« C’était mon idée ! » s’exclame fièrement Kirubel Salomon. Début octobre, ce commandant de bord de la compagnie Ethiopian Airlines surprend sa mère, bouquet de fleurs à la main, en l’accueillant à bord d’un vol Beyrouth-Addis-Abeba dont il est aux manettes. Surgissant de derrière un rideau fermé, avec la complicité de ses collègues, le vingtenaire a pu lire une joie immense dans les yeux de sa mère, Minalu Mergiya, alors qu’elle embarquait pour un aller simple vers l’Éthiopie, après vingt-cinq années passées au Liban en tant qu’employée de maison. Un moment d’émotion capturé en vidéo qui a rapidement fait le tour des réseaux sociaux.
« Très jeune, j’ai compris que ma mère était partie travailler au Liban pour moi et cela a eu un impact indéniable sur ma détermination à réussir », explique le pilote, ingénieur de formation et diplômé en avril dernier de l’Ethiopian Airlines Aviation Academy. « Un jour, alors que nous parlions de mon avenir, ma mère m’a confié son rêve de me voir devenir pilote de ligne. C’est ma façon de la remercier et de la rendre fière », poursuit-il. « En apercevant mon fils près du cockpit, j’ai accouru pour l’embrasser et je n’ai pas pu retenir mes larmes. C’est tellement beau de voir son enfant réussir… » raconte Minalu, qui n’avait plus revu son fils depuis 2019. Si Kirubel avoue avoir d’abord été surpris et inquiet par le succès soudain de la vidéo, postée par un anonyme, il concède finalement « aimer ce qu’elle raconte : le parcours de ma mère est un bel exemple de persévérance pour les jeunes, mais aussi pour toutes ces mères qui travaillent comme domestiques au Liban ».
25 ans passés au Liban
Quand elle est arrivée au Liban à la fin des années 1990, Minalu Mergiya avait 21 ans, un diplôme de secrétariat en poche et deux petits garçons à charge. « J’étais danseuse de ballet à Addis-Abeba. Je voulais trouver un travail de secrétaire pour subvenir aux besoins de ma famille, mais aucune opportunité ne se concrétisait. Alors, quand on m’a proposé de venir travailler au Liban, je n’ai pas hésité », explique-t-elle. « Je n’avais que trois ans mais je me souviens de son départ d’Éthiopie. Nous avons beaucoup pleuré mon frère et moi. Mais ma mère a toujours été très optimiste et nous a transmis sa confiance en Dieu et en la vie », ajoute Kirubel.
Employée dans un foyer beyrouthin pendant deux ans, la jeune femme rejoint ensuite la famille Spagnolo, des Libanais d’origine italienne vivant à Kornet el-Hamra (Metn) et chez qui elle restera plus de vingt ans. « En quittant Addis-Abeba, j’étais très jeune et j’avais vraiment peur de ce qui m’attendait au Liban, se souvient-elle. Mais les Spagnolo ont été formidables avec moi, j’ai trouvé un second foyer. »
Durant ces années, Kirubel et son petit frère Surfel grandissent à Addis-Abeba avec leur grand-mère, décédée en 2015, qui « nous a éduqués dans l’amour et la discipline», souligne le pilote. La séparation est toutefois difficile à supporter pour la mère et ses fils, qui attendaient non sans impatience chaque réunion : un mois, tous les cinq ans. « Petits, notre mère nous parlait déjà beaucoup du Liban. Elle nous racontait à quel point le pays était beau et les Libanais gentils. Lorsqu’elle repartait, nous la suppliions de nous emmener dans ses bagages », se souvient Kirubel.
Pour l’avenir de ses enfants
« Durant la guerre de 2006, la crise économique et l’explosion au port de Beyrouth, je suis toujours restée au Liban. Par amour pour le pays et la famille pour laquelle je travaillais. Surtout, je n’avais pas d’autre choix pour payer la scolarité de mes deux fils », explique-t-elle. « Même à des milliers de kilomètres, notre mère nous encourageait sans cesse. Nous nous devions de réussir professionnellement, c’était une forme de nécessité », raconte Kirubel. Diplômé en informatique, Surfel, lui, travaille en Croatie en tant que coach sportif et mannequin. Minalu est comblée : « Ils sont ma fierté ! » Depuis le retour de sa mère en Éthiopie, Kirubel souhaite « lui faire voir le monde entier. Je sais qu’elle rêve de voyager en France, en Italie et au Brésil ! »
Si Minalu se dit ravie d’être maintenant auprès des siens, « mon cœur appartiendra toujours un peu au Liban, où se trouvent mes amis et ma famille d’adoption. Tous les jours depuis mon retour, je continue de dire “bonjour” et “bonne nuit” à Valeria et Fabio Spagnolo. Ce sont comme mes enfants », confie-t-elle à L’OLJ. « J’en suis même parfois jaloux ! » admet Kirubel dans un rire. Si Minalu vient de tourner la page de sa vie au Liban, le jeune pilote est lui bien décidé à franchir les portes de l’aéroport de Beyrouth un jour : « Je n’ai pas abandonné mon souhait d’enfance de découvrir un jour ce pays. »
commentaires (13)
C’est très rassurant de constater qu’il y’a au Liban des gens normaux qui traitent leurs employés avec affection et respect! Même s’ils ne sont peut être pas la majorité malheureusement…
Joumana Jamhouri
03 h 21, le 28 novembre 2023