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La guerre souterraine


Du sang, de la sueur et des larmes ! Churchill avait bien trouvé ses mots pour convaincre les Britanniques que les guerres ne sont pas gagnées ou perdues sur les seuls champs de bataille. Et que l’issue de tels conflits entre nations dépend aussi de la solidité du front interne : pour ne citer que le plus actuel des exemples de cette union sacrée censée cimenter les peuples confrontés à l’ennemi extérieur. C’est d’ailleurs sur cet inviolable tabou que mise un Benjamin Netanyahu aux abois pour s’obstiner dans sa sale besogne à Gaza, pour éloigner d’autant l’heure des redditions de comptes politiques.


Mais plutôt que de spéculer à perte de vue sur la contestation croissante au sein de l’opinion publique israélienne, et même de l’influente diaspora juive, ne serions-nous pas bien inspirés de balayer d’abord devant notre propre porte ? Le sang, la sueur et les larmes, les Libanais n’en ont jamais été avares, hélas ; mais c’est en aparté, hélas, en chambres séparées qu’ils ont pris le pli de verser leur tribut aux secousses qui ravageaient leur terre. S’il est tout de même un point sur lequel ils se retrouvent dans leur écrasante majorité, c’est bien le refus de sauter à pieds joints dans le bouillonnant chaudron de Gaza. Cette attitude n’a certes rien de déshonorant, elle est on ne peut plus rationnelle et normale dans un pays ployant déjà sous une avalanche de crises d’une gravité sans précédent ; et où la présence souvent turbulente de centaines de milliers de réfugiés palestiniens est source de divergences supplémentaires entre ses diverses composantes politico-confessionnelles.

Non à la guerre, promis, juré ? Hassan Nasrallah, qui s’est arrogé le droit de décider pour nous tous, a bien fait savoir qu’il ne serait pas le premier à la déclencher, et c’est tout juste si les Libanais ne lui en ont pas rendu grâces à l’unisson. Mais chaque jour un peu plus, les risques de dérapage augmentent dans le ping-pong d’artillerie prétendument contrôlé qui se joue depuis six semaines à la frontière sud. On oublie un peu vite aussi qu’en dernière extrémité, le Hezbollah fera ce que Téhéran lui demandera de faire. C’est d’ailleurs ce que laisse craindre la mise en garde lancée jeudi aux Iraniens par la ministre française des AE, leur faisant assumer une lourde responsabilité dans toute extension du conflit, notamment à partir du Liban. À son tour cependant, Mme Colonna semble oublier que Netanyahu lui-même, dans sa fuite éperdue en avant, pourrait trouver intérêt à doubler soudainement la mise.

Le plus atterrant cependant est que, face à toutes ces éventualités, le Liban, pour peu qu’on lui concède encore la qualité d’État, ne dispose d’aucune parade crédible. Car il ne s’affiche pas seulement culotte baissée, cet État ; il est nu, puisque carrément absent de la scène. Car voilà tout d’abord un État sans tête, privé qu’il est de président depuis plus d’un an, sans que l’autorité suppléante s’en sente trop mal. Voilà ensuite une armée admirable de dévouement, mais constamment traitée en bonne à tout faire : une armée qui, en ces circonstances exceptionnellement graves, risque pourtant de se retrouver bientôt, elle aussi, sans tête. Et pourquoi donc ? Pour des raisons bassement politiciennes, parce que le gouvernement d’expédition des affaires courantes exige une parfaite unanimité pour reconduire dans ses fonctions le commandant de la troupe, dont le mandat expirera dans quelques semaines. Parce que surtout le sempiternel trublion qui veut à tout prix devenir président et qui s’acharne à éliminer toute concurrence (on l’aura reconnu sans peine) s’y oppose ou qu’il y met ses conditions. Quitte à voir le Sud (et le reste peut-être) partir en fumée, il y en a décidément qui ne perdent pas le nord …

Mais revenons-y, ce Sud de toutes les tempêtes qui a eu plus que son lot de résolutions onusiennes et qui avait cru accéder enfin au calme avec le matricule 1701 ; ce texte bannissait de la région toutes les milices et en confiait le contrôle à l’armée régulière libanaise et à la Force intérimaire des Nations unies. Or la première se trouve pratiquement réduite au rang plutôt humiliant de supplétif du Hezbollah, véritable maître des lieux. Et comme à dessein, comme pour inciter à décamper cette gardienne de la paix et de l’intégrité du territoire qu’est la Finul, c’est ce moment précis que choisit le tribunal militaire pour lui administrer un retentissant camouflet en libérant sous caution un milicien suspecté du meurtre d’un Casque bleu irlandais.

Ces impensables anomalies contribuent-elles vraiment à unir les Libanais, à opposer à l’ennemi israélien un front interne en acier trempé ? On vous dispense bien évidemment de la réponse. C’est sur la résistance à l’occupation israélienne que le Hezbollah a bâti sa légende, et son arsenal ou ses labyrinthes de tunnels en remontreraient même à ceux du Hamas palestinien. En parallèle du coup de main consenti aux défenseurs de Gaza, c’est en réalité une autre guerre, à peine souterraine, celle de l’entière mainmise sur le Liban, qui a cours en ce moment.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Du sang, de la sueur et des larmes ! Churchill avait bien trouvé ses mots pour convaincre les Britanniques que les guerres ne sont pas gagnées ou perdues sur les seuls champs de bataille. Et que l’issue de tels conflits entre nations dépend aussi de la solidité du front interne : pour ne citer que le plus actuel des exemples de cette union sacrée censée cimenter les peuples...