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Politique - Éclairage

Retour des migrants syriens : le Liban a-t-il mis la barre trop haut ?

Beyrouth se prépare à plaider sa cause lors du prochain sommet de Bruxelles prévu le 27 mai.

Retour des migrants syriens : le Liban a-t-il mis la barre trop haut ?

Des enfants réfugiés dans l'un des multiples camps de la Békaa. Photo Mohammad Yassine/L'OLJ

Depuis quelques semaines, le gouvernement s’évertue à donner le sentiment qu'il va prendre le dossier des migrants syriens à bras-le-corps. La sonnette d’alarme a été tirée au lendemain du meurtre du cadre des Forces libanaises, Pascal Sleiman, par un gang syrien selon les autorités, et les actes d’agression contre des Syriens innocents qui s’ensuivirent. Ces événements  auraient eu raison du laxisme de l'État libanais à trouver un règlement à ce dossier sensible et explosif. Mais Nagib Mikati, qui, depuis le perron de Bkerké, a exprimé il y a deux semaines son intention de rapatrier la « plupart des réfugiés », a-t-il réellement la volonté sinon les moyens de le faire ? Pourquoi le Liban  a-t-il encore tant de mal à aborder cette question autrement que dans l’instantanéité et à coups de décisions intempestives et décousues ?

Le premier obstacle, et non des moindres, est l'objection de la Syrie au retour des migrants. Depuis le départ, Damas exprime son souhait d’ouvrir ses portes pour ses citoyens, mais insiste à ce jour pour avoir un interlocuteur officiel en face. Concrètement, cela signifie que le régime de Bachar el-Assad cherche une normalisation de ses relations avec le Liban, un processus également souhaité par le Hezbollah, mais qui divise profondément le reste des Libanais. « Assad pourrait accepter le retour de quelques réfugiés seulement (passés au crible) mais pas de l’ensemble. Il conditionne cela à une normalisation avec son régime mais aussi à une aide économique (de la communauté internationale) pour soi-disant reconstruire certaines zones détruites dans la guerre », décrypte Ziad Majed, directeur du programme des études du Moyen-Orient à l'Université américaine de Paris.

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Au Liban en tout cas, la machine a été (re)mise en marche. Après une réunion ministérielle tenue le 15 avril, et au cours de laquelle l’exécutif a fermement exprimé sa volonté de plancher sur ce dossier, une seconde réunion ministérielle à laquelle ont été conviés des représentants de la justice et des services de sécurité s'est tenue mardi pour effectuer un suivi. Au menu : les modalités de rapatriement de la population carcérale syrienne qui équivaut à près de « 30 % des prisonniers », selon une source ministérielle informée. De source ministérielle, L'OLJ a appris que la Syrie a déjà donné son accord de principe pour l'accueil des prisonniers qui seront expulsés une fois le dossier complété, « à l'exception de ceux d'entre eux qui ont des problèmes politiques avec le régime ». « De toute évidence, le problème ne peut être résolu sans établir une communication avec l'État syrien », a déclaré le ministre de la Justice, Henry  Khoury, à l'issue de la réunion, annonçant que le directeur par intérim de la Sûreté générale, Élias Baïssari, sera en charge du dossier.  Mercredi, comme une vraie ruche d'abeilles, les réunions se sont poursuivies aux niveaux parlementaire et ministérielle autour de ce sujet.

Environ 1,5 million de Syriens vivent au Liban, selon les autorités, ce qui en fait le pays avec le plus grand nombre de réfugiés par habitant au monde. Environ 800 000 d'entre eux sont enregistrés auprès des Nations unies, mais leur nombre exact n'est pas connu, le gouvernement libanais ayant demandé au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en 2015 de ne plus les enregistrer. L'année dernière, les autorités ont appelé le HCR à leur fournir ces données dans le cadre d'un accord que l'agence et le Liban avaient conclu en août 2023. L'absence de ces données rend la tâche des autorités difficile dans la mesure où celles-ci n’ont pas réussi jusqu’ici à effectuer une classification des migrants selon leur statut  (réfugiés politiques, économiques, travailleurs etc), un processus nécessaire pour identifier ceux qui sont rentrés au Liban illégalement. La question se pose également pour tous ceux qui se sont infiltrés au Liban depuis 2015 et qui se sont évaporés dans la nature. Bonne nouvelle, cependant : mercredi, le ministre de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a annoncé que « la direction générale de la Sûreté générale a reçu les données permettant de connaître le nombre de réfugiés syriens ».

Des plans jamais exécutés
Pourtant, ce ne sont pas les plans qui manquent mais la volonté politique de les faire appliquer, la question des migrants ayant fait à ce jour l’objet de nombreux tiraillements au sein des différents partis politiques qui se sont polarisés autour de ce dossier instrumentalisé à outrance, de sorte à empêcher toute solution concertée. 

« Tout a été fait à ce jour pour définir une politique publique holistique en vue d’organiser, selon une méthodologie scientifique chiffrée, la présence des réfugiés syriens et de les répertorier en catégories. Les plans existent depuis 2014 avec des amendements apportés en 2016 puis en 2020. Mais rien n’a été appliqué », déplore Ziad el-Sayegh, expert en politiques publiques et dans les questions de migration. Aujourd’hui, et alors qu’il existe désormais une unanimité autour de la nécessité de leur retour, il n’est pas trop tard pour rectifier le tir, selon lui. « Le recensement peut être fait à l’aide des municipalités, de la société civile et des instances économiques et religieuses. Il n’y a qu’à appliquer les circulaires émises il  y a trois ans par le ministère de l’Intérieur imposant aux municipalités de classifier les réfugiés résidant dans leurs localités respectives », dit M. Sayegh. Une tâche à laquelle ont commencé à s'atteler quelques municipalités, mais qui reste à ce jour timide. 

Pressions diplomatiques  ?
L’intérêt que l’État libanais cherche à démontrer depuis quelques semaines ne convainc pas pour autant certains experts,  sceptiques, qui justifient la surenchère à laquelle se livrent les autorités en amont du sommet de Bruxelles sur les réfugiés, prévu le 27 mai prochain, par une volonté tacite de recueillir plus de fonds en contrepartie du maintien des migrants au Liban.  « Je crains fort que plus on se rapproche de la date de la conférence de Bruxelles, plus le gouvernement cherchera à  amplifier le problème en vue de solliciter un plus grand financement. Un scénario qui se réitère tous les ans », décrypte Ziad el-Sayegh.

Officiellement,  le Premier ministre, Nagib Mikati, œuvre à convaincre l'Union européenne de l'existence de « zones sûres en Syrie », qui peuvent accueillir les migrants. Ces derniers devraient alors pouvoir bénéficier des aides occidentales en territoire syrien plutôt que  libanais. « L'aide de l'UE aux réfugiés syriens devrait être orientée vers leur rapatriement », a-t-il dit  lors de sa réunion avec le commissaire européen chargé de l'élargissement, Olivér Varhelyi, en visite lundi à Beyrouth. M. Varhelyi a pour sa part indiqué que « les conditions du retour volontaire, sûr et digne, devraient être respectées, en coopération avec les autorités libanaises » avant de souligner que « le Conseil européen à l'UE est prêt à maintenir son soutien aux réfugiés syriens au Liban ». Comprendre que pour l’UE, rien n’a changé, et que le retour « volontaire »  reste la règle d’or. Les promesses d’aide pour le maintien des migrants restent également de vigueur.

Depuis le début de la crise, le HCR a affiché une prise de position ferme objectant tout retour non volontaire des migrants, pour notamment protéger les réfugiés politiques qui risquent la persécution dans leur propre pays. Un argument qui fut à l’origine d’un bras de fer entre la diplomatie  libanaise – qui réclamait les listes nominales des réfugiés syriens – et les Nations unies, soucieuses de protéger leurs données privées.  Dans un rapport datant de septembre 2021, Amnesty international a documenté un « catalogue de violations horribles commises par les agents des renseignements syriens contre 66 rapatriés syriens, dont 13 enfants. La majorité des enfants étaient revenus du Liban, dont deux qui avaient été expulsés ».

« On peut critiquer l’Europe et l’Occident sur toute leur politique dans la région. Mais  je ne pense pas qu’ils ont tort quand ils disent que les conditions en Syrie ne sont pas encore réunies pour le retour des réfugiés », dit Ziad Majed. « La solution suppose l'examen de ce dossier sur le plan diplomatique avec les Nations unies et avec les pays décideurs de sorte à rationaliser l’approche au plan libanais en évitant le populisme car nous sommes en présence d'une bombe à retardement », abonde M. Sayegh.  

Refus de l'implantation
Le Liban se prépare donc à affronter les décideurs européens à Bruxelles. Selon des sources ministérielles, l’exécutif compte sur une intervention musclée de Chypre, particulièrement préoccupée par la question des migrants syriens qui débarquent à Nicosie en provenance du Liban. 

Quant au Hezbollah, il a fini par sortir de sa réserve pour mettre en garde à son tour contre les séquelles d’une présence syrienne de plus en plus accrue, par le biais notamment du mutfi jaafarite, Ahmad Kabalan, qui accuse ouvertement l’Occident d’obstruer le rapatriement des Syriens. À diverses occasions, le mufti Kabalan, réputé pour dire tout haut ce que le Hezb pense tout bas, a affirmé que la communauté chiite n’acceptera aucune forme d’intégration ou d’implantation des migrants. La crainte de l’implantation est également partagée par les chrétiens. Le dignitaire chiite a même préconisé de faciliter, par voie maritime, les départs illégaux des Syriens vers les pays européens – qui craignent plus que jamais l’affluence des migrants vers leur territoire – « pour faire pression sur eux ».    

Depuis quelques semaines, le gouvernement s’évertue à donner le sentiment qu'il va prendre le dossier des migrants syriens à bras-le-corps. La sonnette d’alarme a été tirée au lendemain du meurtre du cadre des Forces libanaises, Pascal Sleiman, par un gang syrien selon les autorités, et les actes d’agression contre des Syriens innocents qui s’ensuivirent. Ces...

commentaires (5)

A ce rythme, un jour là Syrie finira divisé avec son pays alaouite comme cela avait été prévu sous le mandat français, son Kurdistan, son pays Druze et même une bande pour les chiites qui pourront faire le lien entre le Hezbolland et la partie chiite de l'Irak qui jouxte l'Iran. Et le reste rejoindra la partie sunnite de l'Irak. Et les Chrétiens ? Au Liban ?

Nicolas ZAHAR

00 h 42, le 26 avril 2024

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Commentaires (5)

  • A ce rythme, un jour là Syrie finira divisé avec son pays alaouite comme cela avait été prévu sous le mandat français, son Kurdistan, son pays Druze et même une bande pour les chiites qui pourront faire le lien entre le Hezbolland et la partie chiite de l'Irak qui jouxte l'Iran. Et le reste rejoindra la partie sunnite de l'Irak. Et les Chrétiens ? Au Liban ?

    Nicolas ZAHAR

    00 h 42, le 26 avril 2024

  • Blanchard El Assad fait comme Israël qui veut pas les palestiniens

    Eleni Caridopoulou

    18 h 32, le 25 avril 2024

  • Demandez-vous pour quelle raison les autorités libanaises obéissent comme des chiens fidèles aux instructions des puissances occidentales qui continuent à oeuvrer pour la naturalisation des réfugiés ! Encore une fois , notre mentalité d'assistés chroniques et de mendiants invétérés nous entraîne à obtempérer aux ordres des puissances étrangères occidentales et en particulier à ceux d'entre elles qui nous veulent le plus de mal ! BASTA !

    Chucri Abboud

    16 h 27, le 25 avril 2024

  • “l'objection de la Syrie au retour des migrants” . Du jamais vu . Un président qui rejette ses citoyens, réfugiés dans un pays voisin, pour la raison qu’ils appartiennent à une communauté religieuse qui lui est hostile. Assad s’emploie à purifier son territoire à nos dépens sous le regard indifférent, voire approbateur, de la communauté internationale.

    Hitti arlette

    11 h 10, le 25 avril 2024

  • Un pt’it article pour expliquer les différences entre migrant, réfugié, et immigré peut-être?

    Gros Gnon

    07 h 50, le 25 avril 2024

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