutions sommaires. Mais la supériorité alliée en hommes et en matériel provoque un véritable choc. Devant la disproportion des forces, les témoignages révèlent tour à tour des sentiments d’impuissance, d’infériorité, d’inutilité ou d’abandon, voire de déchéance pour des hommes contraints de se terrer comme des bêtes traquées. Les griefs se multiplient dans les rangs, moins au vu du déluge de feu reçu des Alliés qu’au regard de l’incapacité à riposter au même niveau.

Hitler veut imposer une défense rigide, plutôt mourir que céder du terrain, mais à tous les niveaux les militaires trichent pour permettre une défense élastique comprenant des replis plutôt que la destruction sur place. La désobéissance et le mensonge sont une part essentielle de l’histoire militaire.

Ce gros livre est passionnant à lire. Il nous donne à voir et à comprendre ce qui était le fait d’être un soldat allemand dans la bataille de Normandie et dissipe le nombre considérable de légendes qui entourent cette bataille. Il peut servir de modèle pour d’autres épisodes d’histoire militaire du XXe et du XXIe siècles. Il est la démonstration des avancées de l’histoire militaire de ces dernières décennies.

Combattre en dictature. 1944, la Wehrmacht face au débarquement de Jean-Luc Leleu, Perrin, 2022, 830 p.

Ces dernières décennies, l’histoire militaire est devenue largement une histoire sociale, voire même une histoire anthropologique prenant en considération tout aussi bien les dimensions corporelles que les approches mentales des intéressés. Le présent livre en est la démonstration.L’armée allemande durant la bataille de Normandie (juin-août 1944) a d’abord été largement mythifiée alors qu’il s’agissait d’une lutte totalement déséquilibrée, pourtant poursuivie contre toute logique par la dictature nationale-socialiste au prix d’hécatombes inutiles. Pourquoi, comment et dans quelle mesure les troupes allemandes ont-elles poursuivi un combat de plus en plus désespéré et meurtrier sont autant de questions qui se posent.Avant même le débarquement, les Alliés avaient déjà en fait gagné la guerre du fait...
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