
Charif Ghattas, un auteur et metteur en scène franco-libanais à succès. Photo Bruno Perroud
Il s’est imposé en France parmi les auteurs et metteurs en scène validés par le Festival d’Avignon. Ce qui ne l’empêche pas de revenir de temps à autre au Liban, avec sa troupe de comédiens, présenter ses créations sur les planches beyrouthines. À l’instar de Marcus et les siens – qualifiée par la critique hexagonale de « brillante partition » – qui sera à l’affiche du théâtre Monnot, du jeudi 23 jusqu’au dimanche 26 mai. Interview express en pleins préparatifs.
Charif Ghattas, vous voici de nouveau à Beyrouth, pour quatre représentations de « Marcus et les siens », une pièce que vous aviez créée au théâtre des Carmes dans le cadre du Festival d’Avignon 2022. Sur la vingtaine de créations que compte votre répertoire, ce n’est que la deuxième que vous présentez ici, après (la très justement intitulée) « Une éternité » que vous aviez jouée en 2009 toujours au théâtre Monnot. Pourquoi cet espacement dans le temps pour vos retours sur scène au Liban ?
Une de mes pièces, Le Premier jour, a également été traduite et jouée en arabe en 2012 au théâtre Tournesol. Mais c’est vrai que cela fait un moment que je n’ai pas présenté de spectacle ici. Je crois que depuis 2020, la pandémie n’a pas aidé à ce que cela puisse se concrétiser, et avant j’étais plongé dans plusieurs projets en parallèle du théâtre. Je mène également une carrière d’acteur et j’ai participé à des films avec différents réalisateurs, dont Park Chan Wook, avec qui j’ai eu l’honneur de tourner en 2018 dans la série The Little Drummer Girl.
J’écris aussi des scénarios de long-métrage et de série… Tout cela prend du temps, et quand on fait les choses avec passion, le temps passe vite, non ?
Et puis, je dirais que cela dépend aussi de l’ADN d’un projet, de ce qui s’en dégage et des raisons pour lesquelles un Franco-Libanais comme moi vient à la rencontre du public de son pays d’origine.
Dans quel état d’esprit y revenez-vous cette fois ?
Étant personnellement très attaché à mes racines libanaises, le Liban m’accompagne dans ma vie de tous les jours et nourrit aussi toute une partie de mon imaginaire, je suis évidemment très heureux de jouer Marcus ici. Et je suis d’autant plus heureux d’y revenir aujourd’hui qu’avec ma troupe, nous avions fait une résidence à Beyrouth en 2019, avec le soutien de l’Institut Français notamment. Et ce voyage avait été formidable parce que nous avions pu rencontrer des jeunes à qui nous avions lu Marcus et les siens et avec qui nous avions pu échanger à propos des thématiques de la pièce, qui sont en résonance, d’une certaine manière, avec l’histoire des Libanais : la famille, le lien humain qui réunit une tribu, la violence qui peut surgir et modifier des destinées, et ce sentiment terrible de l’injustice et de la vengeance.
Justement, d’après le synopsis, « Marcus et les siens » est l’histoire d’une troupe de théâtre devenue une tribu, quasiment une famille, qui implose après une tragédie et les révélations qui s’ensuivent. Ce serait donc un huis clos psychologique révélateur de l’ambivalence des rapports humains et de la violence de leur désagrégation… Une thématique qui s’inscrit dans la lignée de celle que vous abordiez déjà dans « Une éternité ». Peut-on affirmer sans se tromper que la mise au jour des ressorts cachés, des failles et des secrets, qui fissurent les groupements humains familiaux et amicaux, façonnent votre théâtre ?
Oui, c’est très proche en effet. Je crois qu’on peut comprendre le monde à partir des « familles ». La famille, c’est la cellule première de l’humanité. Et cette question du lien et de son traitement m’inspire depuis toujours, de façon assez obsédante, je le concède. J’espère d’ailleurs avoir l’occasion prochainement de venir jouer à Beyrouth une autre pièce, Dépendances, créée au Rond-Point en 2020 qui est un huis clos entre deux frères qui se disputent l’amour d’un troisième frère absent. Voilà donc c’est dit, j’espère ne pas attendre 15 ans pour revenir !
Une scène de « Marcus et les siens ». Photo Oscar Chevillard
Petite présentation pour ceux qui ne vous connaissent pas : vous êtes né à Beyrouth en 1981, mais vous avez grandi durant la guerre civile libanaise en Arabie saoudite. Avouez que ce n’est pas l’environnement le plus propice à une carrière sur les planches parisiennes… Comment a éclos votre intérêt, ou votre passion plutôt, pour le théâtre francophone ? Et quel parcours avez-vous suivi ?
Vous savez, je ne suis pas sûr qu’on ait besoin d’évoluer dans un environnement propice au théâtre pour proposer un théâtre qui soit pertinent et en prise avec le monde. Je suis même bien heureux d’avoir grandi si loin des écoles et d’une certaine culture théâtrale. Mon enfance et mon adolescence ont été en partie consacrées à la passion d’un sport, le tennis, dans lequel j’avais un bon niveau. Et puis un jour, à 15 ou 16 ans, j’ai découvert les livres et le cinéma. Et ça a été un grand bouleversement, je dirais même une révolution à l’échelle d’un jeune homme. Ce n’est pas tant le théâtre français qui a été une révélation, mais davantage des chocs provoqués par certains romanciers ou dramaturges. Les mondes qu’ils avaient créés dans leur œuvre à travers le langage ont transformé mon rapport à l’existence. Je pense à Thomas Bernhard ou à Harold Pinter pour ne citer que ces deux qui me viennent tout de suite à l’esprit. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été en quête d’un moyen d’expression jusqu’au jour où j’ai écrit une première pièce qui m’a permis de me lancer dans le théâtre. J’ai écrit vingt pièces aujourd’hui et j’aborde les projets, de l’écriture à la mise en scène, en gardant un même appétit. Je peux aussi dire que le théâtre que je crée est très nourri de cinéma, de peinture et de littérature, et que ces arts sont partout dans le monde. Il faut seulement s’y plonger.
Vous faites partie de la nouvelle garde d’auteurs et de metteurs en scène de théâtre en France. Votre dernière pièce, « Ici Nougaro », a été créée à Marseille et reprise à Paris au théâtre de l’Atelier, celle que vous présentez au théâtre Monnot a été créée au Festival d’Avignon… Que signifie pour vous faire du théâtre aujourd’hui ?
Ma démarche est un peu différente de celle d’un artiste qui serait uniquement metteur en scène dans le sens où, pour moi, tout commence avec l’écriture. C’est l’écriture qui déclenche une pièce, et c’est encore à partir du langage que mes personnages emploient que s’esquisse la mise en scène. Actuellement, je vois bon nombre de pièces mises en scène comme des témoignages, des récits vécus, dont le plateau de théâtre permet la catharsis. Pour ma part, j’ai besoin de faire exister une fiction dont le but n’est pas de délivrer un message quelconque. En d’autres termes, il n’y a pas grand-chose de didactique ou de pédagogique dans ma démarche. Je crois follement au pouvoir de la fiction pour raconter le monde. Mon désir de metteur en scène est d’essayer de mettre la vie sur scène et de créer des chocs d’émotion. Ma démarche est centrée sur les comédiens et comédiennes. Ils sont, à mes yeux, les passeurs et les vrais pôles d’attraction de mes mises en scène.
« Marcus et les siens » est-il le spectacle qui nous en apprend le plus sur vous en tant qu’artiste ou même en tant que personne tout simplement ?
Marcus et les siens est un spectacle très important dans mon parcours, car il est presque une synthèse du fond et de la forme recherchés dans mes pièces précédentes. Donc en tant qu’artiste, je dirais que oui. En tant que personne, je ne sais pas… Peut-être.
« Marcus et les siens » de Charif Ghattas, les 23, 24, 25 et 26 mai, au théâtre Monnot, à 20h30. Billets en vente sur Antoine Ticketing.
« Marcus et les siens » : synopsis et fiche technique
À la demande de Marcus, metteur en scène et directeur de théâtre, une troupe de comédiens se réunit pour la première fois depuis la perte de leur amie la plus chère. Cette tragédie a fait voler en éclats leur famille artistique. La révélation imminente de Marcus pourrait définitivement rompre leur amitié…
Auteur et metteur en scène : Charif Ghattas. Acteurs : Mélissa Broutin, Augustin de Monts, Charif Ghattas, Quentin Paulhiac, Aurélien Rondeau et Anne Werner.