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Agenda - Hommage

Madeleine, l’élégance naturelle


Quand elle parlait d’elle, elle parlait beaucoup de son père Michel Chiha. Et quand elle parlait de lui, elle parlait de la vie comme elle aurait pu être si on l’avait écouté. Elle n’évoquait pas un homme cérébral enfermé dans son cerveau. Elle évoquait un amoureux des arbres et de la lumière. « J’ai vu cet homme porter le deuil de la nature », m’avait-elle dit lors d’une conversation au cours de laquelle j’avais par chance un carnet sous la main. Elle ajoutait : « Il avait une passion pour la poterie et pour une fleur en particulier : le dahlia. Je vois un dahlia immense dans un pot en terre au milieu de la table. Le dahlia et le pot ne faisaient qu’un. » Et avec cette pointe de préciosité qui raconte toute une époque et tout un monde en voie de disparition, elle avait précisé : « La couleur lui était égale. Il avait une prédilection pour cette fleur désavouée et mal armée qu’était le dahlia. Personne n’a jamais pensé à ça à propos de lui. » Je ne lui ai pas dit, sur-le-champ, que c’est à elle que me faisaient penser le dahlia et, plus encore, la phrase qui avait suivi : « La nature a des moments de grande timidité. Une fleur qui éclot... » Il y avait chez Madeleine, comme chez son père, un très fort désir de faire coïncider le contenant et son contenu. Et une certaine timidité surmontée par l’exigence d’être à la hauteur. Tout le contraire de ce qu’a fait le Liban qui a consommé le divorce avec sa beauté naturelle. Elle, en revanche, a réussi à incarner ce rare alliage du fond et de la forme. En dépit de toutes les épreuves physiques qu’elle a très tôt subies, suite à deux accidents à l’âge de seize et dix-huit ans, elle a mieux que bien vieilli. Elle a embelli avec l’âge et elle est partie en un jour et une nuit comme elle a toujours été : droite, élégante, ayant appliqué à la lettre le conseil que lui donnait son père : « Quand tu rentres dans un salon, tu rentres la tête haute car tu n’es mieux ni moins bien que quelqu’un d’autre. » Comme un dahlia : la fleur aux dizaines de pétales qui se tient droite, quoi qu’il arrive, au sommet de sa longue tige. Le plaisir qu’elle avait à citer les arbres aux fenêtres de son enfance : les lilas de Perse, les manguiers, les mandariniers, les crocus, les jacarandas... Elle était celle qui, dans un roman, fait durer le monde que son auteur a du mal à quitter. Aux côtés de son mari Pierre Helou, Madeleine a contribué à entretenir le pays-jardin dont elle avait hérité, qu’elle a vu sombrer et que les jeunes générations sauront peut-être faire renaître.

Quand elle parlait d’elle, elle parlait beaucoup de son père Michel Chiha. Et quand elle parlait de lui, elle parlait de la vie comme elle aurait pu être si on l’avait écouté. Elle n’évoquait pas un homme cérébral enfermé dans son cerveau. Elle évoquait un amoureux des arbres et de la lumière. « J’ai vu cet homme porter le deuil de la nature », m’avait-elle dit...