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Philippe Djian : un huis clos orageux

Philippe Djian : un huis clos orageux

D.R.

Dans son dernier roman intitulé Faites vos jeux, Philippe Djian nous transporte sur une île où vit Victor, un retraité qui se fait passer pour malade afin d’apitoyer ses deux enfants qui vivent sur le continent : Jonas, qui en est à son troisième mariage, et Édith, une « emmerdeuse » très indépendante qui bosse dans une agence immobilière. Or Victor n’est pas seul : il y a Magalie, une jeune femme qu’il rémunère pour lui tenir compagnie, un secret qu’il a décidé de dévoiler non sans hésitation : « Magalie lui mettait la pression et elle avait raison. Tôt ou tard, ses enfants finiraient par l’apprendre. Il n’en doutait pas. Simplement, il n’était pas pressé. Il avait beau n’être pas aussi délabré qu’il cherchait à leur faire croire, il n’avait pas l’intention de leur livrer une nouvelle bataille. »

Lors d’une visite de ses enfants, avec qui il entretient des rapports tendus depuis le départ de leur mère « qui n’avait plus donné signe depuis des lustres », un orage terrible s’abat sur l’île, obligeant la famille à se confiner dans une même maison. Pendant la tempête, Edith retrouve un amour de jeunesse, Joël, et le frère de celui-ci, Anthony, personnage « cinglé » et insistant. Confrontée à ce duo et à la femme de Joël, jalouse jusqu’à l’hystérie, Edith est prise au piège. Quant à Jonas, sa relation avec sa future troisième épouse, Agatha, est si instable qu’il hésite à franchir le pas…

Les histoires de familles qui se retrouvent pour régler leurs comptes et « laver leur linge sale » sont courantes en littérature. L’on songe en particulier à la pièce August : Osage County (Un été à Osage County) de Tracy Letts, portée à l’écran par John Wells avec Meryl Streep et Julia Roberts dans les rôles principaux, où, à l’occasion de l’enterrement de leur père suicidé, trois filles se réunissent avec leur mère à Osage : une série de conflits s’ensuit  ; les rancœurs et les secrets remontent à la surface… Mais ce qui fait néanmoins l’originalité et la force du roman de Philippe Djian, c’est son style, reconnaissable entre tous, avec cette alternance de narrateurs, cette cohabitation harmonieuse de tournures soignées et de mots familiers, cet art de l’ellipse, cette absence de tirets au début des dialogues qui font ainsi corps avec le texte, mais aussi son ton à la fois grave et désinvolte, et sa capacité à bien planter le décor, à créer une atmosphère sui generis grâce au pouvoir évocateur des mots – ici, l’île dévastée par la tempête, avec une description minutieuse de l’ambiance, des intempéries, de la lumière, d’une manière si visuelle qu’on se croirait au cinéma – ce qui justifie sans doute que plusieurs des romans de l’auteur, comme le fameux 37.2 le matin, aient fait l’objet d’adaptations cinématographiques réussies.

Le lecteur sort de Faites vos jeux lessivé, comme si les trombes d’eau qui ont ravagé l’île avaient fini par l’atteindre : aucun des personnages ne réussit à trouver le bonheur dans la tempête de la vie. Et si Jonas, à la fin du roman, décide de faire de la boxe et de « payer pour prendre des coups dans la gueule », c’est sans doute parce qu’il a enfin compris que l’existence est un ring.

Faites vos jeux de Philippe Djian, Julliard, 2024, 233 p.

Dans son dernier roman intitulé Faites vos jeux, Philippe Djian nous transporte sur une île où vit Victor, un retraité qui se fait passer pour malade afin d’apitoyer ses deux enfants qui vivent sur le continent : Jonas, qui en est à son troisième mariage, et Édith, une « emmerdeuse » très indépendante qui bosse dans une agence immobilière. Or Victor n’est pas...

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