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Idées - Point de vue

L’humanitarisation de la tragédie syrienne fait le jeu d’Assad

L’humanitarisation de la tragédie syrienne fait le jeu d’Assad

Des secouristes recherchent des victimes et des survivants à Salqin, dans la province syrienne d’Idleb, à la suite des séismes du 6 février. Le 7 février 2023. Omar Haj Kadour / AFP

La huitième conférence de Bruxelles sur l’aide à apporter aux Syriens, qui s’est tenue fin mai dernier, entérine l’absence de plan pour la résolution du conflit syrien pour se consacrer à la tragédie humanitaire.

Si les donateurs internationaux, sous l’égide de l’Union européenne, se sont engagés à verser près de 5 milliards d’euros pour 2024 et 2025, la gestion de la crise telle que menée aujourd’hui fixe les problèmes plus qu’elle ne les résout sur différents aspects.

L’un de ces aspects non résolus malgré les années de dysfonctionnement concerne la distribution de l’aide en Syrie. L’OCHA, l’Office onusien en charge de la coordination de l’aide humanitaire et principale bénéficiaire des fonds promis à Bruxelles, confie la distribution de l’aide humanitaire destinée aux territoires sous contrôle du régime à l’organisation Syrian Trust for Development. Une organisation contrôlée par Asma el-Assad, femme du boucher de Damas. Des dizaines de rapports et d’enquêtes ont démontré le détournement massif de l’aide humanitaire au profit des proches du régime. Dans Syria and the Neutrality Trap (Bloomsburry, 2021), Carsen Wieland, diplomate allemand, qui travaillait dans la délégation de l’ONU en Syrie, explique comment l’aide humanitaire est utilisée comme une arme contre la population, en l’aidant de fait à compenser les effets des sanctions. Wieland dénonce aussi dans son livre l’incapacité des services onusiens à modifier leurs actions malgré les dizaines de scandales révélés par les enquêtes journalistiques et ONG sur le détournement de l’aide humanitaire par Assad. C’est ce qui justifie son appel à arrêter le financement de l’aide humanitaire onusienne. Cet appel rejoint celui des acteurs de la société civile, qui depuis des années demandent que les bailleurs de fonds mettent en place une organisation respectant les principes de base de l’action humanitaire: humanité, neutralité, impartialité et indépendance.

« État de barbarie » reconstruit

L’autre aspect de l’action humanitaire, et qui aggrave la tragédie syrienne, c’est qu’elle tend à fixer les millions de réfugiés syriens dans leur exil à l’image des millions de réfugiés palestiniens depuis 1948, et c’est exactement ce que veut Bachar el-Assad. Lorsqu’en été 2012, Alep la deuxième plus grande ville de Syrie, est touchée par la révolte, Bachar el-Assad Assad comprend qu’il ne peut reprendre la main sur un pays de 21 millions d’habitants. Il engage une nouvelle stratégie qui a pour objectif de vider la Syrie d’une grande partie de sa population qu’il considère comme déloyale. C’est en août 2012 que les premiers raids aériens ont lieu sur les villes et quartiers peuplés très majoritairement d’Arabes sunnites. Et c’est en décembre 2012 que le régime va utiliser des missiles Scud pour la première fois sur la ville d’Alep, détruisant des pans entiers de la ville. Ces bombardements qui ciblent délibérément les civils et les infrastructures vitales avaient pour objectif de provoquer un exode massif de la population. Entre 2015 et 2018, Bachar el-Assad et ses alliés russes et iraniens mènent plus de 500 bombardements contre des hôpitaux et centres de soins dans les zones rebelles, les marchés et écoles seront tout autant bombardés. Ces crimes vont mener à la situation que nous connaissons aujourd’hui : plus de la moitié de la population syrienne a été contrainte à l’exil. Et l’État de barbarie (Michel Seurat) qui se reconstruit avec une violence décuplée rend le retour à un semblant de normal impossible.

En l’absence d’une stratégie de résolution du conflit, les réfugiés syriens deviennent par ailleurs la cible de campagnes xénophobes alimentées par les partis politiques, du Liban à la Turquie, en passant par les pays européens. Leur souffrance et la raison de leur exil forcé sont masquées, voire niées par des discours populistes, mais quel choix ont-ils ? Le Syrian Networks for Human Rights a documenté l’arrestation de 89 Syriens par les services du régime Assad suite à leur expulsion du Liban depuis le début de l’année. Ces expulsions sont présentées par les autorités libanaises comme un retour volontaire des réfugiés. Le nord de la Syrie, qui concentre plus de 3,5 millions de déplacés et échappe au contrôle du régime, est constamment bombardé, ce territoire. Il est contrôlé par de nombreux groupes armés et jihadistes et ne peut offrir l’asile aux Syriens à la recherche d’une terre pour les accueillir. Ceux qui ont les moyens financiers ou l’obtiennent via la solidarité familiale cherchent à fuir vers l’Europe.

Le cas du Liban est représentatif de l’instrumentalisation de la question des réfugiés par des responsables politiques. Alors que l’aide aux réfugiés provient essentiellement des agences onusiennes, et que souvent elle permet aux familles de payer la location d’un terrain où est posée leur tente à un propriétaire libanais, les responsables politiques ne cessent d’accuser les Syriens d’être les responsables des crises libanaises. Issam Charafeddine, ministre libanais sortant des Déplacés, déclarait le 14 mai 2024 que le Liban a dépensé 55 milliards de dollars en 13 ans pour l’accueil des réfugiés syriens. La semaine précédente, ce même ministre déclarait que l’État libanais a dépensé pour l’accueil des réfugiés syriens 40 milliards de dollars en 13 ans. Chiffres complètement farfelus, l’éducation comme la santé des réfugiés syriens ne sont pas prises en charge par l’État libanais. Sur l’éducation, les élèves syriens sont à l’école l’après-midi pour ne pas surcharger les classes du matin. Les salaires des équipes enseignantes de l’après-midi dédiées aux enfants réfugiés sont pris en charge par les agences onusiennes. Ce ministre libanais, comme d’autres, n’évoque jamais la raison de la présence des réfugiés syriens et ne fait pas le lien avec la participation du Hezbollah dans la guerre et l’occupation qu’il continue d’exercer sur de larges pans du territoire. Une ingérence contre laquelle l’État libanais est resté totalement impuissant, comme pour l’ensemble des crises qui touchent le pays depuis des décennies.. Sans les nombreuses associations et citoyens libanais qui soutiennent les réfugiés syriens dans leur quotidien via une aide matérielle, des soins ou des démarches administratives, le renvoi des réfugiés vers la Syrie d’Assad serait massif.

Passivité

L’action humanitaire doit s’accompagner d’une stratégie de résolution de crise. Les bailleurs, qui sont majoritairement les pays occidentaux, ont abandonné la Syrie à Assad et ses alliés. Les pays arabes, encouragés par la Russie et la Chine dans une alliance des autocrates, avancent dans la réhabilitation du régime. La résolution 2254 de l’ONU adoptée en décembre 2015, qui posait les bases pour une issue au conflit, a été liquidée par Damas qui s’accommode de la reconquête militaire des deux tiers du territoire syrien sans chercher la paix qu’il sait impossible par sa présence.Et rien n’oblige aujourd’hui Assad à avancer vers l’application de la résolution onusienne. Le régime ne comprend que le rapport de force, un rapport qui a toujours été en sa faveur par passivité du camp occidental.Régner sur un pays détruit dont les ressources sont pillées par ses parrains ne dérange pas outre mesure le régime syrien, pas plus que l’agonie de son peuple. Ce qui est perçu par les Européens comme une crise migratoire, que les dirigeants européens cherchent à résoudre en bloquant l’accès au continent via le financement de gouvernements corrompus et autoritaires, est avant tout une tragédie humanitaire et une catastrophe démographique pour l’avenir de la Syrie. Sans plan et volonté politique de la communauté internationale, le pays continuera de sombrer et Assad exercera le chantage via les réfugiés, le terrorisme, le trafic de drogues en contrepartie de sa réhabilitation. Réhabilitation qui avance inexorablement par cynisme politique et montée de l’extrême droite en Europe.

Opposant et essayiste syrien. Dernier ouvrage: « Syrie, la révolution impossible » (Aldeïa, 2023).

La huitième conférence de Bruxelles sur l’aide à apporter aux Syriens, qui s’est tenue fin mai dernier, entérine l’absence de plan pour la résolution du conflit syrien pour se consacrer à la tragédie humanitaire.Si les donateurs internationaux, sous l’égide de l’Union européenne, se sont engagés à verser près de 5 milliards d’euros pour 2024 et 2025, la gestion de la crise telle que menée aujourd’hui fixe les problèmes plus qu’elle ne les résout sur différents aspects. L’un de ces aspects non résolus malgré les années de dysfonctionnement concerne la distribution de l’aide en Syrie. L’OCHA, l’Office onusien en charge de la coordination de l’aide humanitaire et principale bénéficiaire des fonds promis à Bruxelles, confie la distribution de l’aide humanitaire destinée aux territoires sous...
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Pire que Netanyahu

Eleni Caridopoulou

10 h 14, le 13 juillet 2024

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  • Pire que Netanyahu

    Eleni Caridopoulou

    10 h 14, le 13 juillet 2024

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