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Lifestyle - Vient de paraître

Joachim Roncin : Comment j’ai créé « Je suis Charlie »

L’auteur d’« Une histoire folle : Comment j’ai créé “Je suis Charlie” et le voyage en absurdie qui a suivi », paru chez Grasset en janvier, revient pour « L’Orient-Le Jour » sur des faits et des mots très chargés, dans un registre tragi-comique, tout en interrogeant les fondements communicationnels de nos sociétés contemporaines.

Joachim Roncin : Comment j’ai créé « Je suis Charlie »

Joachim Roncin, l’auteur d’« Une histoire folle : Comment j’ai créé “ Je suis Charlie” et le voyage en absurdie qui a suivi ». Photo @rudywaks

Certes, on se souvient des attentats du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo et des rassemblements silencieux et sidérés place de la République pour rendre hommage aux victimes, mais en lisant Une historie folle, de Joachim Roncin, c’est toute la violence du choc qui est réactualisée avec humilité, pudeur et profondeur. Heure par heure, cette journée noire est retracée du point de vue d’un directeur artistique, qui exprime trois mots sur Twitter (aujourd'hui X) pour dire l’indicible. Et cette structure syntaxique minimale, « Je suis Charlie », devient un slogan qui submerge les réseaux sociaux du monde entier. « Trois mots qui allaient faire le tour du monde, devenir un symbole, un slogan, un sujet de conversation. Trois mots qui allaient me suivre longtemps sans que je puisse y faire quoi que ce soit », écrit le cofondateur du magazine Stylist, avec Audrey Diwan et Aude Walker.

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Dans un texte qui fait résonner l’expérience intime et collective, l’auteur aux cheveux châtains et aux yeux clairs revient sur des événements et des mots qui ont bouleversé sa vie et qui racontent notre société contemporaine à plusieurs niveaux. « Comme tout le monde, j’ai été marqué par la violence de ces événements et j’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre. D’autant plus que mon entourage avait tendance à beaucoup reparler de la formule « Je suis Charlie ». Au départ, ces trois mots m’ont permis de m’exprimer, et puis j’ai été dépassé. Je les ai vus évoluer sans réagir, car je ne souhaitais pas m’exprimer sur le sujet et me retrouver à donner des bons ou mauvais points à certaines utilisations. Cette sensation d’avoir créé une formule, qui a presque été un boulet pour moi est très étrange », confie Joachim Roncin, qui a travaillé à la direction artistique des César et du Ballon d’or.

« La première définition de ces trois mots, c’est le souvenir, la nostalgie. Charlie Hebdo n’était pas tant une lecture que j’apprécie, que l’écho d’une époque, dont je suis le fruit. Tous ces petits moments et d’éléments indicibles m’ont construit, j’ai souhaité exprimer la sensation que l’on est venu atteindre à mon passé », poursuit le directeur du design des Jeux olympiques de 2024. Selon lui, affirmer « Je suis Charlie » est déjà une façon d’appeler son antithèse. « En créant la formule, on crée son némésis : l’antithèse provenait par exemple de ceux qui voulaient exprimer leur refus d’être des suiveurs, ou qui n’adhéraient pas à la ligne éditoriale du journal. Ce que je défendais, c’était la liberté d’expression, et je serai toujours du côté de ceux qui disent “Je ne suis pas” », ajoute Roncin, dont les perspectives sont aussi intéressantes qu’originales.

Pour L’Orient-Le Jour, il présente avec humour son parcours comme marqué par deux syndromes. « Ma thèse de fin d’études portait sur le syndrome de Stendhal, qui me concerne d’une certaine façon, car avec ce slogan, je rentre dans une histoire qui a été déclenchée par mes mots.  Le syndrome de l’imposteur, je l’aurai toujours, et avec le temps, je le considère comme un atout, car la création est intimement imbriquée dans le doute, et c’est le fait de se remettre en question qui permet d’avancer », poursuit Roncin, qui a choisi de porter un regard décalé sur son histoire. « Le logo “Je suis Charlie” a les mêmes codes graphiques que le drapeau de l’État islamique, noir et blanc, comme l’inscription « Police » visible sur le dos des forces de l’ordre. L’ensemble des éléments graphiques étaient trop similaires, je deviens le D.A. d’une étrange organisation regroupant l’État islamique, la police française, les auteurs des attentats et éventuellement, un soupçon d’une organisation judéo-maçonnique », écrit-il avec humour.

Le slogan « Je suis Charlie » au milieu de bougies et de fleurs, place de la République à Paris, le 13 janvier 2015, après l'attaque terroriste islamiste perpétrée contre le magazine « Charlie Hebdo », qui fit 12 morts. Michael Bunel/AFP

« Le Liban et l’Ukraine sous un même toit »

Une histoire folle est l’occasion pour son auteur de nous renvoyer le reflet d’une société de plus en plus clivée, adepte d’une pensée réductrice et dichotomique. « Le succès du slogan a mis en lumière une société médiatique où la nuance est de moins en moins présente. Rapidement, j’ai refusé de me positionner, car je ne me considère pas comme un spécialiste de la liberté d’expression ou de la laïcité. Or dans la société actuelle, il faut d’emblée dire blanc ou noir, on attend des réponses immédiates. Et ce qui fonctionne le mieux, c’est la critique, qui est plus facile. Mon livre permet une sorte de point d’étape dans l’hystérie médiatique contemporaine, car je ne suis pas très à l’aise avec cette urgence : j’ai mis 9 ans à écrire ce texte, pour pouvoir réfléchir, étirer le temps et trouver le ton juste. Tout cela a été trop rapide », précise Joachim Roncin, qui a grandi entre trois cultures.

En France, il a connu « Le Liban et l’Ukraine sous un même toit », dans le foyer de sa mère Chrystyna et de son beau-père Oussama Salam, « un couple représentant à lui seul les conflits quotidiennement en une des journaux », confie-t-il dans son livre. « Mes origines ukrainiennes sont un peu de l’ordre du folklore, je n’ai jamais connu l’Ukraine, je parle la langue mais ne l’écris pas. J’ai vécu dans cette ambiance, où une fois sur deux, les repas se terminaient par des chants ukrainiens… et des larmes, avec la perception d’un pays opprimé, qui va s’en sortir », explique Roncin dans le registre qui est le sien, à la fois sincère et distancié. Un des effets collatéraux de « Je suis Charlie » est que le président ukrainien lui propose de le rencontrer. « Pour moi c’était une imposture totale, surtout lorsque je deviens citoyen de la ville de Kiev, où je n’ai jamais mis les pieds… Il me dit que je suis un vrai cosaque et valide ma moitié ukrainienne ! Puis il me demande de travailler dans la communication de son pays afin de l’intégrer à l’Union Européenne », enchaîne-t-il, à la fois amusé et atterré. « Cela montre un aspect particulier du monde absurde dans lequel on vit : on peut confier un pouvoir à n’importe qui… », constate l’auteur d’Une histoire folle, où il est également question d’Oussama Salam, son beau-père.

L'ouvrage paru en janvier dernier. Photo DR

« J’ai vécu presque 10 ans avec lui, ma mère et mon frère, dans une ambiance franco-libanaise. J’ai découvert avec eux la religion musulmane que je ne connaissais pas. Mon beau-père est à la fois réfléchi et cartésien, une sorte de bouddha libanais, qui a toujours su trouver les bons mots pour me rassurer, il m’a aussi donné beaucoup d’amour. Au moment des attentats de janvier 2015, il a essayé de me faire comprendre pourquoi les caricatures pouvaient en choquer certains, et j’ai parlé avec lui de la conception occidentale de liberté d’expression, ainsi que du sens du blasphème, qui concerne l’autorisation d’une critique à l’encontre d’une religion mais pas envers les croyants. » « Nos débats étaient mesurés : il a compris et l’a valorisée, même si je pense que ses convictions ne sont pas les mêmes que les miennes », poursuit Joachim Roncin, qui s’est rendu plusieurs fois au Liban. Il a beaucoup apprécié ses voyages, conservé des souvenirs, notamment celui-ci : juste deux mois après les attentats de janvier 2015, lorsqu’il s’est retrouvé nez à nez avec un « Charlie Taxi » en sortant de l’aéroport…

Une histoire folle  nous plonge dans la tristesse d’un monde qui tue ceux qui dessinent, et dans le sourire de ceux qui continuent à résister, sur tous les tons. Celui de Joachim Roncin est à la fois tendre et acide.

Certes, on se souvient des attentats du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo et des rassemblements silencieux et sidérés place de la République pour rendre hommage aux victimes, mais en lisant Une historie folle, de Joachim Roncin, c’est toute la violence du choc qui est réactualisée avec humilité, pudeur et profondeur. Heure par heure, cette journée noire est retracée du point de vue...

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