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Lifestyle - Photo-roman

Le pays où il n’y a pas de frontières entre le rêve et le cauchemar

Le pays où il n’y a pas de frontières entre le rêve et le cauchemar

Photo G.K.

C’est une vidéo que je reçois sur un groupe WhatsApp, dimanche à l’aube, après une nuit sans fermer l’œil. Une nuit à retenir mon souffle, le cœur à mille à l’heure, en suivant sur mon écran, minute par minute, la trajectoire des missiles et drones lancés par l’Iran vers Israël.

Sur la vidéo en question, il y a d’abord le ciel du Liban, nuit parfaite d’avril, où les missiles et drones, une fois interceptés, explosent et s’évaporent dans le noir, comme font les étoiles en s’éteignant. Des images qui défient la science-fiction. Puis tout d’un coup, lorsque la caméra change d’angle, on se retrouve dans une boîte de nuit beyrouthine à ciel ouvert ; de celles qui inaugurent en ce moment leurs saisons estivales, malgré tout et à tout prix. Un homme, que l’on voit de dos, tient un verre d’une main, et, de l’autre, il pointe un projectile iranien qui crève au-dessus de sa tête. Il dit aux amis qui dansent et ne réagissent pas : « Regardez, regardez là-haut ! » Les amis lèvent alors les yeux au ciel, lâchent de concert un waaaaw qui traîne, puis se mettent à rire. Les détonations crachées par les haut-parleurs de la boîte de nuit se mélangent à celles des drones et missiles qui explosent dans notre espace aérien. À tel point qu’on ne sait plus laquelle des déflagrations recouvre l’autre, le boum de la fête ou celui du danger, on ne comprend plus qu’est-ce qui est quoi, et, en vrai, ce qui se passe. R. m’apprend que la soirée s’était prolongée jusqu’au lever du jour, comme si de rien n’était. Je rejoue en boucle la courte vidéo. Ces dix secondes suffisent à faire le portrait du Liban et le nôtre, Libanais. Sur le paysage comme sur les visages, tout s’imbrique et tout déteint sur tout. Le rêve et le cauchemar, la peur de mourir et la peur de passer à côté de la vie, et cette alliance des contraires forme un ensemble que seule la folie peut relier. Comment, même au bord du cauchemar, on se débrouille pour être, en même temps, au cœur de la joie ?

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Dimanche matin, à peine avions-nous oublié ce qui a pourtant ressemblé, le temps d’une nuit, au déclenchement d’une troisième guerre mondiale, une blague s’est aussitôt mise à circuler. Une sorte de parodie de cette légendaire formule à laquelle les Libanais ont tous été biberonnés dans les livres d’histoire : « Le Liban se distingue de par sa situation géographique. » Hahaha. Tout le monde trouve cela très drôle. Hormis cette fascination teintée d’incompréhension que j’ai depuis toujours pour notre capacité à rire de tout, même du plus sinistre, je me demande sérieusement comment cette situation géographique réellement spéciale, précieuse  ; comment ce morceau de terre inondé de « miel et de lait » qui est le nôtre peut en même temps être notre plus grosse malédiction. C’est que jamais, autant qu’aujourd’hui, la beauté et la laideur n’ont été à la fois si proches, concrètement, et si loin, en fait. À chaque fois que je tombe sur une image du Sud, celle d’un champ d’olivier déchiré par des obus de phosphore blanc, mais que je découvre ensuite, quelque part, toujours, un rayon de soleil qui vient soigner ce paysage comme on racole les morceaux d’une céramique fêlée au fin fil d’or, je ne comprends pas comment la magie ose encore s’aventurer ici, en plein cœur de la mort.

Le jour de la riposte iranienne, 13 avril, comme par hasard, nous commémorions le 49e anniversaire du début de la guerre civile libanaise. Le 13 avril, l’histoire d’une bosta Fargo des années 60, qu’un chauffeur à chemise à carreaux ouverte sur le torse avait sans doute astiqué ce matin du 13 avril 1975 à l’aide de son plumeau, comme tous les autres matins ordinaires, avant d’aller embarquer un groupe de Palestiniens pour les emmener vers le camp de Tall el-Zaatar.

L’histoire d’une bosta, notre version drolatique et fêtarde des transports en commun, avec son klaxon reconnaissable parmi mille, ses sièges en skaï et ses passagers debout qui débordent des fenêtres, transformé l’espace d’un massacre en l’emblème traumatisant de quinze ans de guerre qui ont tout rasé sur leur passage. Comme ces gens qui dansent sous des missiles qui explosent au-dessus de leur tête, comme la lumière qui trouvera toujours le moyen de recoller le Liban en morceaux, cette bosta Fargo restera la métaphore ultime d’un pays où il n’y a pas de frontières entre le rêve et le cauchemar…

C’est une vidéo que je reçois sur un groupe WhatsApp, dimanche à l’aube, après une nuit sans fermer l’œil. Une nuit à retenir mon souffle, le cœur à mille à l’heure, en suivant sur mon écran, minute par minute, la trajectoire des missiles et drones lancés par l’Iran vers Israël. Sur la vidéo en question, il y a d’abord le ciel du Liban, nuit parfaite d’avril, où les...

commentaires (1)

Très juste : le Liban est le pays des paradoxes. D' un seul coup d'œil, on voit toujours en même temps quelque chose de lais et quelque chose de beau!

Politiquement incorrect(e)

21 h 22, le 15 avril 2024

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Commentaires (1)

  • Très juste : le Liban est le pays des paradoxes. D' un seul coup d'œil, on voit toujours en même temps quelque chose de lais et quelque chose de beau!

    Politiquement incorrect(e)

    21 h 22, le 15 avril 2024

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