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Société - Focus

Sur les hauteurs de Beyrouth, les déplacés du Sud font face à l’envolée des loyers

Les prix des locations de ces logements temporaires loin de la ligne de front ont très fortement augmenté, allant jusqu’à doubler.

Sur les hauteurs de Beyrouth, les déplacés du Sud font face à l’envolée des loyers

Un homme regardant depuis son balcon à Beyrouth. Photo João Sousa

Dès l’attaque surprise du Hamas contre Israël le 7 octobre, l’éventualité d’une entrée en guerre du Hezbollah est évoquée. Rola*, employée d’une société de technologie près de Beyrouth, sait qu’il était temps de passer à l’action : beaucoup de ses collègues sont originaires de localités situées le long de la frontière sud du Liban et auront surement besoin d’aide pour trouver un logement plus sûr si une guerre plus importante devait éclater. Dès le 8 octobre, elle prépare un document répertoriant les appartements et les Airbnbs disponibles à la location, se basant sur des dizaines d’appels téléphoniques avec des propriétaires de la banlieue est de Beyrouth.

Une semaine plus tard, Rola demande à un de ses collègues de faire le suivi. Et c’est un choc : selon les nouvelles recherches menées auprès des gestionnaires et des propriétaires, les prix de location des appartements ont augmenté de « 200 à 300 dollars... voire doublé », et de détailler : « L’un des appartements, qui coûtait 600 dollars (auparavant), en valait désormais 1 000. » Certains propriétaires d’appartement ont même ajouté certaines conditions, comme une limite du nombre de personnes pouvant résider dans l’immeuble.

Alors que la menace d’une guerre plus large au Liban plane depuis plus d’un mois, les habitants fuyant leurs maisons dans le sud du pays et dans d’autres zones susceptibles de devenir des zones à risque affirment que les propriétaires profitent de la situation en leur faisant payer des loyers exorbitants.

Un emplacement à louer à Beyrouth. Photo João Sousa

Les risques de rester dans ces zones ne font que croître : la semaine dernière, les tirs transfrontaliers opposant le Hezbollah et d’autres groupes armés aux forces israéliennes se sont intensifiés, avec l’utilisation de roquettes et de bombes chimiques qui atterrissent souvent dans des zones civiles. Les combats ont poussé plus de 25 000 personnes à fuir leur domicile, selon les dernières données publiées par l’Organisation internationale pour les migrations des Nations unies.

« En raison de la forte demande d’appartements, en particulier dans les zones considérées comme sûres, tous les loyers ont augmenté, dépassant même les prix de la saison estivale », explique Christina Abou Rouphaël, architecte et chercheuse au Public Works Studio. Cette dernière compile depuis ce dernier mois des recherches sur l’augmentation des prix des loyers dans les zones où les familles déplacées ont trouvé refuge. Jusqu’à présent, elle constate que les loyers ont augmenté de « 100 à 200 % » dans ces zones. Comme dirait Rola, certains propriétaires « cherchent à tirer rapidement profit de cette crise ».

« Choquées par les loyers »

Wissam Mehanna, 23 ans, vit avec son père et sa belle-mère dans la banlieue sud de Beyrouth, une zone largement contrôlée par le Hezbollah. Les habitants craignent de se retrouver dans la ligne de mire en cas d’escalade. Depuis le début de la guerre, il cherche à louer un appartement à court terme à Bchemoun, situé dans les montagnes à quelques kilomètres de Beyrouth. Le père de Wissam a choisi cette ville car elle est « loin des zones les plus susceptibles d’être visées en cas de guerre ». Jusqu’à présent, leurs recherches n’ont pas abouti. 

Un homme regardant depuis son balcon à Beyrouth. Photo João Sousa

La famille de Wissam paie actuellement un loyer d’environ 500-600 dollars par mois et cherche donc un appartement dans cette même fourchette. Wissam se dit étonné face à certains des prix : « 900 dollars pour deux ou trois pièces... (d’autres ont proposé à mes amis) 1 200 dollars pour un appartement de cinq à six pièces. »

« Nous avons vu (beaucoup d’options) », explique Wissam à L’Orient Today. Bien que son père et un propriétaire soient parvenus à un accord, ce dernier l’a rejeté par la suite. « Je pense qu’il a trouvé quelqu’un de plus offrant », ajoute Wissam. La famille est toujours à la recherche d’un endroit à Bchemoun.

Les agents immobiliers affirment que le marché de l’immobilier lui-même est en train de changer, puisque de plus en plus de personnes recherchent des locations à court terme pour surmonter ce qu’ils espèrent être une guerre de courte durée. Rafik Yazbeck, propriétaire d’une agence immobilière à Mansouriyé, dans la banlieue de Beyrouth, explique à L’Orient Today que les demandes d’appartements de courte durée ont augmenté au cours des dernières semaines. Le loyer de ses propriétés est de 1 000 dollars mensuel pour des locations d’un ou de trois mois. Rafik Yazbeck affirme que, parmi les demandes qu’il a reçues, environ « 10 % » ont fini par louer l’un de ses biens.

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Alors que les appartements se remplissent, d’autres, qui possèdent des propriétés proposées à la location sur le site Airbnb dans la banlieue de Beyrouth, disent qu’ils ont reçu un afflux de demandes, non pas de la part de touristes habituels séjournant pendant plusieurs jours, mais plutôt de familles à la recherche d’endroits bon marché.

« Mon appartement n’est même pas du tout équipé pour les besoins d’une famille, comme d’un bon moteur ou une alimentation en gaz », explique Jean Hallit, propriétaire d’un appartement à Rabié qu’il loue habituellement à des touristes via Airbnb. Ce dernier estime qu’il reçoit désormais trois à cinq demandes par jour de la part de familles souhaitant réserver l’appartement, probablement parce que sa propriété fait partie des moins chères, à 30$ la nuit, à Rabié. Auparavant, il ne recevait qu’une demande par semaine.

« Exploiter la guerre »

Layla*, une écrivaine de 24 ans, et son fiancé ont quitté Nabatiyé pour s’installer dans une maison qu’ils possèdent à Aramoun, un village près de Bchemoun, juste à l’extérieur de Beyrouth. Mais le couple a décidé de continuer à chercher un nouvel endroit plus éloigné de Beyrouth, où ils se sentiraient plus en sécurité. Avec un budget ne dépassant pas 1 200 dollars par mois, ils ont cherché dans les zones voisines de Bsalim, Baabdate et Aley avant de se décider finalement pour un appartement à Batroun, à plus de 50 kilomètres au nord de Beyrouth. La principale raison qui les a poussés à s’installer si loin dans le Nord est le prix élevé des loyers d’appartement plus au Sud. « C’était très cher... quelqu’un nous a dit 1 500 dollars pour un appartement avec deux chambres, ce qui est complètement fou parce que c’est au milieu des montagnes et c’est loin de Beyrouth... Je ne vais pas payer cette somme ici », explique Layla à L’Orient Today.

Des immeubles à Beyrouth. Photo João Sousa

Habituellement, les locations de courte durée et les locations saisonnières, comme celles qui sont actuellement très demandées, « sont plus chères que les locations de longue durée », explique Christina Abou Rouphaël. Mais dans les deux cas, « les loyers ont doublé. Ce n’est pas seulement lié au fait qu’il s’agit de locations saisonnières ; ce sont les propriétaires et même les courtiers qui profitent de la situation ».

Mohammad Bassam, un ingénieur civil qui vit dans la banlieue sud de Beyrouth, a trouvé un logement à Aley grâce à un ami qui lui a proposé d’y rester gratuitement si la situation s’aggravait. Avant de sécuriser cet endroit, Mohammad s’était renseigné sur les prix de certains appartements à Aley et Antélias, et a découvert que les appartements non meublés coûtaient 1 200 dollars et les appartements meublés 1 800. Son budget était entre 300 et 1 000 dollars.

« Beaucoup de gens du Sud et de la banlieue sud reçoivent de l’argent de ceux qui ont quitté le Liban il y a longtemps, donc la plupart des gens ont sûrement un membre de leur famille à l’étranger », explique Mohammad. Les propriétaires se disent « que si la situation évolue, la diaspora aidera leurs familles, et ils en profitent ». « Il s’agit d’une exploitation des habitants du Sud et de la banlieue sud. »

Selon Christina Abou Rouphaël, ces attitudes s’appuient sur des pratiques discriminatoires existantes à l’égard des personnes originaires du sud du Liban. Interrogées par son équipe, certaines familles musulmanes chiites du Sud disent avoir « été choquées par des pratiques communautaires visant à connaître l’étendue de leur pratique religieuse. Certains bureaux (immobiliers) ignorent les appels des familles qui cherchent à louer des maisons dans des zones spécifiques » en raison des différences confessionnelles.

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Heureusement pour Fatima, qui vit dans le quartier de Jnah à Beyrouth mais dont certains membres de la famille résident à Nabatié, son arrière-grand-mère et sa grand-mère ont pu louer une maison à Broummana après avoir quitté le Sud. « Nous avons un appartement à Jnah, Beyrouth… Pour plus de sécurité et surtout parce que mon arrière-grand-mère et ma grand-mère sont âgées et ont vraiment peur, nous avons décidé de chercher un appartement un peu plus loin de Beyrouth », explique Fatima. S’il y a une escalade de la guerre, elle envisage de rejoindre ses aïeules à Broummana, « car Jnah n’est pas très sûr ».

Si le loyer mensuel de 1 000 dollars pour l’appartement de Broummana est dans le budget de la famille, le propriétaire leur a demandé de payer six mois de loyer à l’avance, ce qui signifie que la famille a dû payer un minimum de 6 000 dollars pour se sentir tout simplement en sécurité. En dépit de tout, Fatima se réjouit d’avoir trouvé un appartement encore disponible, malgré le coût. « Lorsque nous avons décidé de louer, la plupart des maisons étaient déjà prises. »

Au final, selon Wissam, la recherche d’un appartement est – théoriquement – temporaire. « Dès que la situation se sera calmée », lui et sa famille prévoient de rentrer chez eux, dans la banlieue sud de Beyrouth. Ils garderont la plupart de leurs affaires chez eux et ne prévoient d’emporter que le strict minimum dans le nouvel appartement. « J’ai préparé un sac en cas d’urgence et j’ai tout mis dedans : des vêtements, des objets de première nécessité... Comme ça, je peux directement le prendre et quitter (la banlieue sud) en cas d’urgence », explique Wissam. Sa famille devra payer deux loyers en même temps une fois qu’elle aura trouvé un logement à court terme dans les montagnes. « Nous pouvons probablement nous le permettre, dit-il, mais cela rendra les choses plus difficiles, c’est certain. »

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées

Dès l’attaque surprise du Hamas contre Israël le 7 octobre, l’éventualité d’une entrée en guerre du Hezbollah est évoquée. Rola*, employée d’une société de technologie près de Beyrouth, sait qu’il était temps de passer à l’action : beaucoup de ses collègues sont originaires de localités situées le long de la frontière sud du Liban et auront surement besoin d’aide...

commentaires (5)

Rien de nouveau sous le soleil : la nature opportuniste et profiteuse du Libanais vis-à-vis de ses compatriotes se montre sous son plus beau jour. Et après il y en a qui pensent qu'on peut construire un Etat dans tout ce fatras...

Benjamin Le Biavant

19 h 13, le 15 novembre 2023

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Commentaires (5)

  • Rien de nouveau sous le soleil : la nature opportuniste et profiteuse du Libanais vis-à-vis de ses compatriotes se montre sous son plus beau jour. Et après il y en a qui pensent qu'on peut construire un Etat dans tout ce fatras...

    Benjamin Le Biavant

    19 h 13, le 15 novembre 2023

  • Dégueulasse mentalité de profiteurs au Liban.... et ils perdent le Liban !

    Marie Claude

    17 h 47, le 15 novembre 2023

  • Ils sont partout merci Hezbollah pour le mal que tu fais à ton peuple

    Eleni Caridopoulou

    18 h 02, le 14 novembre 2023

  • D'un côté, il y a les prix qui grimpent, les proprios en profitent étant donné la pression de la demande ( c'est dégueulasse). D'un autre il y a des victimes : Ces familles du Sud qui n'ont rien demandé. Quoique... Quoique? Parce que ces mêmes familles, victimes sont aussi responsables que les proprios avides de fric. Ces familles ont salué, adoré, glorifié le hezbollah depuis toujours. Maintenant, s'ils sont dans cette situation c'est la faute de qui?? les israéliens? Oui 100% MAIS ils ne sont pas les seuls : Il faudra aussi inclure ces organisations palestiniennes et le Hezbollah.

    LE FRANCOPHONE

    14 h 31, le 14 novembre 2023

  • C’est quoi le but de cet article? Exacerber les tension inter-confessionnelles?

    Gros Gnon

    14 h 08, le 14 novembre 2023

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