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Culture - Rencontre

Badie Jahjah : C’est le derviche qui m’a libéré de la guerre et de la violence

L’artiste visuel syrien multidisciplinaire sillonne l’Orient et la Méditerranée avec ses derviches, messagers d’une spiritualité de paix et d’une humanité partagée, au-delà des catégorisations factices.

Badie Jahjah : C’est le derviche qui m’a libéré de la guerre et de la violence

Une toile de Badie Jahjah représentant un derviche tourneur nimbé de lumière. Photo DR

« C’est le derviche qui m’a libéré de la guerre et de la violence», confesse d’emblée Badie Jahjah, l’artiste syrien qui s’est fait le porte-parole de cette figure mystique symbolique porteuse d’un message d’amour, d’extase et de connexion au divin.

C’est au Beirut Art District, la galerie de Maher Attar, que nous découvrons dans un premier temps les petites sculptures en bronze de derviches, bleu délavé ou marron, qui un livre à la main, qui une colombe, qui un épi de blé, tournent sur leur socle. Des derviches affranchis de leur représentation traditionnelle. Beyrouth les accueille bien. Ils y reviendront en plus grand nombre le temps d’une exposition solo dédiée à l’artiste à Gemmayzé, à L’Atelier by Maher Attar. Pour l’occasion, l’artiste fait le déplacement de Damas avec un derviche en chair et en os qui accompagnera le vernissage. Ses tours et sa somptueuse jupe en corolle de fleurs dessinée par Jahjah lui-même laissent leur marque sur une assemblée qui s’empressera auprès de l’artiste avec moult questions sur le soufisme.

L'artiste multidisciplinaire syrien Badie Jahjah. Photo DR

« Le derviche révolté était le porteur de tout ce que je voulais transmettre », écrit sur son site l’artiste diplômé de l’Académie des beaux-arts de Damas. « L’être humain est un derviche, aussi grand soit-il. Toutes les épreuves qu’il expérimente sont des leçons à travers lesquelles il peut faire face à sa destinée dans une vie ouverte à toutes les directions. Faire face à la guerre ésotérique individuelle de la psyché est inévitable », ajoute-t-il.  À un moment où il estime avoir tout perdu avec la guerre en Syrie qui fait rage et son divorce, sur fond entre autres de divergences politiques, il n’a d’autres choix que de faire face… en s’appuyant sur le derviche qui lui est d’« une grande présence ». Il s’attelle alors à explorer ce symbole avec lequel son premier contact s’était fait des années auparavant à l’occasion d’un travail qu’il effectuait, en tant que graphic designer, pour un client sur un projet en lien avec une ville ancienne et l’héritage. Par la suite, son premier dessin capte l’attention de l’épouse européenne d’un de ses clients. Elle lui commande une toile en grande dimension ; celle-ci deviendra le prélude à des déclinaisons libres et diverses du derviche. De fait, Badie Jahjah qui observe les méfaits des engoncements dans la tradition, dans le passé et dans les ordres établis, s’est assigné une mission ambitieuse, celle d’« élever par le travail le niveau de conscience dans des sociétés régies par la religion et de leur proposer, en tant qu’artiste, des fenêtres d’ouverture sur une humanité profonde et commune », dit-il à L’Orient-Le Jour.

S’il a commencé par créer au départ un symbole personnel pour lui-même, Takwin (Genèse), car il « avait besoin d’une régénération », suivi par d’autres tels que Jawhar (Essence) et Mahabba (Amour), l’artiste « souhaite, par l'art, servir la société ». Car « qui s’adresse à son Dieu avec pureté s’adresse avec pureté à Ses créatures ». Ces symboles sont le fruit d’une recherche approfondie et de lectures nombreuses qui ne se limitent pas seulement aux figures les plus connues comme Rumi ou Tabriz, mais qui incluent également al-Hallaj, Ibn Arabi, Ibn Rushd, Rabia al-Adawyyia, toutes figures qui mettent en évidence le lien avec le Créateur et la vision du cœur.

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Badie Jahjah va naturellement s’intéresser à ses concitoyens artistes en herbe ou jeunes écoliers à l’intention desquels il créé un concours en coopération avec le ministère de l’Éducation – financé par lui-même – et surtout une galerie à Damas, Alefnoun, pour l’art et la spiritualité qui promeut les talents émergents. Pour la mémoire et la transmission, il prend aussi l’initiative d’un travail d’archivage de l’art syrien depuis le XXe siècle, dans lequel il fait appel à son concitoyen critique d’art Saad el-Kassem. Et, dans la foulée, il écrit un livre qu’il intitule Derviche min habak (basilic), qui retrace son cheminement avec les derviches. Pourquoi le basilic ? Parce que cette plante représente pour lui l’amour, sa mère et sa grand-mère y ayant eu recours dans leurs préparations culinaires diverses et que dans les lettres de habak, tout est dit : hobb et haqq, l’amour et la justice, les deux grandes questions qui l’occupent, et qui sont aussi au cœur du message christique, comme il le fait remarquer.

Des déclinaisons libres et diverses du derviche dans l’œuvre de Badie Jahjah. Photo DR

De fait, l’artiste travaille également, toujours dans l’esprit soufi, des toiles référant aux grands monothéismes d’Orient, pour faire la lumière sur tout ce que ceux-ci ont en commun, tout en précisant que son message n’est pas religieux mais spirituel, une spiritualité d’extase et d’amour. Ce sont pour lui les femmes qui en sont le meilleur canal, ainsi que de cette capacité à la conversion. Pour les honorer, il représente des femmes derviches dans des toiles au fusain, qui ont également fait partie de l’exposition à Beyrouth. La spiritualité ne fait pas de distinction de genre et le message de Rumi est égalitaire. Quelques femmes iraniennes, turques, azéries et étrangères à la région s’aventurent en effet sur ce terrain qui est traditionnellement l’apanage de la gent masculine.

Chez Jahjah, sous l’effet de la contemplation, le derviche se transforme parfois en arbre, une autre de ses grandes passions. L’artiste passe également à la sculpture pour servir son projet, les trois dimensions et le mouvement – ses sculptures tournent sur leur socle – créant, selon lui, un lien supplémentaire avec celui qui les contemple. Les Libanais s’en avèrent friands… Mais si, au regard de la situation économique, la capitale libanaise n’occupe plus le premier rang au niveau des ventes, elle tient une place particulière pour l’artiste : « Beyrouth représente un palier culturel important pour la liberté, et dans le monde du goût de la pensée, dans sa diversité et sa connexion internationale », dit-il. « Nous avons à Beyrouth une société qui pense d’une façon ouverte et qui est plus connectée aussi au monde contemporain», dit celui qui a exposé à Dubaï, au Danemark, en Grèce, en Italie et qui s’investit de plus en plus à Dubaï.

Un danseur soufi vu d'en haut, dans une toile de Badie Jahjah. Photo DR

Le message de paix et d’amour de son derviche, dans un Moyen-Orient ravagé par les conflits, la corruption et la misère, tient-il/peut-il toujours tenir la route ? Badie Jahjah répond que lui « parle de la partie invisible dans ce monde qui ne ressemble pas, dans sa partie visible, à ce qu’il cherche à transmettre. L’amour a toujours ses partisans. La paix intérieure est entre toi et toi-même ».

Par les symboles qu’il explore et déploie y compris en bijoux, Jahjah veut créer des ponts et « libérer l’homme de sa géographie et des frontières de la religion à laquelle il appartient, pour le porter vers un humain universel ». C’est dans cet esprit qu’il travaille avec une partenaire italienne, Aurela Cuku, sur un projet de grande amplitude à Dubaï dans le quartier historique al-Fahidi, en lien avec les derviches et les arbres, qu’il veut à la portée de tous et notamment les enfants, et qui comprendra un espace multifonctions et un jardin mondial pour la paix. 

« C’est le derviche qui m’a libéré de la guerre et de la violence», confesse d’emblée Badie Jahjah, l’artiste syrien qui s’est fait le porte-parole de cette figure mystique symbolique porteuse d’un message d’amour, d’extase et de connexion au divin.C’est au Beirut Art District, la galerie de Maher Attar, que nous découvrons dans un premier temps les petites...

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