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Culture - Documentaire

Brian D. Johnson fait couler l’encre de toutes les couleurs

 « The Colour of Ink », un film tout en beauté et en magie, pour le coup d’envoi, mardi 7 novembre, au théâtre Beryte au Beirut Art Film Festival (BAFF).

Brian D. Johnson fait couler l’encre de toutes les couleurs

Dans « The Colour of Ink », le fabricant Jason S. Logan cherche l’encre dans la nature. Photo DR

Le film d’ouverture de la 9e édition du Beirut Film Festival est assez particulier. Pas d’énigme, pas de fin conclusive, pas d’histoire à proprement dite. Et pourtant, il accroche le spectateur du début jusqu’à la fin. Autant le dire toute de suite : dans The Colour of Ink, c’est l’émerveillement visuel et sensoriel qui retient d’abord l’attention. Le sujet, lui, viendra vous hanter après, et vous fera réfléchir longuement.

Le postulat de départ de ce documentaire, c’est son réalisateur qui l’explique à L’Orient-Le Jour. 

« Aujourd’hui, à l’heure des datas, toute trace de vie peut s’évaporer en un dixième de seconde et réduire à néant toutes les données et les informations, confie le réalisateur Brian D. Johnson. Jamais les traces écrites n’ont été autant exposées à la vulnérabilité, et l’encre reste l’empreinte la plus durable de l’écriture, donc de l’histoire de l’homme et du monde. » C’est ainsi qu’il décide de suivre, caméra à l’appui, les pas du fabricant d’encre Jason S. Logan.

Ce liquide précieux

Mais d’abord, qui est Jason S. Logan ? Fils d’un pasteur torontois hippie et bipolaire et d’une mère artiste, Logan décide un beau jour de quitter son travail de graphiste au New York Times, pour s’établir avec sa famille à Toronto et y fonder une compagnie de confection d’encre... dont il sera le seul employé ! La recherche des encres non toxiques devient sa priorité. Dès lors, vous aurez du mal à le rencontrer les ongles propres et nets, mais plutôt teintés de bleu. L’encre allait devenir sa seconde peau.

Jamais il n’aurait pensé qu’il deviendrait un fabricant d’encre, avoue-t-il devant l’objectif de Brian D. Johnson. Ce dernier va parcourir le monde en sa compagnie pour attester de ses quêtes. Le réalisateur avoue que, plutôt que de découvrir les techniques de l’encre, c’est par les circonstances de la vie que l’encre l’a trouvé, lui qui avait toujours travaillé dans l’écriture de sa position de journaliste culturel pour un grand journal canadien. À voir ce que Jason était capable de faire avec l’encre, ce liquide le séduit et le fascine. Plus tard, durant le tournage, l’encre allait les guider. Et si l’épidémie de Covid les a empêchés de voyager à un moment donné, l’encre, elle, allait continuer de voyager.

Le réalisateur canadien Brian D. Johnson. Photo DR

De la nature et pour la nature

L’encre se trouve partout dans la nature. Logan la traque partout et fait d’abord un premier constat : l’encre pousse sur les arbres. Il se met à ramasser des noix noires et en récupère les pigments. Il réalise aussi que le plus ancien producteur d’encre vit sous l’eau, c’est le poulpe ! Après un incendie qui ravage les forêts, le bois calciné devient un prétexte pour récupérer l’encre. Le feu devient ainsi une base de l’encre. Quant à la guêpe, elle produit des œufs qui s’accrochent aux arbres et c’est à partir de la larve des œufs que l’on peut soustraire de l’encre...

Qui aurait pu croire que l’encre a des milliers de sources ?

Pour en savoir plus

Le Beirut Art Film Festival maintenu envers et contre tout !

Jason Logan va procéder à des expériences où les matières et les couleurs se mélangent, où la goutte d’encre qui glisse sur le pinceau pour atterrir sur une surface blanche prend des multitudes de formes ; elle devient fleur, nuage ou ligne d’horizon. Ainsi, il arrive à montrer ce que ce liquide précieux est capable de faire plutôt que ce qu’il est. L’encre revêt alors une dimension onirique, elle est vivante, imprévisible, fuyante et fugace, et sa source la plus ancienne en est évidemment le carbone. Lorsqu’il proposera à un maître calligraphe japonais d’utiliser son encre, celui-ci sera enchanté d’approcher ce matériau si riche en possibilités. Avec lui, le spectateur va à la rencontre de tatoueurs, de graphistes, d’illustrateurs, de géologues, d’artistes et de calligraphes. Et surtout le grand artiste Yuri Shimojō avec lequel une grande collaboration va voir le jour.

Mais Jason Logan ne s’arrête pas à l’encre noire, il va plonger dans le monde des couleurs que la terre lui offre et rencontrer les personnes qui, comme lui, sont en quête de beauté.

Pour le plaisir des rétines

Le fabricant d’encre visionnaire découvre que toutes les couleurs sont dans la nature et que le vert insaisissable et difficile à capturer se cache dans des lieux insoupçonnés. Il raconte qu’à l’âge de 9 ans, c’est avec la couleur pourpre extraite des vignes sauvages que sa mère lui a fait découvrir que la passion pour les couleurs et pour l’encre prend son départ. Il arrive à la conclusion qu’il existe même des couleurs qui possèdent des vertus médicinales. À travers la planète, ce passionné amasse inlassablement les ingrédients entrant dans la composition de ces précieux liquides aux couleurs uniques et, le spectateur avec lui, entreprend des voyages sur des terres que l’homme foule très rarement, traverse le désert de Mojave en passant par des milieux lacustres recouverts de sel ou par la vallée de la Mort aux États-Unis. Il récupère tout sur son passage, des mauvaises herbes sauvages aux fleurs de cerisier ou de cactus, des feuilles des arbres aux fruits, de l’écorce de bois aux baies, du sel à la boue, des roches à la rouille, pour en extraire toutes les possibilités de couleur et envoyer ainsi ses produits exclusifs faits sur mesure à des artistes du monde entier.

Jason Logan ne se sépare jamais de ses pipettes qui se remplissent de liquide pour ensuite déverser leur magie sur la surface blanche. Sur son chemin, il rencontre un teinturier qui extrait les couleurs de mollusques, récupère leur suc et les replonge dans leur environnement aquatique, un autre qui utilise la cochenille pour se fournir en couleur rouge, apprend les techniques traditionnelles perpétuées à travers les siècles. Il approche Margaret Atwood, auteure de La servante écarlate, pour lui offrir une encre rouge très particulière, se familiarise avec le monde des ocres de Heidi Gustafson, traverse l’Argentine, le Roussillon, la Colombie en quête de pigments, récupère l’eau des fleuves ou des bassins et raconte l’histoire de la couleur bleue et sa naissance avec le lapis-lazuli, ou le bleu de Prusse qui est né par accident, à cause d’une préparation contaminée par du sang. « Et si l’encre est née noire, elle était destinée à devenir bleue, le bleu est partout, il est le nouveau noir », confie le réalisateur qui croit fermement que  la définition de l’encre est de « transmettre un message. »

Pour Brian D. Johnson, l’encre est comme une radio qui transmet, mais qui reçoit aussi un message de l’endroit dont elle provient. À travers l’encre, on peut lire l’histoire de la terre, c’est un médium d’écriture mais aussi de lecture des strates du siècle.

L’encre et la couleur sont une langue universelle. À travers The Colour of Ink, le réalisateur atteint son objectif d’attirer l’attention sur les différences infimes que la nature peut offrir, de mettre le doigt dessus et d’ainsi pousser les hommes à réfléchir sur la relation des lieux avec la matière, comme si la terre écrivait l’histoire.

« The Color of Ink » de Brian D. Johnson, avec Jason S. Logan, présenté en partenariat avec l’Office national du film du Canada, le mardi 7 novembre 2023 à 19 heures, au théâtre Béryte du Campus de l’Iesav de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Billets chez Antoine Ticketing

Le film d’ouverture de la 9e édition du Beirut Film Festival est assez particulier. Pas d’énigme, pas de fin conclusive, pas d’histoire à proprement dite. Et pourtant, il accroche le spectateur du début jusqu’à la fin. Autant le dire toute de suite : dans The Colour of Ink, c’est l’émerveillement visuel et sensoriel qui retient d’abord l’attention. Le sujet, lui,...

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