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Culture - Danse

Pour ses 20 ans, Bipod jette de nouvelles fondations

Figure de proue de la vie culturelle libanaise depuis sa création en 2004, l’événement a connu différentes étapes. Ce lien fort qu’il entretient avec le pays, à la base de son existence, est au centre de cette édition-anniversaire qui ouvre la voie à une remise en question.

Pour ses 20 ans, Bipod jette de nouvelles fondations

Pour clore l’événement Bipod, une danse jam session a mêlé professionnels, amateurs et simples spectateurs. Photo Milad Ayoub

Avec une dizaine de danseurs libanais et autant venus d’Europe, la vingtième édition du festival de danse contemporaine Bipod, organisée du 16 au 21 avril 2024 à Beyrouth, a fait la part belle à la scène locale. Depuis ses débuts, l’une des missions de cet événement phare au Liban est de propulser les jeunes talents, tel que Charlie Prince qui explore la relation au corps ainsi que l’héritage musical oriental pour produire de nouvelles formes.

De l’autre côté de la Méditerranée, la situation sécuritaire dans le sud du pays a découragé certains invités à faire le voyage, comme c’est notamment le cas de la compagnie française Tamanoir Immersive Studio, et du danseur italien programmé samedi 20 avril avec Omar Rajeh, qui ont annulé leur participation.

Après une année de pause, dédiée à la réflexion et à la remise en question, le rendez-vous incontournable de la vie culturelle beyrouthine est revenu avec une édition spéciale intitulée « To do, to share » (faire, partager) pour célébrer ses vingt ans.

Omar Rajeh et Mia Habis le couple à l’initiative du festival qui célèbre ses 20 ans aujourd'hui. Photo Milad Ayoub

Connecté à la ville

Né d’un besoin propre à la réalité libanaise, Bipod a évolué dans un contexte politique, économique et culturel qui l’a toujours encouragé à se repenser. Pourtant, après des années de croissance, l’année 2019 a marqué une rupture, avec la thaoura, la crise financière puis sanitaire, suivie de l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. À la suite de cela, comme de nombreux d’artistes, les cofondateurs Mia Habis et Omar Rajeh ont pris le chemin de l’exil avec leur fils. Aujourd’hui installée en France, leur compagnie Maqamat collabore entre autres avec la Maison de la danse à Lyon, la Scène nationale Chalon-sur-Saône et le Centre chorégraphique national de Grenoble.

« Depuis notre départ, il a fallu s’adapter à beaucoup de choses », explique Mia Habis dans un entretien avec L’Orient-Le Jour. En 2020, dans le contexte des confinements dus à la pandémie de Covid-19, Bipod a lieu en live streaming via la plateforme Citerne.live, encore active à ce jour pour diffuser une partie des activités, tel le forum d’échanges entre artistes libanais et internationaux Moultaqa Leymoun. En 2021 et 2022, le festival se tient entre Lyon et Beyrouth. Pour répondre au contexte de crise économique, il est gratuit au Liban.

La danseuse contemporaine Laurence Yadi lors de sa performance "Today", le 18 avril 2024 aux usines Abroyan à Beyrouth. Photo Myriam Boulos

Même si l’activité a repris depuis, « il y a un avant et un après 2019, souligne Omar Rajeh. On est loin des bénéfices engendrés par la billetterie, qui permettaient auparavant de financer près de la moitié des spectacles ». Pour les deux danseurs et chorégraphes, une remise en question totale s’impose sur la raison d’être de leur festival à Beyrouth, la programmation, les formats, la pertinence de se produire sur scène. « Bipod est connecté à Beyrouth. Tous les désastres que nous traversons, aussi horribles qu’ils soient, nous poussent à interroger l’essence même de ce que l’on veut faire », livre Omar Rajeh.


À la rencontre du public

Comme l’indique son titre « To do, to share », cette nouvelle édition-anniversaire souhaite insuffler une nouvelle approche de la danse, en tant qu’expérience qui se vit et se partage de manière organique, et non comme un objet de consommation visant à divertir. « On veut impliquer les spectateurs dans l’action. Si le théâtre n’était pas connecté à l’essence même de notre vie quotidienne, alors pourquoi irait-on ? » s’interroge Omar Rajeh. « Avec ce qu’il se passe en ce moment à Gaza et au sud du Liban, nous sommes dévastés. Côtoyer la mort nous met face à nos priorités. Quels autres choix a-t-on que de continuer à faire, à motiver les gens pour rester solidaires ? »

Alors que les relations interhumaines entrent dans une nouvelle ère, avec la numérisation, la polarisation du monde, les pouvoirs autoritaires et les conflits, les organisateurs de Bipod ont opté pour une autre configuration de l’espace afin de rompre la relation traditionnelle avec le public et de déployer une philosophie spécifique à cette édition. La diversité des lieux offerts par les usines Abroyan autorise une grande liberté de mouvement et met le public au même niveau que les artistes. « Cette manufacture désaffectée recèle une symbolique très forte, ajoute Mia Habis. Elle est détruite, pourtant ses murs tiennent encore. C’est notre passé, mais le public, les performances des artistes apportent de la vie. Et c’est ce dont nous avons besoin en ce moment. »

Situé dans le quartier populaire et métissé de Bourj Hammoud, en périphérie de Beyrouth, cet espace connecté avec l’histoire de la ville, se situe en dehors des codes du théâtre. « Il faut repenser le format des festivals, affirme Omar Rajeh. Ce que l’on présente aujourd’hui en trois jours, on le faisait avant en trois semaines. Le retour du public est très positif, c’est probablement l’édition la plus incroyable. La ville est détruite, les gens aussi. Pourtant, il y a de la joie et de la motivation. »

La performance "Trama" par la compagnie espagnole Roser Lopez Espinoza, le 18 avril 2024 aux usines Abroyan à Beyrouth. Photo Myriam Boulos

Une autre réalité

Cette envie d’expérimenter, de faire perdre au spectateur ses repères a commencé chez le chorégraphe avec la performance Beytna, succès international mettant en scène une cuisine libanaise avec sa mère pour cheffe. « Je souhaite passer de l’esthétique à l’action. La danse a longtemps été enfermée dans la culture des arts visuels en Europe et par conséquent chez nous. Notre approche du corps est davantage liée à la relation à l’être. Et de plus aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle, on va vers de nouvelles connexions. Faire c’est communiquer. »

Pour ouvrir l’édition de cette année, le couple à l’initiative du festival a justement choisi l’artiste allemand Moritz Ostruschnjak, qui explore la transformation des expériences physiques et sociales à l’ère du numérique et du virtuel. La pièce inauguratrice a, elle, été confiée à l’artiste franco-suisso-algérienne Laurence Yadi, qui incarne « l’essence du mouvement ». Dans un espace confiné sous les toits de l’usine, le spectateur suffoque devant le tremblement continu de la danseuse en nage, véritable prouesse physique et manifeste sur l’idée de résistance.

Un spectacle de Bipod avec l’artiste allemand Moritz Ostruschnjak sur l'esplanade du Musée Sursock. Photo DR

Dans cet esprit d’action et de participation, plusieurs rencontres improvisées ont ouvert le champ à des interactions avec des danseuses contemporaines, telles Khouloud Yassine, Mia Habis, Diamant Bou Abboud, ou Roser Lopez Espinoza, et avec le maître du tango Mazen Kiwan. La performance dabké de Mounir Malaeb a donné lieu à une chorégraphie collective où chacun apportait sa touche personnelle. Pour clore l’événement, une danse jam session a mêlé professionnels, amateurs, et simples spectateurs. « On a besoin de ce genre d’interactions spontanées mais artistiques, pas seulement divertissantes, glisse Omar Rajeh. Au-delà de la liberté d’expression, cette connexion consciente à notre être est importante à rétablir partout dans le monde. Il y a une fragilité dans notre rencontre et c’est ce qui est beau, même si nous ne savons pas encore bien où nous allons. »

 En attendant, ce moment extirpé du quotidien permet à une autre réalité d’exister.

Avec une dizaine de danseurs libanais et autant venus d’Europe, la vingtième édition du festival de danse contemporaine Bipod, organisée du 16 au 21 avril 2024 à Beyrouth, a fait la part belle à la scène locale. Depuis ses débuts, l’une des missions de cet événement phare au Liban est de propulser les jeunes talents, tel que Charlie Prince qui explore la relation au corps...

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