L’Iranien Mohammad Rasoulof, qui a imploré mardi le cinéma mondial d’apporter un « soutien fort » aux réalisateurs menacés, a payé cher son amour du 7e art en étant arrêté à de nombreuses reprises dans son pays, qu’il a finalement quitté pour ne pas retourner en prison.
« Je devais choisir entre la prison et quitter l’Iran. Le cœur lourd, j’ai choisi l’exil », a affirmé le cinéaste de 51 ans dans un communiqué transmis mardi, au premier jour du Festival de Cannes.
Réfugié dans un lieu tenu secret en Europe, il ne sait pas encore s’il pourra s’y rendre et présenter Les graines du figuier sauvage, son dernier film.
Le réalisateur a appris peu après sa sélection cannoise qu’il était condamné à une peine de prison pour « collusion contre la sécurité nationale », selon son avocat.
En plus de 20 ans de carrière, ce n’était pas la première fois. Privé de passeport, Mohammad Rasoulof n’avait ainsi pas pu se rendre au Festival de Berlin en 2020 pour présenter Le diable n’existe pas, Ours d’or de la compétition.
« Je suis iranien et je fais des films en Iran », avait-il expliqué il y a quelques années pour justifier son refus de s’exiler, contrairement à d’autres réalisateurs.
En 2019 déjà, le Festival de Cannes avait rendu hommage à ce cinéaste qui « ne cesse, à travers son travail, de conter la réalité de son pays, affrontant ainsi la censure imposée chez lui par les autorités iraniennes ».
Né en 1972 à Chiraz (Sud-Ouest), l’une des villes les plus ouvertes d’Iran, Mohammad Rasoulof a étudié la sociologie puis le montage à Téhéran.
Il débute par des courts-métrages avant de réaliser La vie sur l’eau en 2005, qui se fait déjà remarquer à Cannes dans la Quinzaine des réalisateurs.
« Dire non »
Douze ans plus tard, le festival le récompense en lui décernant le prix Un Certain Regard pour Un homme intègre, l’histoire d’un homme qui tente de se battre contre les manœuvres malhonnêtes d’une compagnie privée poussant des villageois à vendre leurs biens.
« Je me suis souvent demandé ce que cela représentait pour quelqu’un de dire non à un régime autoritaire (...) La vie est rendue bien plus difficile en disant non », mais « il y a une part de beauté dans le fait de dire non », a-t-il expliqué.
Sa volonté de continuer à réaliser malgré ses démêlés avec les autorités l’a contraint à user de subterfuges et à filmer dans la clandestinité, comme Le diable n’existe pas, un film sur la peine de mort.
Début mai, son avocat Me Babak Paknia a révélé que Mohammad Rasoulof avait été condamné à huit ans de prison, dont cinq applicables, des coups de fouet, une amende et une confiscation d’une partie de ses biens.
Ce jugement, qui n’a pas été annoncé par les médias officiels en Iran, fait suite à l’arrestation du cinéaste en juillet 2022 pour avoir encouragé des manifestations liées à l’effondrement d’un immeuble ayant fait plus de 40 morts en mai dans le sud-ouest du pays.
Après ce drame, un groupe de cinéastes qu’il menait a publié une lettre ouverte appelant les forces de sécurité « à déposer les armes » face à l’indignation nationale contre « la corruption » et « l’incompétence » des responsables. Il a ensuite été libéré à titre temporaire pour raisons de santé en janvier 2023.
Mohammad Rasoulof est proche de Jafar Panahi, un autre cinéaste dissident de renommée internationale, qui avait été arrêté en 2022 pour lui avoir apporté son soutien au tribunal, avant d’être libéré sous caution en février 2023.
Dans son message annonçant son départ d’Iran, le réalisateur indique « rejoindre des millions d’Iraniens à travers le monde dans l’exil » d’un « Iran culturel » en dehors d’un « Iran géographique » qui « souffre sous les bottes » de la « tyrannie religieuse ».
Source : AFP