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Lifestyle - Rencontre

May Chidiac : Je suis toujours là… et je ne me tairai pas !

Quinze ans après son retrait télévisuel, la présentatrice devenue symbole du 14 Mars retrace pour « L’Orient-Le Jour » un parcours jalonné d’ambitions noircies par les drames…

May Chidiac : Je suis toujours là… et je ne me tairai pas !

May Chidiac dans le bureau de sa fondation. Mohammad Yassine/L’OLJ

En ce soir de janvier 2009, May Chidiac porte le deuil. Pas celui de ses amis journalistes et activistes tués trois ans auparavant, mais bien celui de sa propre carrière télévisuelle. Devant plusieurs milliers de téléspectateurs, la présentatrice vedette de la LBC attend la fin du débat qui oppose le ministre du Tourisme à un chroniqueur du quotidien al-Akhbar pour annoncer, à la surprise générale, sa démission en direct. Sur la grande table en verre autour de laquelle se sont opposés rivaux d’hier et partenaires de demain, elle pose fièrement la prothèse qui lui sert de bras gauche. Comme un pied de nez à ceux qui disent qu’elle aurait peur.

Mais si l’ancienne égérie intello-chic du petit écran libanais devenue icône de tout un mouvement tente d’atténuer ses peines en maquillant ses blessures, les douleurs n’en demeurent pas moins asphyxiantes. Devant ses invités interloqués, Chidiac explique avoir subi sa trentième opération chirurgicale une semaine auparavant. Fatiguée de rester au front dans un milieu exigeant, revanchard, instable, elle prend ce jour-là sa propre rédaction de court. « Seuls mon producteur et ma maquilleuse étaient au courant de ma décision. C’en était trop pour moi. À quoi bon continuer de me sacrifier alors que j’ai déjà donné la moitié d’un corps ? » confie la journaliste à L’Orient-Le Jour, quinze ans exactement après ce retrait télévisuel assumé et réfléchi.

Après avoir été l’un des visages les plus reconnaissables de l’information au pays du Cèdre en feu, celle qui assume ne s’être jamais repentie ne s’est pourtant pas éloignée de ce paysage politico-médiatique avec lequel elle entretient une liaison tumultueuse. Figure controversée et clivante pour certains, symbole de la liberté d’expression pour d’autres, May Chidiac, à 60 ans, polarise toujours autant. « J’en ai vu des choses et j’ai beaucoup à dire ! » lance-t-elle en s’esclaffant poliment. « N’en déplaise à qui vous savez… »

Du terrain aux plateaux

Dans un local dédié à sa fondation éponyme, assise derrière son bureau, elle répond à ses messages et invitations aux dîners et conférences sollicitant sa présence. Entre ces quatre murs couleur bleu nuit où sont tapissés médailles et récompenses qu’elle a accumulées au gré de ses malheurs, May Chidiac se lève en s’agrippant à la table puis à sa canne pour suivre d’un œil attentif le déballage des micros et des caméras avant le début de l’entretien. D’un coup de peigne, elle réajuste sa mèche blond or puis sa bague ornant une prothèse tristement réaliste. « On commence par quelle période ? Ça risque d’être long sinon ! » dit-elle en faisant son troisième signe de croix. Depuis ses débuts à la radio au cœur de l’effervescence troublante de la guerre civile jusqu’à son entrée contestée dans le dernier gouvernement de Saad Hariri, May Chidiac exhibe un curriculum vitæ éclaboussé par les infortunes d’une nation qu’elle a constamment souhaité expliquer, à sa manière…

Quand en 1985 les Forces libanaises – financièrement fragilisées par le conflit – fondent la LBC, May Chidiac est débauchée de La Voix du Liban qui l’a révélée. Elle n’a que 22 ans et accepte de devenir reporter pour couvrir les hostilités dans les régions chrétiennes acquises aux causes de la nouvelle institution. « Cette chaîne était le défi de Bachir Gemayel. À l’étranger, les propalestiniens étaient médiatiquement mieux installés. La droite chrétienne était perçue comme l’agresseur dans l’histoire. On se devait donc de donner une image objective », analyse-t-elle.

À l’heure où les gloires du monde de la culture désertent les scènes et s’évaporent silencieusement dans le vacarme des eighties, la débutante profite des heures d’antenne qui lui sont accordées pour se faire rapidement un nom et brûler les étapes. Deux ans après avoir couvert les va-et-vient du palais Mansour – qui servait de Parlement – comme les scènes de terreur, la voici à la tête du journal télévisé de la seule chaîne privée du pays. « Être connue faisait partie de mon boulot ! La notoriété, bien qu’elle n’ait jamais pris le dessus sur le travail, m’a toujours semblé normale et adéquate », glisse-t-elle entre deux piques à la nouvelle génération de starlettes de la télé, « parce que n’importe qui peut faire n’importe quoi aujourd’hui ». Si la présentatrice jouit d’une célébrité inégalée au creux des années 1980 en raison de son style de présentation pugnace et épuré et de sa couleur politique prononcée, cette dernière ne tardera pas à déteindre sur sa vie.

Star incognito

En 1989, Michel Aoun lance l’armée à l’assaut de Samir Geagea dans le but de restaurer l’autorité de son gouvernement à Beyrouth-Est. La LBC, alors ouvertement pro-FL, devient la cible récurrente des partisans du général. Quand débute l’offensive et que les régions dites chrétiennes se voient tiraillées entre les ambitions et colères de deux hommes assoiffés de pouvoir, nombre d’employés de la première chaîne se retrouvent bloqués dans les locaux de Jounieh. May Chidiac, originaire et résidente de Gemmayzé, est sans nouvelle de sa famille, les lignes téléphoniques étant bloquées. Dans l’impossibilité de rentrer chez elle pendant quinze jours, la présentatrice dort tous les soirs « à côté de la photocopieuse », se fait son propre petit studio et refuse catégoriquement de suivre sa rédaction dans les sous-sols pour se réfugier. « Jusqu’au moment où j’ai décidé, la mort dans l’âme, d’aller voir mes proches dont je n’avais plus de nouvelles. Le Kesrouan et Beyrouth étaient aux mains des Forces libanaises, mais le Metn avec les hommes du général Aoun », explique-t-elle en détaillant sa rencontre avec Brent Sadler, le correspondant de CNN au Liban durant cette période, « qui m’aidera à passer les points de contrôle ». Devant le tunnel de Nahr el-Kalb, les barrages de sable colorent salement les rues et les militaires scrutent attentivement les entrées et sorties de chaque véhicule. « Je devais passer cette ligne de démarcation pour rentrer chez moi. S’ils me reconnaissaient, je risquais d’avoir de sérieux ennuis », se remémore May Chidiac. Un foulard acheté sur la route à une vieille dame sur la tête et un mouchoir sur le nez, elle prétend être anglaise et faire partie de l’équipe de Sadler. La supercherie fonctionne. Suivront des allers-retours dangereux de la capitale aux plateaux décolorés du journal télévisé, un séjour de deux ans en Suisse en raison de la situation funeste du pays, puis un retour aux sources et à l’écran.

Ex-animatrice, ex-ministre, mais toujours journaliste. Mohammad Yassine/L’OLJ

Madame la ministre

À l’aube du nouveau millénaire, les voix commencent à s’élever pour exiger le départ des troupes syriennes du Liban et la fin de l’occupation. À l’antenne, May Chidiac incarne ce ras-le-bol d’une opposition en perdition. Dans les colonnes des journaux et sous les feux des projecteurs qui font d’elle l’une des premières personnalités libanaises à connaître un réel dénigrement bien avant l’ère des réseaux sociaux, elle combat les « idéologies obscurantistes » et se bat « pour un Liban souverain, indépendant ». Des phrases qui deviennent récurrentes dans le débat public quand, le 14 février 2005, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri est assassiné près du centre-ville de Beyrouth, et qu’un mois plus tard des foules défilent et manifestent en colère.

Hommes politiques, intellectuels, activistes, 2005, année noire pour les libertés, voit les opposants au régime d’Assad pris directement pour cible au Liban. « J’ai vu mes amis et mes compagnons de combat être tués un à un. Jusqu’à ce que ce soit mon tour », confie Chidiac la voix brisée.

Sept mois après Hariri, elle est elle-même victime d’un attentat à la voiture piégée dont elle échappe miraculeusement. Grièvement blessée, elle en sort cependant avec de très lourdes séquelles, l’amputation d’un bras et d’une jambe, de nombreuses opérations et greffes et une soif évidente de justice qu’elle exprime dix mois, jour pour jour, après le drame sur le plateau de son talk-show politique en pleine guerre de 2006. Encore une.

« J’ai été la seule femme, la seule personnalité purement journaliste à avoir été visée. Mes opinions dérangeaient. Les infos que je partageais avec les téléspectateurs aussi. Ça touchait l’opinion publique jusqu’en Syrie où on nous recevait par satellite, c’est vous dire », signifie celle qui a reçu la Légion d’honneur – et la nationalité française – des mains de Jacques Chirac.

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Trois ans après son retour courageux à l’antenne, elle exprime sa lassitude, sans s’excuser ni s’expliquer. Fatiguée par les bisbilles et les ego démesurés de ses quelques collègues et nombreux adversaires, elle décide de se lancer dans la politique, intègre officiellement le parti des Forces libanaises, est nommée ministre du Développement administratif en 2019 et se consacre aujourd’hui à sa fondation et à ses cours à la NDU.

Souvent moquée, parodiée, insultée même, l’ex-animatrice, proie du camp du 8 Mars, avoue n’avoir toujours pas pris sa revanche sur la vie malgré les distinctions et les reconnaissances à l’international. Sans regrets, avec une once d’amertume, elle questionne le pouvoir en place tout en n’écartant pas la possibilité de réintégrer un gouvernement qui lui correspondrait. « Avant de mourir, j’espère qu’on pointera du doigt celui qui m’a fait ça », détaille-t-elle en tentant péniblement de soulever le bras et la jambe gauches. « D’ici là, je continuerai de me battre. Jusqu’à mon dernier souffle ! »

En ce soir de janvier 2009, May Chidiac porte le deuil. Pas celui de ses amis journalistes et activistes tués trois ans auparavant, mais bien celui de sa propre carrière télévisuelle. Devant plusieurs milliers de téléspectateurs, la présentatrice vedette de la LBC attend la fin du débat qui oppose le ministre du Tourisme à un chroniqueur du quotidien al-Akhbar pour annoncer,...

commentaires (5)

Une femme exceptionnelle qui a tout mon respect et mon affection. Une mémoire sans faille a bon entendant salut

Cyril Assouad

09 h 02, le 01 mars 2024

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Commentaires (5)

  • Une femme exceptionnelle qui a tout mon respect et mon affection. Une mémoire sans faille a bon entendant salut

    Cyril Assouad

    09 h 02, le 01 mars 2024

  • Votre AURA est reconnue comme une arme contre vos ennemis. Courage.

    Mohamed Melhem

    21 h 31, le 23 février 2024

  • Symbole de détermination, de courage et de patriotisme! Bon courage et bonne continuation May!

    Wlek Sanferlou

    13 h 50, le 23 février 2024

  • L on ne peut que s incliner devant cette personne.

    Zampano

    12 h 00, le 23 février 2024

  • Intéressant de savoir COMMENT on FINANCE TOUT CE BLA BLA ?

    aliosha

    09 h 38, le 23 février 2024

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