Ce n’est pas au quintette de choisir le prochain président du Liban. Le groupe mène une mission de bons offices pour accompagner les protagonistes libanais dans ce processus. Tel est le message principal que les ambassadeurs accrédités à Beyrouth des États-Unis, de la France, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et du Qatar ont voulu transmettre à leurs interlocuteurs libanais lors de la première journée du nouveau round de contacts entamé mardi. Sauf que rien ne prête à croire que la démarche réussira à débloquer le dossier, les acteurs concernés campant jusqu’ici sur leurs positions : face à un tandem chiite attaché à la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, et qui veut consacrer le président de la Chambre, Nabih Berry, comme passage obligé de tout déblocage, l’opposition insiste sur son exigence d'un scrutin conforme aux mécanismes constitutionnels. Dans cette configuration, le quintette s’éloigne des terrains minés. Ne voulant pas se noyer dans les détails de forme du dialogue, ni dans les dédales des noms de présidentiables, il s’active en quête d’un terrain d’entente ne serait-ce qu’autour du profil du futur chef de l’État.
C’est autour de ce dernier point que se sont articulées les réunions des ambassadeurs avec plusieurs protagonistes au domicile de l’Égyptien Ala’ Moussa à Daouhet Aramoun. Avant de recevoir leurs interlocuteurs, les diplomates s’étaient réunis entre eux pour « réaffirmer l’image unifiée du groupe et venir en aide aux Libanais afin de doter le pays d’un président le plus rapidement possible », pour reprendre les termes d’un diplomate occidental basé à Beyrouth.
Les cinq diplomates se sont ensuite entretenus avec une délégation du bloc de l’Entente nationale de Fayçal Karamé, député de Tripoli gravitant dans l’orbite du Hezbollah. « Nous avons saisi l’occasion pour réitérer notre position en faveur d'un dialogue mené par Nabih Berry », confie à L’Orient-Le Jour Hassan Mrad, député membre du groupe, faisant valoir que lors de la réunion, M. Karamé a présenté une proposition de solution. « Nous sommes devant trois options : l’élection d’un président de la République, la tenue d’un dialogue sous la houlette de Nabih Berry en vue d’une sortie de crise ou l’organisation de législatives anticipées après une modification de la loi électorale actuelle (prévoyant la proportionnelle appliquée à 15 circonscriptions avec vote préférentiel au niveau du caza) », explique un proche du député de Tripoli. Selon lui, les changements que M. Karamé veut introduire au texte de loi se résument à deux votes préférentiels (au lieu d’un seul) et à un élargissement des circonscriptions. Ainsi, le Liban-Nord II (Tripoli et Minié-Denniyé, à grande majorité sunnite) fusionnerait avec le Liban-Nord III (Zghorta, Bécharré, Koura et Batroun, à grande majorité chrétienne). Un changement qui permettrait aux électeurs sunnites d'influer sur la bataille entre les trois leaders chrétiens du Nord, à savoir Sleiman Frangié, le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, et son principal rival, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea. « La tenue de législatives anticipées devrait permettre l’élection d’un président dans la mesure où le Parlement actuel avec sa majorité étriquée ne pourra pas remplir cette tâche », explique le proche de Fayçal Karamé. Mais on n’en est pas encore là. Pour le moment, ce dernier se dit convaincu que seul le dialogue parrainé par Nabih Berry pourrait mener à une sortie de crise. « C’est la seule solution », a-t-il estimé dans une déclaration à la presse à sa sortie de Daouhet Aramoun. « Il est évident qu’il y a une coordination et une confiance totale entre le quintette et Nabih Berry », a-t-il ajouté.
De toute évidence, cette fleur lancée en direction de Aïn el-Tiné viserait à renflouer l’appel du maître du perchoir au dialogue, rejeté par l’opposition. Cela veut-il pour autant dire que M. Berry a désormais le vent en poupe ? Pas vraiment. D’abord parce que dans les milieux diplomatiques occidentaux, on se veut un peu plus nuancé : « Le principe du dialogue est acquis. Mais il revient aux Libanais de régler les détails de forme, notamment celui portant sur la présidence du dialogue », explique un diplomate occidental, comme pour faire comprendre que contrairement à ce qu’espère Fayçal Karamé, le feu vert du quintette à la démarche voulue par M. Berry n’est pas encore donné. Un point confirmé par Ala’ Moussa à l’issue de la longue journée de réunions. « Il n’est pas vrai que nous faisons la promotion de la proposition Berry. Nous retenons les points positifs de toutes les propositions », a-t-il précisé à la chaîne locale MTV. « À l’heure actuelle, nous poursuivons le forcing pour l’élection d’une figure de troisième voie dont les caractéristiques sont au centre des discussions en cours », ajoute la source diplomatique citée plus haut.
L’initiative Abdel Massih
De leur côté, les anti-Hezbollah continuent de s’opposer à tout dialogue dirigé par Nabih Berry. « Nous avons exprimé notre opposition à tout ce qui irait à l’encontre de la Constitution », déclare à L’OLJ Achraf Rifi, membre du bloc du Renouveau ayant participé à une réunion avec les cinq ambassadeurs aux côtés de ses collègues Fouad Makhzoumi et Adib Abdel Massih. Ce dernier en a profité pour proposer une initiative présentée comme une solution médiane entre le dialogue prôné par le chef du législatif et le projet lancé en février dernier par le bloc de la Modération nationale (députés majoritairement sunnites ex-haririens), prévoyant des concertations parlementaires informelles suivies d’une séance électorale ouverte avec des tours de vote successifs jusqu’à ce que le pays se dote d’un président. L’initiative de M. Abdel Massih prévoit la tenue d’une séance électorale suite à une convocation de la part du président de la Chambre. Au premier tour, aucun candidat ne remporte la bataille, sachant que tous les protagonistes devraient s’engager à ne pas provoquer un défaut de quorum pour torpiller la séance. Des concertations peuvent alors être tenues sous la présidence de M. Berry, et puis se tiendraient des tours de vote successifs. « C’est une façon de mettre tout le monde au pied du mur », indique l'intéressé à L’OLJ, affirmant ne pas avoir discuté de la proposition avec son groupe. Le bloc du Renouveau a d’ailleurs publié un communiqué dans lequel il souligne que « la proposition ne signifie pas que le groupe a avalisé le principe de dialogue sous la présidence de Nabih Berry », réitérant (ses) « constantes, notamment pour ce qui est de l’attachement à la Constitution et à l’accord de Taëf ».
Les ambassadeurs du quintette se sont également réunis avec le Tachnag et Michel Doueihy, membre de l’Alliance du changement (regroupant également Waddah Sadek et Mark Daou, députés de la contestation). aux côtés de ses collègues Melhem Khalaf, Najate Saliba et Firas Hamdane. Mercredi, ils devraient se concerter avec Sleiman Frangié et la Modération nationale. Une réunion est également prévue avec le chef des Kataëb, Samy Gemayel.
Quelle est la différence entre un dialogue présidé par Berry et un dialogue qui n'est pas présidé par Berry ? M.Z
12 h 29, le 18 avril 2024