À Gaza, l’enfance est massacrée, rendue orpheline, traumatisée, assoiffée, terrorisée, amputée sans anesthésie comme en témoignent des médecins sur place. La guerre les transforme en épaves, vole leur enfance, leur innocence, ils souffrent encore même après la fin d’un conflit durant des années de leurs blessures psychiques, du manque de soins, de l’absence de perspectives et du manque affectif.
Plutôt que de mourir, jouer…
Mais les enfants de l’illustration de Karma Hamady sont heureux.
Loin des horreurs de la guerre, la graphique designer les imagine se tenant la main, le sourire aux lèvres et les joues rosies par le vent, faisant une farandole ou tournoyer un cerf-volant, un ballon de football entre les jambes ou une poupée dans les bras, se prélassant ou rêvant. Elle les dessine au milieu des nuages regardant de haut et de loin les grands, les irresponsables, se battre entre eux et attendant la fin des conflits pour redescendre sur terre. De retour à la maison leurs parents inquiets leur demandent : « Mais où étiez-vous tout ce temps ? » « Nous étions dans les nuages en train de jouer. » N’est-ce pas le propre des enfants que de jouer ?
Activiste et mère de famille
Karma Hamady a 38 ans et vit à Chypre depuis deux ans, avec son mari et ses deux enfants. Détentrice d’un diplôme en graphic design de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et d’un master en communication design de l’Université de Kingston à Londres, elle a grandi dans un milieu d’activistes, entre une mère journaliste et un père poète et graphiste. Elle a ainsi évolué dans une ambiance où l’on revendique son arabité, et où l’on défend la cause palestinienne ou toute autre cause d’un peuple opprimé.
Ses parents s’étant expatriés durant la guerre civile au Liban, Karma est née à Londres. Mais sa mère a toujours voulu qu’elle fasse ses premiers pas sur sa terre d’origine. « Elle m’a empêchée de marcher plus tôt », raconte l’artiste. C’est la terre libanaise qu’il lui fallait fouler pour la première fois.
À l’âge adulte, Karma suit les pas de ses parents, enseigne dans les camps de Sabra et Chatila, participe aux manifestations et à la thaoura d'octobre 2019. Elle est souvent sur le terrain et essuie tout ce que les manifestants ont subi comme représailles. La responsabilité la prend de court lorsqu’elle devient maman de deux enfants. Et de confier : « C’est la première guerre à Gaza après plusieurs décennies où je suis maman, c'est sans doute pourquoi la cause des enfants m’a touchée doublement. Aujourd’hui je comprends ma mère et ses angoisses. »
Dans une autre illustration postée également sur son compte Instagram, l'artiste représente une femme portant une robe aux couleurs du drapeau palestinien, enlaçant un enfant blessé sur son lit d’hôpital. « Il n'y a point de lieu plus solitaire dans l'univers que le chevet d'un enfant blessé qui n'a plus de famille pour s'occuper de lui », écrit-elle sur ce dessin, reprenant un tweet du Dr Ghassan Abou Sitta de l'équipe de Médecins sans frontières à Gaza.
Karma Hamady vit dans un pays étranger, n’a pas les mains libres et se sent paralysée face au chaos du monde, elle est consciente du danger de s’exprimer librement, alors elle saisit l’actualité et l’interprète à sa façon. L’illustration est son seul moyen, elle résiste à sa manière tout en essayant de protéger ses enfants en même temps que de se révolter. Son illustration, elle ne l’a pas exécutée pour qu’elle soit partagée sur les réseaux sociaux, mais juste pour s’exprimer, affirme-t-elle, avant de conclure : « Pour les enfants de la guerre ! Pour leurs droits fondamentaux qui sont honteusement bafoués au profit d’actes barbares et cruels ! »
Trop touchants ces dessins de Karma Hamada
06 h 51, le 06 novembre 2023