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Amélie Nothomb l’inclassable

Psychopompe, le Nothomb cru 2023, est un roman qui risque de déstabiliser ses lecteurs. Elle assume.

Amélie Nothomb l’inclassable

© Jean-Baptiste Mondino

Dans la liturgie catholique, le prêtre, juste avant ce qu’on appelait jadis, avant Vatican II, le « Ite, missa est », bénit les fidèles de son église « Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit », la Sainte-Trinité, trois entités qui ne font qu’un seul Dieu. On y croit ou pas. Amélie Nothomb, à sa façon bien particulière, oui. Qui réalise aujourd’hui qu’avec Psychopompe elle clôt une trilogie : après le Fils dans Soif (2019) où elle campait un Christ humain, trop humain, et le Père, le sien en l’occurrence, héros du remarquable Premier sang (2021) qui lui a valu le prix Renaudot, la voici qui s’intéresse au Saint-Esprit, mais à sa façon, disons « revisitée ».

Et sans projet préconçu, à cause de sa manière de travailler. On sait que cette graphomane écrit, chaque matin et dans des conditions extrêmes, comme dans une transe, pas moins de quatre romans par an, sur des cahiers, et qu’elle ne les retouche jamais. Elle seule en sélectionne un, celui qu’elle donne à publier à son éditeur de toujours, Francis Esménard, patron d’Albin Michel. Et cela fonctionne ainsi depuis 1992 et son premier livre publié, Hygiène de l’assassin. Mais loin d’être le premier écrit douloureux, à l’adolescence, ainsi qu’elle le raconte dans Psychopompe où elle se confie sur ses débuts en littérature, ce fut comme une révélation. On appelle cela la vocation.

Au milieu de sa trinité devenue trilogie, Amélie Nothomb a glissé Le Livre des sœurs, en 2022, où elle romançait sa relation avec sa propre sœur. Pour que la famille, cette source inépuisable d’inspiration des écrivains, soit enfin complète, il faudrait qu’elle consacre un livre à sa mère. La Vierge Marie ? « Il faudra un jour, en effet, que je parle de ma mère, confie-t-elle, mais c’était tout sauf la Vierge Marie ! » (Entretien avec l’auteure dans Livres-Hebdo Le Magazine, n°33, juillet-août 2023).

Dans cette veine de plus en plus autobiographique, autofictionnelle, qu’elle accentue depuis maintenant quelques années, Psychopompe est un livre particulier, qui pourra déstabiliser ses (nombreux) lecteurs. Ce qu’elle assume et même revendique. Un livre mystique où les morts parlent (en l’occurrence son père, toujours, Patrick Nothomb, aristocrate-diplomate belge disparu en 2020), où la narratrice s’identifie aux oiseaux, se vit oiseau, à la manière des chamans amérindiens convoquant et vénérant le totem de leur tribu. Dans l’imagerie chrétienne, l’oiseau (la colombe en l’occurrence) est justement le symbole de l’Esprit Saint. Animisme et christianisme se mêlent ici à la mythologie antique, puisqu’on appelait « psychopompe » un dieu ou un héros chargé de convoyer les âmes des morts vers l’au-delà : Hermès, Orphée, Charon en étaient. On pourrait même remonter à l’Égypte pharaonique, avec le dieu à tête de chacal Anubis, peseur des âmes. Quant à Orphée, il est convoqué ici à double titre : psychopompe, donc, mais également patron du poète, de l’écrivain, qui a le pouvoir inouï de ressusciter les défunts à travers ses mots.

C’est ainsi qu’Amélie Nothomb vit sa vie : une résurrection par la littérature, après une enfance triste, malheureuse, une anorexie qui a failli l’emporter. Mais tout se mérite, et écrire, pour elle, c’est une ascèse où elle se met chaque jour, chaque fois, pour chaque livre, en péril. Pendant les quelques heures où elle écrit, pas trop longtemps, sa température baisse dangereusement. Comme celle des oiseaux…

Amélie Nothomb, écrivain inclassable qui déteste les genres et les catégories, phénomène unique dans notre littérature francophone, voit en Psychopompe, son 31e roman publié sur plus d’une centaine écrits (et que nul ne lira jamais), son « autobiographie aviaire ». On a envie de lui chanter : « Envole-moi ».

Psychopompe d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 2023, 162 p.

Dans la liturgie catholique, le prêtre, juste avant ce qu’on appelait jadis, avant Vatican II, le « Ite, missa est », bénit les fidèles de son église « Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit », la Sainte-Trinité, trois entités qui ne font qu’un seul Dieu. On y croit ou pas. Amélie Nothomb, à sa façon bien particulière, oui. Qui réalise aujourd’hui...

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