Alors que la guerre ronronne sur le front entre Israël et le Liban-Sud, et que le vide présidentiel persiste, laissant seul aux manettes un gouvernement sortant aux mains liées, des membres de la société civile et de la classe politique tentent de sortir le pays de sa torpeur. C’est ainsi que Hayat Arslane, veuve de Fayçal Majid Arslane et figure d’opposition, a lancé depuis Bkerké jeudi l’idée d’un « Rassemblement du Grand Liban », un regroupement qui se veut transcommunautaire destiné à réunir sous sa houlette des forces éparses d’une opposition qui se cherche à tâtons. Dans un contexte de clivages politiques marqué entre autres par des appels au fédéralisme, le projet entend donner une nouvelle impulsion à la « formule libanaise ».
« C’est Bkerké, lieu où est né le Grand Liban en 1920, qui a œuvré à maintenir la cohésion du Liban à travers l’histoire (contemporaine), plus particulièrement durant la guerre civile, pour éviter le morcellement du pays. D’où l’importance du choix du siège du patriarcat pour parrainer cet événement », décrypte Karim Bitar, politologue. Le projet ambitionne de regrouper de nombreux collectifs issus du Mouvement de contestation populaire du 17 octobre 2019 ainsi que plusieurs figures de proue du mouvement souverainiste du 14 Mars. Cependant, bien que l’initiative ait réuni près de 600 personnalités de diverses appartenances, la représentation politique était timide, ce qui laisse planer le doute sur sa capacité à peser sur l’échiquier politique.
Par exemple, le courant du Futur, jadis principale composante du 14 Mars, et les Forces libanaises, plus grand groupe d’opposition actuel, étaient absents ou presque de cette assemblée. Les FL se sont contentées d’une représentation symbolique, celle du conseiller aux affaires de l’Église Tony Mrad. Deux ministres du gouvernement sortant Abbas Halabi et Amine Salam, un représentant du mufti de la République Abdel Latif Deriane et un autre du cheikh Akl druze Sami Abil-Mona, ainsi que l’ancien député Farès Souhaid, ont notamment pris part à l’événement. Invité, le leader du PSP Walid Joumblatt s’est abstenu, a appris L’OLJ. C’est ce qui fera dire à une source du PSP sous condition d’anonymat, qu’il s’agit d’une formule « anachronique ». « Tout d’abord, parce que le mouvement du 14 Mars est né au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri (imputé à l’axe irano-syrien). Par ailleurs, les grandes personnalités qui ont marqué la dynamique de l’opposition (à l’occupation syrienne à l’époque), telles que Samir Frangié (décédé en 2017) et l’ancien patriarche Nasrallah Sfeir (décédé en 2019), ne sont plus là », poursuit la source. Et d’ajouter : « Le pays et la région sont au bord d’une guerre globale et ce type de réflexion n’est pas approprié dans un contexte pareil. »
La symbolique de l’État du Grand Liban
« Nous annonçons le Rassemblement du Grand Liban », a déclaré le patriarche Béchara Raï à l’inauguration de l’événement. « L’importance du Grand Liban réside dans le fait qu’il n’est ni chrétien ni musulman, mais une patrie-message », a lancé de son côté l’ancien président de la République Amine Gemayel, seul rescapé parmi les leaders du 14 Mars. Les intervenants – sciemment cooptés de toutes les communautés, mais non nécessairement représentatifs du spectre politique – ont effectué un tour d’horizon depuis les débuts de la création du Grand Liban à ce jour, passant en revue les multiples crises qui ont ponctué l’histoire mouvementée d’un pays toujours en devenir. Le débat a soulevé une fois de plus la question de savoir si l’échec du projet d’un Liban unifié et pluraliste tel que conçu par ses fondateurs est dû aux facteurs géopolitiques, à un système politique dysfonctionnel ou plutôt à sa gestion par une classe politique inapte, déchirée par les considérations communautaires et le jeu d’intérêts.
« La mauvaise expérience dans la préservation du Grand Liban n’est pas due à un défaut de fabrication, mais à des erreurs humaines que nous assumons tous », a admis Amine Gemayel. « Malgré cela, le Grand Liban a résisté. Il faut le consolider », a-t-il déclaré.
Neutralité positive
M. Gemayel est revenu en détail sur les effets néfastes des facteurs externes sur l’entité libanaise, censée incarner un modèle de diversité et de pluralisme. Une aspiration « avortée » par les pays voisins, « depuis Israël jusqu’en Syrie, en passant par le nassérisme et le kadhafisme puis le arafatisme, jusqu’aux ambitions perses », a-t-il dit. Ont également échoué toutes les idéologies expansionnistes ou réductrices du territoire, telles que l’arabisme, l’islamisme ou le fédéralisme, comme le note en substance Moustapha Hani Fahs, le fils de l’éminent uléma chiite Hani Fahs. D’où l’appel lancé, à l’occasion de ce rassemblement, en faveur d’une « neutralité positive et constructive » pour briser toute tentative d’ingérence extérieure ou d’alignement sur un axe quelconque en vue de préserver l’entité libanaise. Lancé en juillet 2020 par le patriarche maronite Béchara Raï, ce principe avait suscité une levée de boucliers après avoir été perçu, par le camp proche du Hezbollah, comme un repositionnement stratégique afin de renforcer l’arrimage du Liban au camp occidental et un moyen de pression exercé sur le parti chiite pour qu’il mette fin à ses aventures guerrières transnationales, notamment en Syrie.
Sans être nommé, le Hezbollah ainsi que son emprise sur l’État ont pourtant été évoqués à maintes reprises. M. Gemayel l’a accusé de « confisquer la décision de l’État de l’intérieur après qu’elle l’a été de l’extérieur (en allusion notamment aux forces palestiniennes présentes au Liban durant les années 70 et aux forces syriennes jusqu’en 2005) ». L’ancien ministre et député souverainiste Achrafi Rifi a, de son côté, critiqué l’arsenal du Hezbollah et son implication dans les guerres régionales. « Le Liban n’est pas une arène pour des règlements de comptes extérieurs », a-t-il martelé, estimant qu’« il faut faire face aux armes miliciennes, ainsi qu’aux assassinats (politiques) et au terrorisme ». Des actions également condamnées par le journaliste Moustapha Fahs, fils de l’éminent uléma anti-Hezbollah Hani Fahs, décédé en 2014, qui a dénoncé « le recours aux muscles à la place de la raison ». « Les chiites doivent s’intégrer dans leur patrie et ne se distinguer par aucun projet spécial », a-t-il prôné à cet égard. « C’est un mouvement de renouveau qui s’inspire des constantes du regroupement de Qornet Chehwan, exclusivement chrétien, du Rassemblement du Bristol, regroupant chrétiens et musulmans, puis du large mouvement populaire du 14 Mars suivi par celui du 17 octobre 2019, qui est né des entrailles du 14 Mars avec la nouvelle génération », commente M. Rifi.
Faire le ménage
M. Gemayel a mis l’accent, tout autant que les autres intervenants, MM. Rifi, le député Adib Abdel Massih (tous deux membres du bloc du Renouveau présidé par Michel Moawad), Moustapha Fahs, Antoine Messarra, constitutionnaliste, et Hayat Arslane, sur la nécessité de redonner à l’État ses lettres de noblesse, notamment en transcendant les appartenances religieuses et les inégalités qui en découlent.
L’ancien chef de l’État a, dans ce cadre, appelé à « passer du système des privilèges et des inégalités à celui de l’État-providence et l’État-garant ». Adib Abdel Massih a préconisé, quant à lui, « une patrie pour tous les Libanais, qui seraient égaux dans leurs droits et obligations ». « Personne ne peut supprimer l’autre », a-t-il souligné. Pour sa part, Mme Arslane a tenu à rappeler les principes directeurs de l’émergence d’un État digne de ce nom, à savoir le « respect de la Constitution et des résolutions internationales ». « La route de Baabda ne sera pas tracée par les pratiques illégales », a-t-elle conclu, en allusion aux manœuvres du tandem chiite destinées à imposer leur candidat Sleiman Frangié à la présidence.
commentaires (14)
… mais aussi a l’education civique du people pour qu’il apprenne a accepter et respecter le system etablit sans qu’il ai le sentiment d’injustice. Par example, le President n’est plus Maronites mais Chretien, idem pour les postes de premier minister ou du parlement, ils ne sont plus Sunnites Chiites ou Druzes mais musulmans. Quand aux positions au sein des institutions de l’etat ells doivent etre ouvertent a tous sans discriminations de quelques sortes.
Pierre Christo Hadjigeorgiou
12 h 59, le 22 janvier 2024