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Moyen-Orient - Entretien

« Plus d’un siècle après le début du génocide arménien, nous y sommes encore confrontés »

Pour Luis Moreno Ocampo, ancien procureur à la Cour pénale internationale, la gestion de la crise du Haut-Karabakh reflète les intentions génocidaires de Bakou.

« Plus d’un siècle après le début du génocide arménien, nous y sommes encore confrontés »

Luis Moreno Ocampo au Liban -Photographie fournie par Luis Moreno Ocampo

Premier procureur à la Cour pénale internationale (CPI) de 2003 à 2012, Luis Moreno Ocampo a passé quelques jours au Liban juste avant la commémoration du génocide arménien, le 24 avril. L’avocat argentin avait publié en août 2023 un rapport affirmant que le gouvernement azerbaïdjanais avait commis des actes de génocide pendant le blocus du corridor de Latchine dans le Haut-Karabakh, entre 2022 et 2023. Un rapport sorti juste avant l’offensive éclair de Bakou qui a conduit à la dissolution de la république autoproclamée et à l’exode de plus de 100 000 Arméniens. L’ancien magistrat de la CPI, aujourd’hui chercheur au Carr Center for Human Rights Policy de l’Université Harvard, revient pour « L’Orient-Le Jour » sur le conflit arméno-azéri vu par le droit international.

Pourquoi êtes-vous venu à Beyrouth juste avant le 24 avril, jour de la commémoration du génocide arménien ?

Le patriarcat arménien du Liban m’a invité. Et je pense qu’il était important de venir durant cette période mouvementée pour la région. La Convention sur le génocide a fêté l’année dernière son 75e anniversaire. Dans le même temps, le conseiller spécial des Nations unies sur le génocide a alerté sur le fait que six génocides étaient encore en cours dans le monde. Quelque chose ne va pas. Il est très étonnant que, plus d’un siècle après le début du génocide arménien, nous y soyons encore confrontés aujourd’hui. Il est donc important pour moi de me déplacer et de prendre la parole afin que ce qui se passe dans le Haut-Karabakh ne soit pas occulté. C’est primordial.

Comment et pourquoi vous êtes-vous intéressé au dossier arménien ?

Au début, ce sont mes amis arméniens qui m’ont demandé comment on pouvait caractériser ce qu’il se passait dans le Haut-Karabakh, alors sous blocus azerbaïdjanais. En me renseignant, j’ai découvert qu’il s’agissait d’un véritable génocide. Et ce n’est pas seulement mon opinion. La CPI a aussi déclaré que le blocus du corridor de Latchine imposé par l’armée azérie, empêchant la population arménienne de se fournir en nourriture, en essence et en produits de première nécessité, visait essentiellement à l’exterminer. La communauté arménienne présente partout dans le monde facilite l’éveil des consciences sur le sujet, et elle permet aussi d’aider à alerter sur les génocides qui disséminent actuellement les Tigréens, les Éthiopiens, les Birmans… car personne ne parle d’eux.

Pour mémoire

« Ils ont construit une maison et n'ont pas pu y dormir »

Sur quels éléments se base votre constat qu’un génocide reste en cours contre les Arméniens ? En quoi cela est-il différent d’un nettoyage ethnique ?

Les pays occidentaux n’aiment pas reconnaître les génocides. L’expression « nettoyage ethnique » est très utilisée car elle évite le mot tabou. Le nettoyage ethnique avec l’intention de détruire une communauté est néanmoins un génocide. Le génocide n’implique pas nécessairement de tuer un grand nombre de personnes, il peut aussi consister à infliger des conditions invivables à une communauté menacée. Et c’est ce qu’il s’est passé pendant le blocus de Latchine, auquel j’ai consacré un rapport et qui avait d’ailleurs alerté le Congrès américain. L’attaque du 19 septembre engagée par l’armée azerbaïdjanaise a forcé les derniers habitants du Haut-Karabakh à se retirer, renforçant le constat d’un génocide, avec de graves dommages psychologiques. Des milliers de personnes se sont échappées en laissant leurs biens, maisons et terres pour protéger leur vie menacée par les bombes. Il y a là une intention claire de détruire une communauté en la déracinant. Tant que les Arméniens ne seront pas retournés dans le Haut-Karabakh, le constat du génocide ne bougera pas.

Dans le génocide, l’intentionalité des actes est très importante. La juge Gassia Apkarian,  exerçant aux États-Unis et petite fille libano-arménienne d’un survivant du génocide de 1915, a récemment présenté un dossier à la CPI demandant une enquête sur le président azéri Ilham Aliev. Elle a prouvé, au vu de ses déclarations, qu’il allait expulser les Arméniens de leurs terres, et pas seulement du Haut-Karabakh. Elle a cité une déclaration du Parlement azerbaïdjanais qui nie fondamentalement l’existence des Arméniens, affirmant que l’Arménie tout entière représente l’Azerbaïdjan occidental. Aujourd’hui, il y a des raisons de croire qu’un mandat contre Aliev pourrait être proclamé par la CPI.

Une enquête est toujours en cours à la Cour internationale de justice, qui gère les différends entre États, pour des plaintes déposées mutuellement par les deux pays pour discrimination raciale. Où en sont les procédures ?

La CIJ donne maintenant aux deux parties le temps de présenter leurs arguments finaux. Il faudra donc encore au moins deux ans pour que chaque partie présente ses éléments et probablement encore deux années supplémentaires pour prendre une décision. Mais comme les demandes portent sur la discrimination, la question du génocide n’est pas abordée. Or il est très important de mettre le mot juste sur ce qu’il se passe et ne pas attendre une procédure judiciaire qui prendra des années. Il existe un manque de réactivité de la part de la communauté internationale, les intérêts politiques et économiques représentant une limite à l’avancée des cas juridiques. Historiquement, les États ignorent les problèmes internationaux et se concentrent sur leurs intérêts propres. Lorsque, en décembre 2023, l’Afrique du Sud, un pays dit émergent, saisit la CIJ contre Israël pour génocide dans la bande de Gaza, le message est fort.

Face à la guerre que conduit Israël à Gaza, voyez-vous des similitudes entre les dossiers arménien et palestinien ?

Israël, en tant que signataire de la Convention sur le génocide, a le devoir de prévenir le risque génocidaire. Or, déjà là, le pays faillit à son devoir. La CPI a déjà ouvert une enquête en 2021 et pourra bientôt émettre des mandats d’arrêt internationaux. Ils pourraient éventuellement viser jusqu’au Premier ministre Benjamin Netanyahu et des membres de son gouvernement d’extrême droite qui se servent de la guerre contre le Hamas pour tuer en masse la population palestinienne.

Premier procureur à la Cour pénale internationale (CPI) de 2003 à 2012, Luis Moreno Ocampo a passé quelques jours au Liban juste avant la commémoration du génocide arménien, le 24 avril. L’avocat argentin avait publié en août 2023 un rapport affirmant que le gouvernement azerbaïdjanais avait commis des actes de génocide pendant le blocus du corridor de Latchine dans le...

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