Les protestations de Nabih Berry – « Nous n’abandonnerons pas un mètre du territoire du Liban-Sud, même en contrepartie des plus hauts postes de la hiérarchie officielle », avait affirmé le président de la Chambre il y a dix jours – n’ont pas suffi pour rassurer l’opposition. Cela transparaît dans l’insistance du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, à prendre la même position à deux reprises en 24 heures : « La présidence de la République ne sera pas un lot de consolation. C’est un dossier en soi. » À l’heure où les négociations pour mettre fin à la guerre Hamas-Israël, dans laquelle est impliqué le Hezbollah à partir du Liban-Sud, battent leur plein dans les coulisses politiques et diplomatiques, l’opposition au camp de la moumanaa semble s’inquiéter des répercussions d’un éventuel accord (avec le parti chiite) sur les échéances internes, notamment la présidentielle. Ce camp craint une sorte de troc qui pourrait mener une figure proche du camp du 8 Mars à la magistrature suprême. Une éventualité que les anti-Hezbollah, rejoints par le leader du Courant patriotique libre Gebran Bassil, disent vouloir affronter, sans toutefois définir clairement les moyens pour y parvenir, du moins à ce stade.
Ce qui a été refusé au Hezbollah avant le 7 octobre ne lui sera pas accordé après le 7 octobre. C’est dans cet état d’esprit que les protagonistes de l’opposition abordent la question. « Pour lancer une guerre contre le Liban, Israël n’a pas besoin du Hezbollah et ne l’attendra pas », déclare à L’Orient-Le Jour le porte-parole des FL, Charles Jabbour, comme pour minimiser le poids du parti chiite dans le processus de négociation en cours, et ses retombées sur le dossier de la présidentielle. Mais si tel est vraiment le cas, comment expliquer le matraquage de Samir Geagea ? « Nous mettons simplement en lumière la logique de la moumanaa et ce qu’elle pense pouvoir obtenir à la faveur d’une logique de donnant-donnant », dit-il, faisant savoir que cette tendance transparaît dans les réunions avec certains émissaires internationaux. C’est également ce qui ressort d’un communiqué publié mardi dernier par M. Geagea. « Dans les négociations en cours entre la moumanaa et les émissaires occidentaux, notamment américains, sur la frontière sud et sur un redéploiement du Hezbollah (au nord du Litani, NDLR), la moumanaa affirme que cela requiert une certaine situation interne, liée à la présidence de la République et au gouvernement. Cet axe tente de monnayer ces deux dossiers et nous rejetons catégoriquement une telle démarche. Parce que la présidence ne sera pas un lot de consolation à la résistance », a martelé le leader de Meerab. « Nous sommes reconnaissants pour les efforts déployés par les émissaires internationaux. Mais nous ne permettrons pas au Hezbollah de mettre la main sur le pays ou de le mener vers des aventures inopportunes », commente de son côté à notre journal Pierre Bou Assi, député FL, affirmant toutefois « ne pas avoir entendu parler de troc » entre la présidentielle et la question du Liban-Sud.
La mise en garde de Gemayel
Les craintes de Samir Geagea se font également sentir à Saïfi. Contacté par L’OLJ, Salim Sayegh, député Kataëb, fait état de « tentatives de tâter le pouls des opposants quant à un éventuel lien entre la présidentielle et le retour au calme à la frontière ». « Mais nous n’allons pas accepter l’élection du candidat du Hezbollah à la tête de l’État », assure le parlementaire, précisant que, « contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, une telle démarche ne fera qu’aggraver l’instabilité politique du pays ». Comprendre : l’arrivée du candidat du Hezbollah à la magistrature suprême serait, aux yeux de l’opposition, une concession qui ne serait pas payante. « Cela d’autant plus que le Hezbollah n’a jamais respecté ses engagements politiques », renchérit Pierre Bou Assi. Les opposants reviennent donc à la rhétorique qu’ils avaient employée il y a quelques mois pour enterrer un troc dont la France était, à un moment donné, accusée de faire la promotion et qui prévoyait l’élection de Sleiman Frangié, candidat du Hezbollah, en contrepartie de la nomination d’un Premier ministre proche de l’opposition. « La page de cette formule est tournée. Et à l’heure actuelle, il n’est question d’aucun autre troc entre la frontière et la présidence de la République », tranche une source diplomatique française, disant « comprendre » les appréhensions exprimées par le chef des Kataëb à l’issue de son entretien, mercredi, avec l’ambassadeur de France à Beyrouth, Hervé Magro. « Non à tout compromis aux dépens du Liban et de sa souveraineté, a tonné Samy Gemayel. Beyrouth ne sera pas un cadeau en contrepartie (du dossier) des frontières. »
Les ténors de l’opposition convergent sur ce plan avec le chef du CPL, pourtant allié (ou pas ?) au Hezbollah. Dans une interview accordée mercredi soir à la chaîne de son parti OTV, Gebran Bassil a rejeté toute éventualité de troc. « La guerre ne devrait pas être perçue comme un moyen de marquer des points sur le plan politique. Ce n’est pas avec cette logique qu’on devrait aborder la présidentielle », a-t-il souligné. Et d’ajouter : « Le sang des martyrs n’a pas été versé pour en tirer des profits politiques. » Un message clair au Hezbollah avec lequel les mésententes se font de plus en plus audibles, surtout après la prorogation du mandat du commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, le 15 décembre dernier. Une démarche qui n’a été rendue possible que grâce à un feu orange du parti chiite, malgré l’opposition féroce de son allié chrétien.
Neemat Frem ?
Les propos de Gebran Bassil dénotent une certaine volonté aouniste de ne pas lâcher les anti-Hezbollah – avec lesquels il a dans un premier temps convergé sur le soutien à la candidature de l’ancien ministre Jihad Azour contre celle de Sleiman Frangié – dans cette bataille. Il a dans ce cadre réitéré son appel à une entente élargie autour d’une figure consensuelle, d’autant que le principe de la troisième voie était acquis (avant la guerre d’octobre) après la conclusion que ni M. Frangié ni M. Azour ne pourrait être élu sur fond de polarisation aussi aiguë. « On espère que la nouvelle année sera celle de l’élection d’un président, la préservation de l’accord de Taëf et le respect de la Constitution et des résolutions internationales », a souligné jeudi Michel Pharaon, ancien ministre proche du 14 Mars. Mais ce ne sera pas chose facile. Car en attendant le retour de l’émissaire français pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, prévu pendant le mois de janvier en principe, les anti-Hezbollah peinent toujours à définir clairement les contours de leur action pour la prochaine phase. Alors que des députés centristes poursuivent leurs efforts pour mettre en place un bloc de 20 parlementaires, la Modération nationale (rassemblant des députés majoritairement sunnites ex-haririens) entendrait présenter une initiative à même de réactiver le dossier. « Il s’agit de proposer la relance des séances électorales parallèlement à un dialogue bilatéral qui pourrait déboucher sur une entente », explique Sajih Attié, membre de ce bloc, estimant que Neemat Frem, député du Kesrouan, « serait un candidat qui a des chances d’être élu ». L’opposition s’oriente-t-elle donc vers ce choix ?
commentaires (13)
Pour la Présidentielle, il faut un homme de poigne , aux mains très propres , intransigeant sur le fond et diplomate sur les bords , à égale distance de tous et apprécié par tous , ayant démontré , au cours de son exercice au sein des pouvoirs publics, de la constance et de la fermeté et de la discrétion . Un vrai homme d'État , comme entre autres l'ancien Ministre Jean-Louis Cordahi . Des hommes pareils, ça ne court pas les rues .
Chucri Abboud
14 h 02, le 12 janvier 2024