Le président et les membres de la chambre d’accusation de Beyrouth, respectivement Habib Mezher, Adham Kanso et Nadine Abou Alouane, se sont désistés jeudi dernier du dossier judiciaire de l’ex-gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé. Un dossier qui est gelé depuis dix mois en raison de dessaisissements et désistements de magistrats chargés de se pencher sur un recours porté par la cheffe du Contentieux de l’État, Hélène Iskandar, contre le choix de l’ancien premier juge d’instruction de Beyrouth Charbel Abou Samra de laisser libre M. Salamé après l’avoir interrogé le 2 août 2023, se contentant de lui demander de rester à la disposition de la justice et s’abstenant de lui fixer une nouvelle audience.
Les magistrats en question ont justifié leur demande de récusation en accusant la juge Iskandar d’exercer sur eux « des pressions morales et psychologiques » à travers des « recours récurrents et insistants devant le ministre de la Justice, l’Inspection judiciaire (IJ) et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ». En réaction à ce qu'elle considère comme une « inaction » du juge Mezher, désigné en janvier dernier par le juge Ayman Oueidate -agissant en tant que premier président de la cour d'appel de Beyrouth- pour se pencher sur son recours, Hélène Iskandar lui a souvent adressé des demandes pour qu’il agisse, affirme une source judiciaire interrogée par L’Orient-Le Jour. La magistrate a, en outre, adressé récemment un courrier au CSM et au ministre sortant de la Justice Henri Khoury leur demandant de prendre des mesures pour faire cesser « cette entrave à la justice ».
Deux mois après sa nomination pour remplacer une magistrate qui s’était désistée du même dossier, M. Mezher s’était déclaré incompétent, jugeant qu’une telle compétence relève d’une autre chambre d’accusation, bien que celle-ci fasse déjà l’objet d’un recours en responsabilité de l’État porté par Riad Salamé. Le juge Oueidate avait aussitôt qualifié la décision du juge Mezher d’« illégale », d’autant que ce n’est pas à ce dernier d’attribuer les compétences et qu’il doit se plier à sa désignation tant qu’il n’a pas demandé à être dessaisi, explique une source judiciaire interrogée. Finalement, Habib Mezher et ses deux assesseurs ont demandé à se récuser dans une décision qu’ils ont notifiée jeudi à Henri Khoury. Leur demande doit encore être déférée à une chambre de la cour d’appel compétente en la matière. En cas d’acceptation, le juge Oueidate devra désigner trois autres magistrats pour une nouvelle composition de l’instance.
« Une faute grave »
Sur un autre plan, le juge Mezher et ses assesseurs ont réclamé que l’Inspection judiciaire examine la décision des juges qui composaient la chambre d’accusation durant les vacances judiciaires de l’été dernier, à savoir Mireille Mallak (présidente), Fatmé Majed, et Mohammad Chéhab (membres). Le 4 août 2023, ces derniers avaient accepté le recours de la juge Iskandar, invalidant par-là le choix de M. Abou Samra et convoquant Riad Salamé à une nouvelle audience, mais sans succès, faute d’être parvenus à l’en notifier. Interrogée par L’OLJ, une source proche du juge Mezher estime que la décision de la chambre présidée par la juge Mallak constitue « une faute grave », en référence, note-t-elle, au fait que le juge Abou Samra n’a pas pris la décision « explicite » de maintenir Riad Salamé en liberté, et ne l’a donc pas signée. Selon cette source, lors de la réunion tenue lundi après-midi par le CSM dont il fait partie, Habib Mezher lui aurait soumis la décision de ses prédécesseurs, plaidant pour « une inexistence » de la décision qu’ils avaient infirmée.
Face aux obstacles dressés contre la poursuite du processus judiciaire visant à réactiver l’enquête sur le dossier Salamé, Hélène Iskandar avait choisi en janvier dernier de renoncer à son recours devant la chambre d’accusation, de sorte que l’affaire soit renvoyée à Bilal Halaoui, successeur du juge Abou Samra, parti à la retraite en novembre 2023. Un magistrat interrogé estime, pour sa part, qu’une telle démarche n’est pas valable, la chambre d’accusation ayant déjà accepté en la forme l’appel de la cheffe du Contentieux de l’État. En tout état de cause, la chambre d’accusation qui serait nommée par Ayman Oueidate, devrait soit trancher la demande de la juge Iskandar de renvoyer l’affaire à Bilal Halaoui, soit convoquer M. Salamé et déférer les résultats de son audition auprès de l’avocat général près la cour d’appel de Beyrouth, Raja Hamouche, pour qu’il donne son avis (non contraignant). La chambre d’accusation déciderait alors s’il faut que M. Salamé soit appréhendé ou au contraire maintenu en liberté.
Sauf que tout membre de cette instance non encore formée risque d’être ciblé par des recours émanant de l’ex-patron de la BDL, ce qui favoriserait un report sine die de la relance du dossier.
Face aux mafieux ils ne font pas le poids ...
11 h 48, le 04 juin 2024