Le leader des Forces libanaises Samir Geagea lors d’une interview en mai 2022. Joseph Eid/AFP
Une conférence de presse, un communiqué, une déclaration... Depuis mercredi, le leader des Forces libanaises Samir Geagea ne manque pas une occasion pour dénoncer la décision du Conseil des ministres sortant de verser des indemnités aux habitants du Liban-Sud affectés par les bombardements israéliens depuis le 8 octobre, date à laquelle le Hezbollah s’est joint à la guerre opposant l’État hébreu au Hamas. Il ajoute dans ce sens que c’est au parti chiite de compenser les riverains à ses frais. Ce martelage, qui émane d’une volonté de ne pas imputer à l’État la responsabilité de réparer les « erreurs » du parti chiite, peut surprendre, même s’il paraît logique. Car le camp de l’opposition, dont les FL sont la plus grande composante, accuse sans cesse le gouvernement démissionnaire de ne pas subvenir aux besoins des Libanais en difficulté, laissant ainsi la place aux organes clientélistes du... Hezbollah.
« Il faut que le Hezbollah les indemnise »
« Pour nous, il serait inacceptable qu'à l'heure où le pays traverse une crise économique difficile, l’argent public soit dépensé pour nettoyer derrière le Hezbollah, lance Charles Jabbour, porte-parole des FL. Si on ne peut empêcher cette formation de s’approprier les décisions souveraines comme la guerre et la paix, on ne permettra pas qu’il transforme l’État libanais en ONG. Il doit savoir que ses actions auront des conséquences. »
Dans l’attente d’une étude de l’ampleur des dégâts, Beyrouth a estimé les compensations à quelque 10 millions de dollars. mais si les FL s’opposent au versement de cette somme par le gouvernement sortant, cela ne signifie pas, selon M. Jabbour, que les habitants du Liban-Sud ne doivent pas être compensés. « Il faut que le Hezbollah les indemnise, non seulement pour les habitations détruites et endommagées, mais aussi pour les dégâts économiques à court et à long terme », affirme M. Jabbour. En effet, l’implication du Liban dans la guerre à Gaza semble avoir fortement impacté le secteur touristique, en effervescence avant le conflit. Par ailleurs, l’armée israélienne a incendié, en utilisant des munitions au phosphore blanc, de vastes champs agricoles et des oliveraies dans la région frontalière.
Qu’elle soit motivée par une volonté d’épargner au Trésor une dépense trop importante ou par une volonté d’empêcher le gouvernement du 8 Mars de gagner un tant soit peu de sympathie populaire, la position des FL ne fait pas l’unanimité au sein de l’opposition. Pour des opposants, c’est l’État qui doit prendre en charge la compensation de ses citoyens pour ne pas consolider la logique clientéliste qui permet au Hezbollah, fort du soutien financier hors norme de l’Iran, de renforcer sa popularité. Par exemple, en septembre 2021, après une explosion meurtrière dans la région (sunnite) de Tleil, au Akkar, le parti de Hassan Nasrallah a distribué des aides financières importantes aux familles des victimes. Dans la même veine, L’Orient-Le Jour a appris que des délégations de la formation chiite ont rendu visite aux présidents des municipalités des villages impactés par les combats, leur affirmant que le parti se chargera de la reconstruction des biens endommagés. Le député Hussein Fadlallah a d’ailleurs annoncé la semaine dernière que les premières compensations ont déjà été versées.
Une alternative au Hezbollah
« Si le gouvernement ne fait rien, il aura renforcé l’idée comme quoi la gestion et la protection du Sud sont la responsabilité du Hezbollah », déclare la députée Halimé Kaakour, affiliée à la contestation populaire du 17 octobre 2019, alors que le parti chiite se nourrit du sentiment d’abandon historique éprouvé par de nombreux chiites au Sud et dans la Békaa. « Les gens ne sont pas dupes, rétorque M. Jabbour. Ils savent qu’en les compensant, le parti ne leur rend pas service. C’est la moindre des choses qu’il puisse faire après avoir provoqué cette destruction. » Mais « ce n’est pas en laissant l’Iran compenser nos concitoyens à travers le Hezbollah qu’on va construire un État fort qui a le monopole des armes, notamment face à l’ennemi israélien », regrette Mme Kaakour.
Ce n’est pas la première fois que la question des indemnités suite aux bombardements israéliens suscite la polémique. En août 2006, après un mois de guerre entre le mouvement chiite et l’État hébreu, le Hezbollah a très vite offert des compensations aux habitants affectés dans plusieurs régions libanaises. « Cela a valu au gouvernement une critique sévère de la part des chancelleries occidentales, témoigne un ancien ministre joint par notre journal. En effet, ils ne voulaient pas que la formation pro-iranienne puisse renflouer sa popularité après la guerre, et auraient préféré que l’État se charge lui-même de la reconstruction et se pose en alternative sérieuse à l’appareil social du Hezbollah... » Ce n’est pas gagné.
La photo : c'est qui ce monsieur qui pointe du doigt ? Lever le doigt est réservé à un PERSONNAGE connu ! NON ??
12 h 05, le 05 décembre 2023