Rechercher
Rechercher

Société - Reportage

Les Ukrainiens du Liban assistent à l'agonie de leur pays, après deux ans de guerre avec la Russie

La plupart des ressortissants ukrainiens vivant au Liban sont des femmes, mariées à des Libanais.

Les Ukrainiens du Liban assistent à l'agonie de leur pays, après deux ans de guerre avec la Russie

La communauté ukrainienne du Liban a manifesté sur la place des Martyrs de Beyrouth après l'invasion russe en février 2022. Photo Iryna Jaramani

Le 24 février 2022, Alona Alexandrova-al-Mdawar est secouée par une nouvelle qui bouleverse sa vie. Son mari l'a réveillée au milieu de la nuit et lui a demandé d'appeler ses parents, qui vivaient à Kiev, capitale de l'Ukraine. "J'ai immédiatement appelé ma mère, qui pleurait et tremblait. Elle nous a décrit les horribles explosions qu'elle entendait", se souvient Mme Alexandrova.

"La guerre a commencé. Ce jour-là, toute l'Ukraine a été réveillée en sursaut par le bruit des explosions : les villes étaient bombardées. C'est le jour où la Russie a lancé son invasion à grande échelle. "Je ne voulais pas croire que cela se produisait. Mais plus tard, j'ai vu les nouvelles et je suis restée sans voix... Je pleurais tout le temps, j'avais des crises de panique", se souvient-elle.

Elle n'est pas la seule. "Nous ne nous attendions pas à ce que cela dure aussi longtemps", affirme Iryna Jaramani, fondatrice et présidente de l'ONG Ukrainian Community in Lebanon (Communauté ukrainienne au Liban). Elle vit avec son mari à Baysour, un village du caza de Aley dans les montagnes à l’est de Beyrouth. Le couple s'était rencontré à l'université de Kiev et a maintenant cinq enfants.

Iryna Jaramani portant une vyshyvanka ukrainienne traditionnelle. Photo fournie par Iryna Jaramani

Le 24 février 2022, Iryna Jaramani a organisé une manifestation devant l'ambassade de Russie à Beyrouth. Deux ans plus tard, au moins 30 000 soldats ukrainiens et 10 000 civils ont été tués et des villes rasées – un bilan difficile à vérifier compte tenu des informations parcellaires qui remontent du front. "Ce qui s'est passé au cours des premiers mois dépasse l'entendement. Viols, meurtres, enlèvements. C'était trop dur à accepter, nous nous sommes donc mobilisés.

L'organisation d’Iryna Jaramani a tenu de nombreux événements caritatifs, afin de collecter des fonds pour l'armée ukrainienne et les enfants touchés par la guerre. "Dans chaque famille, il y a quelqu'un dans l'armée", dit-elle à propos de ses amis ukrainiens au Liban. "Comparée aux autres femmes ici, je reste calme. J'ai confiance dans le fait que mes parents vont bien et qu'ils sont prêts à tout. Ses parents, qui vivent à Kiev, sont "nationalistes" et "prêts à tout". Ils ne quitteront pas leur maison.

Selon Iryna Jaramani, la plupart des Ukrainiens vivant au Liban sont des femmes, mariées à des Libanais. Elle estime leur nombre à 4 000, soulignant que le Liban accueille la diaspora ukrainienne la plus active du monde arabe. "Avant la crise, ils étaient peut-être plus nombreux. Certains ont fait venir leur famille ici, d'autres sont partis au Canada et en Europe parce que la situation au Liban est mauvaise".

Iryna Jaramani se souvient des difficultés rencontrées par sa grand-mère lorsqu'elle vivait sous le régime soviétique. "Ils ne l'ont pas laissée entrer à l'université. Très intelligente, elle était obligée de rester à l'arrière et de travailler dans les champs. C'était une poétesse et une écrivaine. Ils lui ont refusé le droit à l'éducation", raconte-t-elle.

Lire aussi

Zelensky presse l'Occident de livrer l'aide militaire "à temps" pour "vaincre" la Russie

Un conflit qui couve depuis longtemps

Si l'invasion russe de 2022 est considérée comme le début de la guerre au sens général, le conflit a commencé bien avant. Selon Ohannés Geukjian, professeur de résolution des conflits à l'Université américaine de Beyrouth (AUB), parmi les tensions politiques qui ont déclenché la guerre figure "la politique de l'Ukraine visant à se distancer de l'orbite russe en cherchant à rejoindre les structures occidentales, y compris l'Union européenne et l'OTAN".

Avant l'invasion, en février 2014, après les manifestations anti-russes de l'Euromaïdan qui ont abouti à l'éviction du président pro-russe Viktor Ianoukovitch, Moscou a annexé la péninsule de Crimée, et des combats ont éclaté entre les séparatistes ukrainiens soutenus par la Russie et les forces gouvernementales dans la région du Donbass. Bien que concentrés dans l'est du pays, ces combats ont marqué le début du conflit armé. Depuis 2014, quelque 6,5 millions d'Ukrainiens sont devenus des réfugiés, et quatre autres millions ont été déplacés à l'intérieur de leur pays.

"Pour Poutine, il n'y a pas d'Ukraine indépendante, car historiquement l'Ukraine fait partie de la Russie et le peuple ukrainien est d'origine slave", explique M. Geukjian. L'Ukraine a obtenu son indépendance en 1991, lors de la dissolution de l'Union soviétique. Même avant 2014, d'importantes tensions et des conflits par procuration marquaient les relations entre la Russie et l'Ukraine. Moscou reproche aux occidentaux d’avoir instrumentalisé l’Ukraine pour étendre les frontières de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie et d’avoir conduit les événements de 2014.

La statuette d'Iryna représentant les symboles de l'Ukraine et du Liban. Photo Lynn Jaafar/L'Orient-Le Jour

Renouveau linguistique

L'organisation d’Iryna Jaramani a une école de langue ukrainienne pour les enfants et les adultes, entre Tripoli et Tyr, où elle a des enseignants.

Outre l'ukrainien, Jaramani, comme la plupart de ses compatriotes, s'exprime en russe, qui est surtout parlé dans le sud et l'est de l'Ukraine, des régions qui bordent la Russie. "Nous parlons le russe parce que nous avons dû l'étudier à l'école", explique-t-elle. "Je suis née en 1975, sous l'Union soviétique. Beaucoup de gens de ma génération ne parlent pas ukrainien parce qu'ils ont été forcés de parler russe", ajoute-t-elle. Il existe également des stéréotypes de longue date selon lesquels le russe est branché et cosmopolite, tandis que l'ukrainien est ancré dans un passé rural.

Mais aujourd'hui, au Liban, "les gens font des efforts pour apprendre l'ukrainien". Certains ont même cessé de parler le russe.

Du thé, pas du café

Un matin de décembre, la psychologue ukrainienne Yana Debbas est assise dans un café très fréquenté àTabaris, dans le quartier d'Achrafieh à Beyrouth, à quelques minutes de chez elle. Elle donne des séances de thérapie de groupe par l'intermédiaire du club de femmes de Jaramani et de l'ambassade d'Ukraine à Beyrouth, où elle vit depuis huit ans avec son mari libanais.

Elle commande une tisane : "Les Ukrainiens sont habitués au thé", dit-elle en buvant une gorgée. "Nous n'avions pas vraiment de café en Ukraine avant la Perestroïka", une réforme du système soviétique mise en œuvre par l'ancien président Mikhaïl Gorbatchev dans les années 1980.

Elle affirme que la guerre a eu des répercussions sur les communautés ukrainienne et russe du Liban. "La lutte entre les Ukrainiens et les Russes du Liban se fait de manière passive-agressive (...) lors d'événements, de grèves devant les ambassades. Il est tabou de demander maintenant ce qui est écrit dans votre passeport. La réponse peut être agressive", explique Mme Debbas.

"Avant la guerre, tout le monde était ami avec tout le monde. Aujourd'hui, il y a des cliques. "Les Biélorusses avec les Russes, les Ukrainiens avec les Kazakhs. Aujourd'hui, deux groupes distincts organisent des événements distincts.

Lorsque les combats ont éclaté en 2022, les parents de Mme Debbas, qui vivaient à Kiev, sont devenus des réfugiés et ont fui vers la Russie. Elle explique qu'avant la guerre, elle n'avait jamais réfléchi à son identité personnelle. "Nous avons parlé russe tout au long de notre histoire. Seules certaines parties de l'Ukraine parlent ukrainien. Soudain, en un jour, tout a changé".

La psychologue s'est livrée à un profond examen de conscience et a décidé qu'elle "ne prendrait pas parti". Elle est originaire du Donbas, une région russophone de l'est du pays, et s'efforce depuis peu d'améliorer son ukrainien, ce qu'elle considère comme "une aventure". "Ils [les Russes] sont nos frères. Nous partageons la même culture. Qui peut mieux nous comprendre ? Quelle Europe ? L'Allemagne ? La France ? Mais aujourd'hui, les choses sont compliquées. Cette guerre a brisé la confiance de base", dit-elle.

Toujours en visite chez soi

Les aéroports ukrainiens sont fermés depuis l'invasion mais, malgré les risques, les gens continuent de se rendre dans leur pays. "Ils Les gens vont et viennent en permanence. Cela ne nous a pas empêchés, nous les Ukrainiens, de voyager ou de rendre visite à nos parents pendant la guerre", explique Mme Alexandrova.

En 2015, elle s'est installée au Liban pour travailler avec le Caracalla Dance Theatre, une compagnie de danse locale. Aujourd'hui, elle enseigne le yoga, la danse et le Pilates dans le studio qu'elle a récemment ouvert à Sin el-Fil avec son mari qu'elle a rencontré lors d'un atelier de formation au yoga en Inde.

En novembre dernier, Mme Alexandrova a fait le voyage risqué jusqu'à Kiev pour rendre une nouvelle fois visite à sa famille, malgré les bombardements. "J'étais si heureuse d'être avec mes parents et je me sentais en sécurité". Au cours de sa visite de deux mois, elle était particulièrement heureuse de pouvoir voir son frère, qui se bat sur la ligne de front, les week-ends. Le voyage de Beyrouth à Kiev, qui prenait quatre heures par vol direct, dure désormais trois jours, explique-t-elle.

Il s'agit de se rendre dans le pays frontalier le plus proche, généralement la Pologne, la Moldavie ou la Roumanie, et de poursuivre sa route en bus ou en train, ajoute Mme Alexandrova. "C'est en Pologne qu'il y a le plus de files d'attente. Cela peut vous prendre jusqu'à 10 heures rien qu'à attendre dans la file un bus à la frontière", dit-elle.

Elle a choisi de passer par la Roumanie. "Cela prend 24 heures en bus, mais à la frontière c'est très rapide. Vous attendez au maximum une à trois heures, quoique cela soit très dur et épuisant", détaille-t-elle. Mme Debbas a également fait le voyage en septembre. Elle se rend à Kiev tous les six mois pour vérifier les biens de sa famille et rencontrer son ancien directeur d'études, avec qui elle effectue toujours des recherches.

Elle y retourne également pour voir ce qui se passe. "Le travail d'après-guerre est énorme. Nous faisons déjà des recherches. "Je suis arrivée à Lviv et j'ai vu des soldats handicapés, complètement ivres. Ils mendiaient. Pendant quelques jours, je n'ai pas entendu de missiles ou quoi que ce soit, mais le dernier jour, je me suis réveillée à 4 heures du matin avec ce que j'ai cru être le bruit d'un feu d'artifice".

Elle s'est rapidement rendue à l'évidence qu'elle se trouvait en Ukraine et qu'il ne s'agissait pas de feux d'artifice. Après avoir chassé le sommeil, elle s'est précipitée vers l'abri anti-atomique le plus proche. "Dans l'abri, il n'y avait que deux personnes. Tous les autres sont restés au lit. Ils sont habitués. Les enfants de mon amie ont des yeux sérieux comme les adultes. Les gens sont épuisés".

Selon M. Geukjian, la guerre n'est pas près de se terminer, malgré toutes les pertes subies. "C'est devenu une guerre d'usure. Il évoque deux scénarios possibles. Tout d'abord, une condition russe : "Si l'Ukraine se rend" et qu'un "gouvernement pro-russe est mis en place et prend en considération les intérêts nationaux de la Russie". Deuxièmement, une condition ukrainienne. Selon lui, cela implique le retrait de la Russie du Donbas et de la Crimée, et peut-être l'arrêt de l'aide militaire américaine et européenne à l'Ukraine, ainsi que la mise en place d'une "politique de rapprochement avec la Russie", ce qui n'est pas près d'arriver.

Pendant ce temps, les Ukrainiennes du Liban observent la situation de loin. Dans le cadre du club de femmes de son ONG, Mme Jaramani explique que les membres de la communauté partagent leurs expériences. "Nous recevons des conférenciers, des écrivains et des psychologues. Nous organisons des festivals. Et nous nous soutenons les unes les autres, surtout sur le plan émotionnel. Nous avons donc l'impression de pouvoir continuer", dit-elle. "Les gens ici [au Liban] font preuve de beaucoup de compréhension et de compassion. Ils nous disent : "Nous vous comprenons et nous sommes sensibles à votre situation. Vous vous battez pour votre terre".

Le 24 février 2022, Alona Alexandrova-al-Mdawar est secouée par une nouvelle qui bouleverse sa vie. Son mari l'a réveillée au milieu de la nuit et lui a demandé d'appeler ses parents, qui vivaient à Kiev, capitale de l'Ukraine. "J'ai immédiatement appelé ma mère, qui pleurait et tremblait. Elle nous a décrit les horribles explosions qu'elle entendait", se souvient Mme Alexandrova."La...

commentaires (2)

Lagrenouille qui voulait se faire plus grosse que le boeuf ! Voilà le résultat ! Ils ont enfin compris ! Saint Vladimir ayaez pitié des ukrainiens qui prononcent leur mea culpa ! L'infâme Zelenski les a leurrés !

Chucri Abboud

12 h 25, le 25 février 2024

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Lagrenouille qui voulait se faire plus grosse que le boeuf ! Voilà le résultat ! Ils ont enfin compris ! Saint Vladimir ayaez pitié des ukrainiens qui prononcent leur mea culpa ! L'infâme Zelenski les a leurrés !

    Chucri Abboud

    12 h 25, le 25 février 2024

  • dire l'Ukraine est devenue indépendante en 1991 est trompeur et passe bien dans le narratif revisitant l'histoire du dictateur Poutine. L'Ukraine existait avant la Russie. La république d'Ukraine est un membre fondateur de l'ONU et l'un des premier état à en avoir signé la charte. Dans l'Union Soviétique, les états membres étaient de facto soumis au membre russe, donc en 1991 à sa dissolution, l'Ukraine a recouvré une indépendance d'action qu'elle avait perdue, mais ce n'est plas son acte de naissance, loin de là.

    Pierard-Lestoille Philippe

    14 h 44, le 24 février 2024

Retour en haut