Entretiens Rencontre

Philippe Delerm : « J’ai envie d’être un peu plus drôle »

Philippe Delerm : « J’ai envie d’être un peu plus drôle »

© Hermance Triay / Seuil

Les Instants suspendus est le 45e titre de Philippe Delerm depuis Le Bonheur. Tableaux et bavardages, paru en 1986 au Rocher, son premier et méritant éditeur. Car, pendant dix ans, ses livres ne se vendaient pas. Et puis vint, en 1997, chez L’Arpenteur/Gallimard, La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, un triomphe mondial, un livre-culte, dont le succès ne s’est jamais démenti. L’auteur a poursuivi dans sa voie, dans cette manière unique d’écrire « presque tout sur presque rien », qui a suscité quelques moqueries au début. Mais une œuvre, vaste, diverse, ramifiée, a fini par s’imposer, et conférer à Delerm qui fourmille toujours de projets, une place singulière dans notre littérature. Alors qu’il se prépare à l’exercice de la rentrée littéraire, son nouvel opus paraissant en août, rencontre avec un auteur à la fois heureux et fébrile.

Votre œuvre vient d’être rassemblée en deux gros volumes, chez Bouquins, quel effet cela vous fait-il ?

En effet, est paru à l’automne 2020, en pleine Covid, Le Buveur de temps qui rassemble mes romans et récits intimes. Et, à l’automne 2022, Le Trottoir au soleil qui rassemble tous mes récits courts ou textes brefs…

À l’exception de la fameuse Première Gorgée de bière… Pourquoi ?

C’est un livre à part, qui n’est toujours pas repris en poche, et ne le sera pas tant qu’il continuera à vivre sa vie en grand format. On en est actuellement, depuis 1997, à 1,5 million d’exemplaires, et il s’en vend entre 15 000 et 20 000 chaque année, à des lecteurs qui me découvrent ! Il est traduit dans une quarantaine de pays, mais pas en langue arabe. Il est prescrit au bac, et son titre est presque entré dans la langue, comme un proverbe. Mais ma plus grande fierté, moi qui suis fan de sport et lecteur du quotidien L’Équipe, c’est quand mon titre a été utilisé en « une » à propos de je ne sais plus quel événement. La consécration absolue ! Mon fils Vincent en a même pleuré. Ce livre me colle à la peau, je suis un écrivain devenu livre, une grande fierté. Mais surtout, il a permis à tous mes autres livres d’exister.

Soit deux forts volumes, l’un de mille pages, l’autre de 1 500, dans une collection prestigieuse et populaire.

L’idée de ces recueils m’a assez surpris. La collection Bouquins publie plutôt des grands auteurs morts, très peu de vivants. Un honneur et une chance pour moi qui n’écris que des livres très minces ! On peut dire que ça fait œuvre. Mais dans une collection moins intimidante que La Pléiade.

Comment travaillez-vous ?

J’ai toujours plusieurs trucs sur le feu. Avec cette idée de me renouveler sans changer les fondamentaux. De vieillir avec un regard un peu différent. J’ai envie d’être un peu plus drôle. La politesse du désespoir. Dans Les Instants suspendus, après plusieurs recueils thématiques ou des collections de phrases, j’avais envie de retrouver le texte court « pur », celui de La Première Gorgée. Avec toujours la même méthode. Essayer de voir du grand dans le petit. Ma démarche, c’est un peu comme la carapace de l’oursin. Une fois les piquants ôtés, épluchée, c’est la révélation de tout un monde. Chez moi, le sujet préexiste toujours au texte. Je cherche sans chercher, et je ne note même pas dans un carnet. Puis, je me mets à écrire, sans vrai plaisir d’ailleurs. Ce que j’aime, c’est avoir fini un texte. La vraie réussite, c’est quand le lecteur s’identifie, se dit : « Mais oui, bien sûr, c’est ça, moi aussi… »

On évoque souvent, à propos de vos influences littéraires, les Mythologies de Barthes, ou les poèmes de Francis Ponge.

J’en suis bien sûr très flatté. Ce sont parmi mes auteurs de chevet, avec La Bruyère, ou La Fontaine. Les Mythologies incarnent parfaitement leur époque. Mais certains textes sont un peu compliqués, difficiles à lire. Quant à Ponge, il peut se montrer assez abstrait. Mais « L’Abricot », ou « Le Cageot », par exemple, sont des modèles du genre, et même des adolescents peuvent y être sensibles.

On voit bien votre « filiation » littéraire avec Barthes et Ponge, mais votre auteur favori entre tous est bien différent…

Oui, c’est Proust, le grand patron ! Paradoxal, n’est-ce pas, d’aimer un auteur aussi « long », quand on n’écrit que du « court » ? Je l’ai découvert à 18 ans et le relis sans cesse depuis. Proust, c’est la magie pure. Et puis, combien de « textes courts », de pages autonomes, dans La Recherche. Un peu comme chez Jean d’Ormesson qui était aussi un auteur de textes courts. Il m’a beaucoup soutenu à mes débuts, avant même que j’aie commencé à publier. Je lui en suis infiniment reconnaissant.

À un moment, la critique littéraire parisienne qui se plaît à classer les auteurs dans des « genres » et ne savait pas trop où vous situer, a inventé une école des « moins que rien » qui regroupait des écrivains « minimalistes » comme Eric Holder (à qui Les Instants suspendus est dédié), Denis Grozdanovitch, Pierre Autin-Grenier, François de Cornière, ou Jean Libis. Qu’en avez-vous pensé ?

Tout cela est toujours un peu artificiel, mais ça m’a amusé. Ce sont des écrivains que je connais, que j’estime, et même un, Jean Libis, que j’avais fait publier au Rocher. Des gens de talent avec qui j’ai des atomes crochus. Mais Holder et Autin-Grenier sont morts, deux autres ne publient plus, et Denis Grozdanovitch a emprunté d’autres voies. Pour moi, ma façon d’écrire est une façon d’être. Au départ, j’étais un gros lecteur de romans, fan, en tant que fils d’instituteur, du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier que j’enseignais à mes élèves. Alors, j’ai écrit quelques romans, parce que, vis-à-vis de la critique, pour être écrivain, il le fallait. C’était un passage obligatoire. Mais c’étaient des faux romans.

Tous ?

Non, pas la trilogie autour de Monsieur Spitzweg : Il avait plu tout le dimanche (Mercure de France, 1998), Monsieur Spitzweg s’échappe (Mercure de France, 2001) et Quelque chose en lui de Bartleby (Mercure de France, 2009). Ceux-là sont de « vrais romans ». J’avais réussi à créer un personnage. Maintenant, j’éprouve un mal fou à lire des romans, je n’en écris plus, mais je reste fasciné par ceux qui y arrivent, comme Dickens. Une espèce de rock star de son époque qui s’est épuisé dans des lectures, des tournées théâtrales où il interprétait ses textes, jusqu’aux États-Unis. Il en est mort prématurément. Je compte écrire un livre sur son « suicide exalté ».

À la fin des Instants suspendus, vous avez placé un texte intitulé Trouver un sujet de texte court, une sorte de « mise en abyme » où vous vous moquez un peu de vous-même, mais où vous essayez aussi de tordre le cou à cette idée de la « facilité » de vos textes. Agacé ?

Un tout petit peu. L’idée d’être considéré comme un « petit maître », c’est tout ce que j’aime. Mais mes « textes courts » qui seraient de l’« art modeste », je me demande bien pourquoi.

Votre prochain livre ?

Ce sera un recueil consacré à des phrases qui toutes font sens, surtout à mon âge, comme : « On est entrés dans le temps additionnel » (un commentateur sportif) ou « Insistez bien sur l’expiration » (un yogi). Il y aura aussi : « Ah oui non mais moi… » Cela pourrait s’intituler : Je veux bien, mais avec le fromage et autres scrupules métaphysiques.

Les Instants suspendus de Philippe Delerm, Seuil, 2023, 110 p.

Les Instants suspendus est le 45e titre de Philippe Delerm depuis Le Bonheur. Tableaux et bavardages, paru en 1986 au Rocher, son premier et méritant éditeur. Car, pendant dix ans, ses livres ne se vendaient pas. Et puis vint, en 1997, chez L’Arpenteur/Gallimard, La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, un triomphe mondial, un livre-culte, dont le succès ne s’est...

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