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Société - Commémoration du génocide arménien / Dans nos archives

« Ils ont construit une maison et n'ont pas pu y dormir »

Anjar, dans la Békaa, abrite les descendants des survivants réinstallés ici en 1939. Leur avenir semble incertain depuis la crise.

« Ils ont construit une maison et n'ont pas pu y dormir »

Des personnes observent une installation de fortune en feu lors de la commémoration du génocide arménien à Anjar, le 24 avril. Photo João Sousa

En ce dimanche soir, un millier de personnes participent à une procession dans la petite ville de Anjar, dans la Békaa. Pour la plupart des enfants et des scouts, ils portent des torches et marchent d'un site à l'autre, accompagnés par le son de la fanfare locale. Ils sont ici pour commémorer le 108e anniversaire du début du génocide arménien de 1915 au cours duquel les forces turques ont tué plus d'un million de personnes alors que la Première Guerre mondiale faisait rage et que l'Empire ottoman s'effondrait. « C'est une petite Arménie » , déclare Hagop Aintaplian, un maraîcher de 60 ans. Quelques jours avant la cérémonie, Hagop s'occupe de sa ferme construite au bord d'un ruisseau, à l'extérieur du centre-ville. Il est particulièrement fier de ses artichauts, dont les champs ornent les deux côtés d'un chemin de terre. Il a hérité de la ferme de son père qui n'était qu'un petit garçon lorsqu'il est arrivé à Anjar en provenance de ce qui est aujourd'hui la province de Hatay, au sud de la Turquie.

Aujourd’hui, après 40 ans d'agriculture, Hagop Aintaplian s'inquiète de ce qu'il adviendrait si ses trois filles restaient au Liban alors que la crise économique et l'incertitude politique ne cessent de s'aggraver. Il espère qu'elles iront plutôt en Arménie.

Hagop Aintaplian dans son champ cultivé d'artichauts, le 19 avril. Photo João Sousa

Assis sur une chaise en plastique au bord du ruisseau, toujours chaussé de ses bottes en caoutchouc, le maraîcher mélange dans ses paroles l'arménien et l'arabe. Pour l'instant, dit-il, Anjar est toujours son chez-soi.

Bien que le dernier recensement officiel du Liban date de 1932, Minority Rights Group International, une organisation de défense des droits des minorités, estime que les Libanais d’origine arménienne représentent aujourd'hui 4 % de la population, nombre d'entre eux habitant à Bourj Hammoud, une banlieue densément peuplée de Beyrouth.

Des milliers d'entre eux sont arrivés peu après le génocide, que le gouvernement turc n'a toujours pas reconnu officiellement plus d'un siècle après les faits. La plupart des survivants qui ont trouvé refuge au Liban se sont installés près de la capitale pour reconstruire leur vie.

Le cas de Anjar est différent. À environ une heure et demie de Beyrouth, au-delà des montagnes et des vastes terres agricoles, la petite ville est surtout connue pour ses ruines omeyyades à colonnades.

Les habitants actuels sont arrivés pour la première fois en provenance de ce qui avait été le sandjak (province) syrien d'Alexandrette (aujourd'hui Hatay), réinstallés en tant que réfugiés en 1939 par les soldats du mandat français. Leurs villages ancestraux étaient situés dans ce que les Arméniens appellent affectueusement la « Musa Dagh », la montagne de Moïse. Cette année-là, les forces françaises en charge de la Syrie avaient cédé le sandjak à la Turquie, selon Joshua Donovan, chercheur postdoctoral au bureau du Pacifique de l'Institut historique allemand de Washington, qui se concentre sur les minorités au Moyen-Orient. Les Arméniens de Musa Dagh craignaient de ne pas être en sécurité s'ils restaient sur place.

Manug Keledjian, né en 1887, était originaire de la région de Musa Dagh et a participé à la résistance armée de 1915 contre le génocide. Il est arrivé à Anjar en 1939. Sa petite-fille est aujourd'hui mariée à l'homme d'affaires Yessayi Havatian. À gauche, les jumelles que Keledjian portait sur la photo. Photo João Sousa

Vingt-quatre ans plus tôt en effet, ces villageois avaient mené une résistance armée pour survivre au génocide au cours duquel les forces turques avaient tué entre 600 000 et plus d'un million d'Arméniens, la plupart d'entre eux perdant la vie au cours de marches de la mort punitives dans les profondeurs du désert oriental de Syrie. Dix-huit des leurs sont tombés au cours de cette guerre : leur mémoire est préservée et vénérée à Anjar. Les autres villageois avaient quant à eux été sauvés par des navires français qui les avaient emmenés à Port Saïd, en Égypte. Ils sont retournés chez eux en 1918, trois ans après le génocide, dans ce qui était alors un territoire sous contrôle français, pour reconstruire leurs maisons.

Mais, en 1939, alors qu'Alexandrette passe aux mains des Turcs, les 5 000 Arméniens de Musa Dagh sont de nouveau évacués, cette fois-ci en traversant la nouvelle ligne de démarcation pour retourner en Syrie, alors sous mandat français. Ils poursuivent leur route à pied, en bateau, en train et, finalement, dans des camions militaires français. Dans les souvenirs qu’ils ont transmis plus tard, ils ont décrit leur destination comme un coin de boue infesté d'insectes dans la plaine de la Békaa.

Je me souviens de notre orangeraie

Quatre-vingt-quatre ans plus tard, Anjar est une bourgade pastorale verdoyante dominée par des montagnes enneigées. On y trouve des écoles et des magasins arméniens, ainsi qu'un immense bowling et un restaurant qui attirent les mariages et les habitants des localités voisines. « Parce que c'est un village assez homogène, il est un peu différent des communautés où les Arméniens ont choisi de s'installer à Alep ou à Beyrouth » , explique M. Donovan. Les habitants y parlent toujours le dialecte de Musa Dagh, bien qu'aujourd'hui il soit teinté d'arabe.

Sirouhie Dukenjian-Shannakian, 92 ans, dans sa cuisine, le 19 avril 2023. Elle est arrivée à Anjar en 1939, alors qu'elle n'était qu'une petite fille. Elle s'est mariée à l'âge de 29 ans. Elle n'a jamais pu retourner à Musa Dagh, le voyage étant trop coûteux. Photo João Sousa

Dans une rue tranquille, Sirouhie Dukenjian-Shannakian vit avec sa fille Gariné dans une modeste maison en béton ornée de prières arméniennes et d'avocatiers en pot. Elle a 92 ans. La vieille dame se souvient encore de certains aspects de son enfance à Musa Dagh : l'intérieur de la maison en béton de sa famille, le jardin, les arbres fruitiers. « Je me souviens de notre orangeraie, confie-t-elle en s'asseyant sur un canapé rouge usé dans sa cuisine. Au-dessus, il y avait une source. » Elle raconte que son père a passé cinq ans à construire leur maison à Musa Dagh après être revenu avec les autres villageois de Port Saïd. Mais il n'y est pas demeuré longtemps. « Ils ont construit une maison et n’ont pas pu y dormir. » En effet, en 1937, son père a été engagé pour un travail de construction au Liban. La famille est partie à Beyrouth puis à Tripoli. Sirouhie Dukenjian-Shannakian avait six ans.

Ses souvenirs de cette époque sont flous, « comme un rêve » . Elle ne comprenait pas ce qui se passait autour d'elle − ni pourquoi, deux ans plus tard, ils rejoignaient d'autres familles de Musa Dagh à bord d'un train reliant Tripoli à la station militaire de Rayaq. De là, poursuit-elle, ils ont voyagé dans des véhicules de l'armée française jusqu'à Anjar où on leur a assuré des tentes, et pas grand-chose d'autre. « Il n'y avait pas d'école. Nous étions pieds nus. »

S'ensuivent des années difficiles. Sirouhie Dukenjian-Shannakian se souvient que des centaines de personnes sont mortes de maladies transmises par les insectes. Selon Hilda Doumanian, directrice du musée ethnographique de Anjar, 1 100 personnes sont mortes de paludisme et de typhoïde au cours des deux premières années de leur réinstallation. Ironiquement, observe-t-elle, Anjar signifie « eau qui coule ».

Sirouhie Dukenjian-Shannakian, 92 ans, tient une photo d'elle et de son mari. Ils se sont unis à Anjar après avoir quitté Musa Dagh alors qu'ils étaient enfants. Photo João Sousa

Des familles comme celle de Sirouhie ont utilisé des matériaux de construction fournis par la France pour construire des maisons rudimentaires comportant une seule pièce en vue de remplacer leurs tentes. Chacune d'entre elles abritait plusieurs familles. Des milliers de ces « chambres françaises » en béton, comme on les appelle aujourd'hui, existent encore dans la ville, explique Yessayi Havatian, un homme d'affaires local auteur d’ouvrages sur l'histoire de Anjar. Elles sont souvent difficiles à repérer aujourd'hui, ayant été agrandies pour devenir de véritables maisons.

L'artiste Koko Garabet dans son atelier à Anjar, le 19 avril. L'atelier fait partie des « chambres françaises » de la ville qui ont ensuite été agrandies pour devenir des maisons à part entière. Photo João Sousa

« Ici, c'est ma maison, l'Arménie est ma patrie »

Selon le président de la municipalité Vartkès Khoshian, environ 2 500 Arméniens vivent aujourd'hui « en permanence » à Anjar. Un nombre qui double en été, lorsque ceux qui résident à Beyrouth ou à l'étranger se rendent en visite dans la bourgade. La ville n’a pas été épargnée par la crise économique qui secoue le pays depuis 2019, explique M. Khoshian. « On subit tous les problèmes ici, dit-il. Pénurie de médicaments, carburant inabordable, salaires dévalués… L'aide envoyée par les émigrés de Musa Dagh a permis d'alléger quelque peu le fardeau, mais les affaires ne marchent toujours pas. »

« J'ai perdu le fruit de 30 ans de travail », déplore Yessayi Havatian, dans son entreprise de fournitures agricoles. À la caisse, des travailleurs font la queue pour acheter des semences et des engrais de Nare, sa fille âgée de 32 ans.

D'autres habitants ont également changé de profession pour garder la tête hors de l’eau, passant de l'orfèvrerie − une profession qui faisait autrefois la renommée de Anjar − à l'agriculture, malgré les risques financiers, explique Vartkès Khoshian.Yessayi Havatian maintient son entreprise en activité et se dit optimiste quant à la possibilité de rester au Liban. Depuis le début des années 2000, il s'est rendu plusieurs fois à Musa Dagh avec sa famille. « Je suis libanais à plus de 100 % parce que je vis ici et que je mourrai ici, affirme-t-il. Mais cela ne veut pas dire que je ne visite pas l'Arménie, que je n'y ai pas de maison. Cela ne veut pas dire que j'ai oublié. » Pour Hagop Aintaplian, l'avenir est partagé entre Anjar et l'Arménie. Depuis quelques mois, il cultive de manière expérimentale ses précieuses racines d'artichaut de Anjar sur les terres de ses amis en Arménie. Il espère qu'elles pousseront bien dans le sol arménien, de sorte que, s'il le souhaite, il pourra y travailler comme agriculteur et disposer d'un revenu régulier en dehors du Liban. Franchira-t-il le cap en Arménie si l'expérience se passe bien ? Le maraîcher se contente de rire. Si les racines des artichauts tiennent, lance-t-il, « alors, je les planterai » . Il a déjà acheté un appartement à Erevan, ajoute-t-il. Mais il lui serait difficile de quitter Anjar. « Ici, c'est ma maison, alors que l'Arménie est ma patrie. »

L'homme d'affaires et chroniqueur de l'histoire locale Yessayi Havatian devant son magasin de fournitures agricoles à la périphérie de Anjar, le 19 avril. Photo João Sousa

En ce dimanche soir, un millier de personnes participent à une procession dans la petite ville de Anjar, dans la Békaa. Pour la plupart des enfants et des scouts, ils portent des torches et marchent d'un site à l'autre, accompagnés par le son de la fanfare locale. Ils sont ici pour commémorer le 108e anniversaire du début du génocide arménien de 1915 au cours duquel les forces turques ont...

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Imaginons PETIT PRINCE AMERICANIAN assis tout en haut du mont ARARAT en TURQUIE. Il regarde dans la direction de l’EST que voit-il ? En face l’ARMENIE,- des silhouettes de quelques manifestants - qui portent des drapeaux Américains et de l’Union EUropéenne. Au-delà dans l’obscurité, un Point Noir (L’ARTSAKH que PERSONNE n’a ni reconnue ! ni connu?) . Puis l’AZARBEDJIAN. Plus loin, dans les vagues de la mer Caspienne «UN MIRAGE» : les destructions en … UKRAINE ( aï, aï ! ) . À droite une ouverture grisâtre sur l’IRAN à côté la république autonome du NAKHITCHEVAN, en AZERBAÏDJAN. A gauche, la GÉORGIE (pays que des Arméniens détestent autant que des libanais détestent la Syrie ). Au-delà, la RUSSIE, a L’ARRIÈRE encore, la ….. TURQUIE ( Mon dieu le nombre de Pipe-Line !! ). Notre petit prince redescend du MONT MASSIS, met pied sur le PLATEAU DE HAYKAKAN LERNACHKHARH , SONGEUR et se dit QUE VUE D’ENSEMBLE : 1) IL NE FAUT PAS OUBLIER, mais 2) il faut être moins Prétentieux . SAVOIR PACTISER. Autrement, le risque au poussin voulant devenir COQ est de tomber dans le piège de la marmite. Dès le début du XX iem siècle les ARMÉNIENS sont les premières victimes d’une période riche, très riche en GÉNOCIDE de peuples, en HOLOCAUSTE (comme certains racistes l’appellent). À NOUS TOUS, il est temps de dire qui SONT RESPONSABLES, se cacher derrière son petit doigt, ne sert à rien.

aliosha

14 h 51, le 25 avril 2023

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  • Imaginons PETIT PRINCE AMERICANIAN assis tout en haut du mont ARARAT en TURQUIE. Il regarde dans la direction de l’EST que voit-il ? En face l’ARMENIE,- des silhouettes de quelques manifestants - qui portent des drapeaux Américains et de l’Union EUropéenne. Au-delà dans l’obscurité, un Point Noir (L’ARTSAKH que PERSONNE n’a ni reconnue ! ni connu?) . Puis l’AZARBEDJIAN. Plus loin, dans les vagues de la mer Caspienne «UN MIRAGE» : les destructions en … UKRAINE ( aï, aï ! ) . À droite une ouverture grisâtre sur l’IRAN à côté la république autonome du NAKHITCHEVAN, en AZERBAÏDJAN. A gauche, la GÉORGIE (pays que des Arméniens détestent autant que des libanais détestent la Syrie ). Au-delà, la RUSSIE, a L’ARRIÈRE encore, la ….. TURQUIE ( Mon dieu le nombre de Pipe-Line !! ). Notre petit prince redescend du MONT MASSIS, met pied sur le PLATEAU DE HAYKAKAN LERNACHKHARH , SONGEUR et se dit QUE VUE D’ENSEMBLE : 1) IL NE FAUT PAS OUBLIER, mais 2) il faut être moins Prétentieux . SAVOIR PACTISER. Autrement, le risque au poussin voulant devenir COQ est de tomber dans le piège de la marmite. Dès le début du XX iem siècle les ARMÉNIENS sont les premières victimes d’une période riche, très riche en GÉNOCIDE de peuples, en HOLOCAUSTE (comme certains racistes l’appellent). À NOUS TOUS, il est temps de dire qui SONT RESPONSABLES, se cacher derrière son petit doigt, ne sert à rien.

    aliosha

    14 h 51, le 25 avril 2023

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