Dans la localité de Kouba, située entre Batroun et Selaata au Liban-Nord, les agents de la Sécurité de l’État sont en train de contraindre près de 1 100 Syriens en situation irrégulière à quitter les lieux avant la fin de la journée, conformément à un ultimatum qui leur a été lancé ces dernières semaines.
Une scène dont a été témoin notre journaliste sur place, Lyana Alameddine, et notre correspondant dans la région, Michel Hallak. Elle s’inscrit dans le cadre d’une série d’actions prises par les autorités pour organiser, de gré ou de force, le départ des réfugiés et migrants syriens au Liban.
Le processus a été lancé conformément aux instructions du mohafez du Liban-Nord Ramzi Nohra, et il est supervisé par le président du conseil municipal de Kouba, Roger Toubia, avec le soutien d’une patrouille de la Sécurité de l’État, a précisé notre correspondant.
Selon notre journaliste, deux voitures appartenant à la Sécurité de l’État menaient des rondes dans la localité côtière vers 13h, pour avertir les ressortissants syriens qui ne sont pas encore partis qu’ils doivent quitter les lieux. Un agent présent sur place a expliqué que les portes des habitations déjà évacuées ont été scellées à la cire rouge. Notre correspondant précise qu’un certain nombre de familles ont été vues mardi en train d'évacuer les tentes et les logements qu'elles occupaient dans les quartiers al-Sahel et Saki Kouba. Elles ont déposé leurs sacs et leurs affaires à l'extérieur en prévision de leur départ de la localité.
Sur place, la plupart des habitations situées en bordure de la route agricole qui traverse la partie orientale de la localité semblent presque totalement délaissées, raconte encore notre journaliste. « Il ne reste plus personne, la majorité est partie quelques jours plus tôt. J'ai pu rester car j'ai un permis de séjour... », raconte Walid*, qui s’est installé et travaille au Liban avant même que le conflit syrien n’éclate en 2011. Sa femme, elle, a fui Alep en 2014. « A Liban, nous ne pouvons plus aller nulle part, et le loyer est beaucoup trop élevé », déplore cette mère de cinq enfants.
« Eparpillés partout »
Près d'elle, Fatima*, une réfugiée syrienne sommé aujourd'hui par la Sécurité de l’État de quitter les lieux mardi, a deux mois pour trouver une solution. « Je ne sais pas ce que je vais faire ». Son mari, un agriculteur, était parti deux jours plus tôt. « Il est maintenant dans la Békaa, nous sommes éparpillés partout », raconte-t-elle. Si elle retourne en Syrie, elle craint de voir ses enfants de 15 et 16 ans contraints de faire leur service militaire. « Je ne veux pas les envoyer à la mort », dit-elle la gorge serrée.
Sur le bord d’une route, des migrants syriens ont dû vider leur logement de leurs affaires personnelles. Ils avaient deux semaines pour quitter les lieux, mais n’ont pas trouvé d’endroit pour se reloger. Najah, une réfugiée qui a fui la ville de Hama en 2014, affirme que son mari n'a pas pu renouveler son permis de séjour. Comme Fatima, elle craint pour ses enfants, et les informations faisant état de disparition « aux mains du régime » de Damas de Syriens rentrés au pays.
Kouba n’est que l’une des localités du Liban-Nord où les autorités se mobilisent. A Fneidek dans le Akkar, les mesures annoncées la veille par la municipalité pour organiser la présence des ressortissants syriens ont commencé à être mises en œuvre, selon notre correspondant. Les résidents concernés – 160 familles travaillant dans le bâtiment et dans les zones adjacentes, précise notre correspondant – se sont ainsi rendus à la municipalité pour enregistrer leurs noms et leurs données personnelles, comme ils ont été appelés à le faire entre le 28 et le 30 mai, ou entre les 4 et 6 juin, « sous peine de poursuites ». Il a par ailleurs été demandé à ceux qui conduisent des voitures ou des motos de présenter des documents prouvant la propriété de ces véhicules ainsi qu'un permis de conduire valide, entre autres mesures.
Dans un cadre plus large, la municipalité de Fneidek a étendu ses directives aux citoyens locaux louant des propriétés à des étrangers, en exigeant l'enregistrement immédiat des contrats de location ou la divulgation de l'identité des locataires. Les bailleurs potentiels ont été mis en garde contre la conclusion de nouveaux accords sans consultation préalable de la municipalité.
La municipalité de Mahmara, sur la côte, a quant à elle publié un communiqué à l'adresse des « propriétaires d'établissements appartenant aux « frères syriens », qui leur impose de déclarer leurs sociétés dans un délai de 15 jour, conformément à la circulaire précédemment émise par le ministère de l'Intérieur et des Municipalités. Les administrés ont également été sommés de de ne pas louer de propriété à un « réfugié syrien avant d'avoir fourni une preuve d'enregistrement auprès de la municipalité et d’un titre de résidence légal au Liban », rapporte encore Michel Hallak.
Ces scènes se déroulent dans un contexte d’hostilité croissante au Liban vis-à-vis de la présence de réfugiés et de migrants syriens, en nette augmentation depuis la mort en avril d’un responsable des Forces libanaises à Jbeil, Pascal Sleiman, tué par un gang composé de ressortissants syriens, selon les autorités.
Après un convoi de « retour volontaire » en Syrie mi-mai qui n'avait attiré que quelque 200 personnes, les forces de l'ordre ont ensuite évacué près de 1 500 Syriens vivant dans un complexe commercial situé à Deddé au Liban-Nord (caza du Koura) et un campement à proximité. D’autres opérations de ce type ont suivi, notamment dans le caza de Batroun.
Le chef du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au Liban, Ivo Freijsen, a également été criblé de critiques après avoir manifesté son opposition à une série de « mesures inhumaines » décidées par les autorités contre les Syriens vivant clandestinement au Liban.
L'Union européenne, qui avait annoncé son intention de donner un milliard d'euros au Liban jusqu'en 2027, notamment pour l'aider à lutter contre l'immigration clandestine, a également été accusée de tenter de monnayer le maintien de la présence syrienne au Liban, une interprétation très contestée de la démarche initiée par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, lors de son passage à Beyrouth le 2 mai.
Les donateurs internationaux, réunis sous l'égide de l'Union européenne, se sont engagés lundi à verser 5 milliards d'euros pour les réfugiés syriens, Bruxelles insistant sur le fait qu'ils ne doivent pas être « poussés à retourner » vers leur pays déchiré par la guerre.
Bruxelles n'a qu'à prendre en charge un million de Syriens chez eux et on en reparle dans quelques mois ...
15 h 34, le 28 mai 2024