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Les dessous du pacte germano-soviétique

Les dessous du pacte germano-soviétique

D.R.

La guerre d’Ukraine, présentée officiellement par la Russie comme une opération de « dénazification », conduit à revenir sur les relations germano-soviétiques à l’époque du IIIe Reich. Jean-Jacques Marie se saisit de ce dossier en partant du fait qu’au moment du pacte germano-soviétique d’août 1939, Staline fait explicitement des offres de collaboration avec le nazisme, terme généralement passé sous silence dans l’historiographie du sujet. Souvent le pacte est présenté comme une décision tactique purement conjoncturelle dans le seul but de repousser une guerre inévitable avec l’Allemagne pendant le temps nécessaire pour s’y préparer. C’est la justification même utilisée par Staline après l’invasion du 22 juin 1941. C’est le discours utilisé aujourd’hui par la Russie de Poutine.

Preuve à l’appui, l’auteur montre que la collaboration avec l’Allemagne nazie est une éventualité envisagée dès l’avènement au pouvoir d’Hitler en janvier 1933. La collaboration militaire engagée depuis le début des années 1920 se poursuit pendant plusieurs années. De multiples signaux sont envoyés dans ce sens à un moment où l’antifascisme est le discours officiel. En plein Front populaire, Maurice Thorens, chef du Parti communiste français, écrit dans L’Humanité du 2 septembre 1936 : « Il faut s’entendre avec quiconque offre une chance, si minime soit-elle, de sauvegarder la paix. Il faut s’entendre avec l’Italie en dépit de la dictature fasciste. Il faut s’entendre même avec l’Allemagne de Hitler. »

Malgré la guerre d’Espagne, les signaux sont toujours envoyés. En 1938, le Parti communiste polonais est dissout et sa direction exécutée. Un partage de la Pologne est suggéré par le biais de la presse française. Ensuite, les communistes allemands sont soumis à la double répression d’Hitler et de Staline.

Outre l’opportunisme de Staline, il y a une vraie crainte à Moscou d’une collusion entre Londres et Berlin pour pousser à une guerre germano-soviétique. Cela correspond à certain discours dans les cercles dirigeants britanniques, mais aussi à un fantasme de la part de Staline. Dès mars 1939, Staline stigmatise la volonté des démocraties occidentales de provoquer un conflit artificiel entre l’Allemagne et l’URSS et dénonce les rumeurs répandues sur le désir prêté à l’Allemagne de conquérir l’Ukraine. De même, les personnalités d’origine juive sont éliminées du ministère des Affaires étrangères.

Les négociations peuvent alors commencer. Une nouvelle purge sanglante frappe ceux qui ont mené la ligne antifasciste. Staline, conscient de la grande fragilité de son régime et de sa domination, exige l’appui total de ses proches collaborateurs à toutes ses décisions politiques pour garantir la pérennité de l’appareil d’État isolé de la masse de la population. Or, incapable de convaincre, comme le montrent ses discours monotones où la répétition mécanique tient lieu de raisonnement, il ne peut utiliser que la soumission garantie par la peur.

Le pacte et la collaboration germano-soviétique peuvent alors se dérouler déclenchant la Seconde guerre mondiale. L’ensemble est ici parfaitement détaillé. La doctrine officielle est : « La guerre se mène entre deux groupes de pays capitalistes pour la domination mondiale. Le prolétariat international ne peut en aucun cas défendre la Pologne fasciste, qui a rejeté l’aide de l’Union soviétique et qui opprime d’autres nationalités. » Les partis communistes doivent donc, dans tous les pays en guerre, dénoncer le caractère impérialiste de ladite guerre.

La surprise inquiétante pour Staline a été l’ampleur des succès militaires de l’Allemagne nazie. Il est amené à satisfaire toutes les demandes commerciales allemandes, en particulier le pétrole, tout en félicitant Hitler pour ses conquêtes en Europe de l’Ouest, en particulier la France. Jusqu’au bout, Staline cherche à apaiser Hitler tout en renforçant l’armée rouge comme instrument de dissuasion.

L’agression allemande du 22 juin 1941 contre l’Union soviétique sera qualifiée à plusieurs reprises par Staline de « trahison ». Seul un allié, un proche ou un ami peut trahir, pas un adversaire. C’était bien le cas.

L’approche dans ce livre peut paraître trop systématique et elle est à comparer à la biographie de Staline par Kotkin (non cité ici) qui est plus mesurée sur ce sujet. Il n’en reste pas moins que l’actuelle guerre d’Ukraine, accompagnée d’une réhabilitation de Staline, se trouve éclairée par ce partenariat décrit ici entre Hitler et Staline.

La Collaboration Staline-Hitler, 10 mars 1939-22 juin 1941, août-septembre 1944 de Jean-Jacques Marie, Tallandier, 2023, 352 p.

La guerre d’Ukraine, présentée officiellement par la Russie comme une opération de « dénazification », conduit à revenir sur les relations germano-soviétiques à l’époque du IIIe Reich. Jean-Jacques Marie se saisit de ce dossier en partant du fait qu’au moment du pacte germano-soviétique d’août 1939, Staline fait explicitement des offres de collaboration avec le nazisme,...

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