Gebran Bassil semble avoir mis un peu d’eau dans son vin. En l’espace de dix jours, le chef du Courant patriotique libre s’est engagé à deux reprises à respecter un « pacte d’honneur » selon lequel il serait disposé à « soutenir tout président de la République qui fera l’objet d’une entente élargie ou qui sera élu à l’issue d’une séance parlementaire ouverte », comme il l’a écrit sur son compte X dimanche dernier, au lendemain de son entretien avec le patriarche maronite Béchara Raï. C’est d’ailleurs à ce dernier qu’il a proposé la tâche d’élaborer et de parrainer le pacte en question. Cela veut-il dire que l’heure des concessions a sonné pour le leader aouniste à la lumière de la guerre qui fait rage depuis un mois à Gaza ? Et à quel prix ?
Depuis la fin du mandat de Michel Aoun, le 31 octobre 2022, Gebran Bassil a pu s’imposer comme un élément incontournable dans l’échéance présidentielle. S’il est conscient que c’est de lui que dépendent tant la candidature de Sleiman Frangié (appuyée par le tandem chiite Amal-Hezbollah) que la bataille de Jihad Azour (soutenu par le camp de l’opposition et le CPL), le chef maronite ne compte pas changer ses orientations de vote, mais se montre désormais prêt à faciliter la tâche à tout chef de l’État élu « conformément à la Constitution », pour reprendre les termes de son conseiller politique Antoine Constantine. « Le pacte d’honneur dont nous parlons veut dire que nous sommes prêts à soutenir tout président élu à la faveur d’une entente élargie ou à l’issue d’une séance électorale ouverte », explique-t-il. « Il ne s’agit pas d’imposer des conditions, mais de tenter d’accélérer l’échéance en cette période de guerre », ajoute M. Constantine.
« Que des paroles »
Jusqu’ici, rien de surprenant de la part du parti qui veille à se montrer comme un des facilitateurs de l’échéance. Mais c’est surtout le timing de la démarche qui suscite des interrogations. « Je suis prêt à avaliser un pacte d’honneur selon lequel nous n’agirons pas (avec le nouveau président) comme certains l’ont fait avec nous (sous le mandat Aoun) », a-t-il affirmé dans une interview accordée le 29 octobre dernier à la chaîne locale LBCI. Au-delà de la pique au tandem chiite Amal-Hezbollah, le député de Batroun évoquait ainsi pour la première fois la notion de « pacte d’honneur », quelques jours après son entretien à Bnechaï avec son rival présidentiel, le chef des Marada, Sleiman Frangié. L’Orient-Le Jour a appris dans ce cadre que lors de cette réunion, le pacte en question n’a pas été discuté. « Nous nous sommes entendus surtout sur le refus de toute prorogation du mandat de Joseph Aoun (à la tête de l’armée) et sur les questions stratégiques », confie un proche du zaïm zghortiote sous le couvert de l’anonymat. Il laisse d’ailleurs entendre qu’une sérieuse crise de confiance secoue les rapports entre les deux rivaux, en dépit de cette reprise de langue. « Tout ce qui se dit n’est que des paroles », dit le proche de M. Frangié.
De quoi tuer dans l’œuf le clin d’œil – toutefois non assumé puisqu’il a réitéré son refus de voter pour le chef des Marada – de Gebran Bassil en direction de Zghorta ? « Pour lui accorder nos voix, nous avons des conditions que le Hezbollah connaît », souligne un ancien député aouniste. Une référence au fonds fiduciaire et à la décentralisation administrative et financière élargie, les deux points qui étaient au centre d’un dialogue entre le courant aouniste et son allié chiite, que la guerre entre le Hamas et Israël, dans laquelle le Hezbollah est impliqué à la frontière sud, a cependant relégué au second plan.
Quid de Joseph Aoun ?
M. Frangié n’est pas le seul présidentiable à qui Gebran Bassil s’oppose ouvertement. Il y a aussi et surtout Joseph Aoun, une figure de plus en plus associée à la « troisième voie » prônée par les puissances impliquées dans le dossier libanais (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar). À deux mois du départ à la retraite du général Aoun (le 10 janvier 2024), le chef du CPL mène une bataille acharnée pour empêcher la prorogation de son mandat, au grand dam du reste des formations chrétiennes, mais aussi de Bkerké qui vient de se prononcer pour cette option, surtout dans des circonstances de guerre. Si une entente est conclue autour du nom du chef de la troupe, le leader aouniste va-t-il lui faciliter la tâche ? « En parlant de pacte d’honneur, M. Bassil n’a évoqué aucun nom. Cela veut dire que cela s’applique à tout le monde », précise l’ancien député CPL. Mais on n’en est pas encore là. Car pour le CPL, le numéro un de la troupe n’est pas encore un candidat officiel à la magistrature suprême, sans oublier que son élection requiert un amendement de la Constitution, notamment l’article 49. Ce texte interdit aux fonctionnaires de première catégorie (dont le chef de l’armée) de se lancer dans la course présidentielle deux ans avant la fin de leur mandat.
« Ce que nous évoquons n’a rien à voir ni avec Sleiman Frangié ni avec Joseph Aoun. Tout ce que nous proposons est une initiative de bonnes intentions pour accélérer la tenue du scrutin », insiste l’ancien député. « Il est ridicule de s’opposer à un président de la République dès les premiers jours de son mandat. Nous lui donnerons une chance, c’est tout », ajoute-t-il. Sauf qu’en politique, on ne fait pas de cadeaux. De quoi laisser croire qu’en dépit de son engagement, M. Bassil œuvrera pour avoir son mot à dire tant sur la formation des gouvernements que sur les nominations aux postes-clés. « Nous avions Michel Aoun à la présidence de la République et malgré cela, son mandat a été mis en échec. Quelle valeur peuvent donc encore avoir les batailles pour des nominations ? » rétorque l’ex-parlementaire aouniste, dans une volonté manifeste de ne pas dévoiler toutes les cartes de Gebran Bassil. Du moins pas à ce stade.
commentaires (8)
vraiment quelle honte
Abdallah Barakat
17 h 02, le 08 novembre 2023