« Les émissaires qui viennent nous parler des intérêts hébreux ne sont pas les bienvenus. » Alors que Jean-Yves Le Drian, l’envoyé français au Liban, complétait sa tournée à Beyrouth la semaine dernière, le mufti jaafarite Ahmad Kabalan, proche du Hezbollah, ne semblait pas particulièrement ravi de sa présence. Et il n’est pas la seul. Car, dans les cercles du parti chiite, la critique du rôle de Paris dans la guerre en cours contre Israël abonde. Le quotidien al-Akhbar, aligné sur la politique du Hezbollah, a qualifié dans une série d’articles la France de « sale employé » de Tel-Aviv, qui ne cherche qu’à assurer « la protection des Israéliens ». Ces reproches interviennent alors que, depuis la fin du mois de novembre, la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU fait l’objet de tractations diplomatiques intenses à Beyrouth, notamment de la part de diplomates français, américains et qataris qui cherchent à éviter une escalade impliquant le Liban. La résolution internationale donne en effet à Israël les garanties de sécurité qu’il réclame en éloignant le groupe chiite à quelques dizaines de kilomètres de la ligne bleue, ce que ce dernier dit refuser. Toutefois, pendant que ces porte-parole officieux du parti se déchaînent contre Paris, le Hezbollah officiel, lui, donne le sentiment qu’il tient à préserver ses relations avec son seul interlocuteur occidental.
« Des désaccords, mais... »
Les Français mènent depuis quelque semaines des pressions pour obtenir l’application de la résolution 1701 et éviter une guerre totale. À la clé pour Beyrouth, la résolution du litige frontalier avec Israël. L’ancien ambassadeur français au Liban et patron de la DGSE Bernard Émié s’est rendu au pays du Cèdre pour évoquer ce dossier avec de nombreux interlocuteurs, dont le parti chiite. L’Orient-Le Jour a appris de sources concordantes que les entretiens entre des officiels des deux bords étaient « très positifs ». Le Hezbollah aurait même fait comprendre à ses interlocuteurs qu’il n’était pas fermé à des négociations pour une application plus stricte de cette résolution. La formation n’a pas non plus critiqué le ton, qui frôle l’interventionnisme, avec lequel Jean-Yves Le Drian a appelé les Libanais à proroger le mandat du commandant de l’armée Joseph Aoun afin d’éviter un vide à la tête de l’institution militaire. Pourtant, de leurs côtés, les médias proches du mouvement s’en sont donné à cœur joie sur le deux dossiers, vraisemblablement pour satisfaire l’opinion publique ou renforcer la position du Hezbollah dans les négociations.
Comment expliquer cette volonté du parti pro-iranien de ménager Paris ? « Les intérêts entre la France et le Hezbollah se recoupent largement », analyse le politologue Karim Mufti. En effet, Paris se distingue au Liban des autres puissances occidentales par sa capacité à traiter avec le puissant parti chiite, qui profite également de l’ouverture internationale que les Français lui accordent. « Ce qui fait la spécificité de la France, c’est sa capacité à parler avec tout le monde », affirme une source diplomatique française contactée par notre journal. « Dès lors, notre rôle de médiateur implique de transmettre les messages et les intérêts des deux parties, abonde le diplomate. Mine de rien, le Hezbollah en a bien profité depuis au moins 1996 et les conséquences de l’opération “Raisins de la colère”. » Et il en semble bien conscient. « Il peut y avoir des désaccords, mais cela ne signifie pas que les relations seront coupées », affirme Rana Sahili, porte-parole du parti chiite.
« Les relations sont revenues à la normale »
Les liens entre le Quai d’Orsay et Haret Hreik restent même assez cordiaux, bien que les sujets de désaccords ne manquent pas depuis quelque temps. Lors des premiers mois de l’échéance présidentielle, les Français et le parti chiite semblaient sur la même longueur d’onde. Paris proposait en effet un troc entre la présidence de la République, qui irait au candidat du Hezbollah et leader des Marada Sleiman Frangié, et le poste de Premier ministre, qui reviendrait alors à une personnalité choisie par le camp adverse. Face à l’intransigeance de l’opposition – et d’une partie de ses partenaires internationaux –, la France a dû lâcher cette formule. Dans un entretien accordé à notre journal en septembre, M. Le Drian a effet appelé à l’élection d’un candidat de troisième voie, entre M. Frangié et l’ancien ministre Jihad Azour, candidat des opposants au parti de Dieu et du Courant patriotique libre (CPL). Un repositionnement qui a valu au diplomate les critiques, encore une fois officieuses, du Hezbollah.
Autre sujet de désaccord : la guerre à Gaza. Lors des premiers jours du conflit, le président Emmanuel Macron a soutenu les efforts militaires d’Israël face au Hamas, allié du Hezbollah, sans nuance. L’Élysée avait même proposé qu’une coalition internationale intervienne pour condamner le groupe palestinien au même sort que l’État islamique en Syrie. Mais pendant qu’elle traitait le Hamas comme un paria international, la diplomatie française a maintenu les contacts avec le grand frère libanais du groupe islamiste, le considérant comme incontournable pour quiconque souhaitant avoir une réelle influence au Liban. En parallèle, c’est surtout les drapeaux d’alliés du Hezbollah, tel que le Parti syrien national social, qui flottaient lors des manifestations devant l’ambassade de France à Beyrouth, tandis que le mouvement chiite gardait discrète sa participation aux rassemblements.
Autre fait notable, dans ses deux discours depuis le début des hostilités le 7 octobre, le secrétaire général du parti Hassan Nasrallah a tiré à boulets rouges sur les Américains et même les Britanniques pour leur soutien sans équivoque au gouvernement de Benjamin Netanyahu. Toutefois, il s’est gardé de toute critique contre la France. « Ces dernières semaines, les Français ont modéré leur position et les relations sont revenues à la normale », ajoute Kassem Kassir, un analyste réputé proche du Hezbollah. Ce dernier « est conscient de la position internationale concernant le Hamas, affirme de son côté M. Mufti. Dès lors, il ne s’attend pas à ce que les Européens défendent ce groupe. Ce qui l’intéresse, c’est la position de la France concernant son rôle au Liban. Ni Joseph Aoun ni la 1701 ne constituent des menaces directes pour lui ».
commentaires (10)
« Ce qui fait la spécificité de la France, c’est sa capacité à parler avec tout le monde », affirme une source diplomatique française contactée par notre journal...Il n'y a pas de quoi se vanter, franchement! C'est la posture du lâche et de l'opportuniste. La France des Lumières a bel et bien disparu!
marie-therese ballin
10 h 35, le 11 décembre 2023