Critiques littéraires Bande dessinée

Emmanuel Guibert : vivre, voir, dessiner

Emmanuel Guibert : vivre, voir, dessiner

La bibliographie d’Emmanuel Guibert est pour le moins protéiforme. Il explore avec une qualité et un investissement constants des territoires qui peuvent sembler aux antipodes l’un de l’autre. N’est-il pas le scénariste de la série Ariol, chronique de l’enfance et à destination des enfants, tout en étant l’auteur d’œuvres résolument adultes telles que le cycle Alan, ou le tryptique Le Photographe ?

Pour les besoins de chaque projet, son dessin également se contorsionne, changeant de registre de manière étonnante. À ce titre, il redéfinit ce que peut être la cohérence d’une œuvre privilégiant une présence et un esprit en arrière-plan, plutôt que des constantes stylistiques.

Voici que depuis trois ans, il s’offre un nouvel espace de liberté : une série d’ouvrages intitulés Légendes (comprendre : « Textes qui accompagnent des images »), que les éditions Dupuis lui consacrent sous l’écrin de la collection Aire Libre.

Le premier volume, Légendes : Dessiner dans les musées sortit en 2020. Il y présentait des dessins réalisés dans ces lieux dédiés à l’art qu’il fréquente avec amour. Autant d’instants passés à côtoyer, outils en mains, les œuvres d’autres créateurs.

Un second volume paraît aujourd’hui. Légendes : Dormir dans les transports en commun.

Parisien, Emmanuel Guibert est un habitué des transports en commun. Mais à la différence de nombre de leurs usagers, sa manière de vivre et de les vivre est de dessiner. Or dessiner dans les transports en commun relève de l’exercice d’équilibriste (voire de contorsionniste) : véhicule en mouvement, espace restreint et modèles sans cesse changeants. Pourtant, il se prête au jeu, jetant son dévolu sur ceux d’entre ces modèles qui sont les plus stables : les dormeurs.

Avec les outils du bord, changeants selon les jours, Emmanuel Guibert constitue une collection dessinée de dormeurs. C’est pour lui une manière de passer du temps avec des inconnus, de poser une attention soutenue sur les traits de leur visage, d’avoir le sentiment de toucher un peu de leur intimité. Mais derrière la vie qu’il souhaite capter, lui reste un sentiment troublant : car, il le dit en introduction, rien ne ressemble plus à un dormeur… qu’un mort.

Dès lors, lorsqu’il envisage de mettre en livre ce catalogue de dessins de dormeurs de métros, bus et trains, s’impose pour les textes, les accompagnant, ce thème-ci : la mort. Emmanuel Guibert n’est pas auteur à fuir son sujet : il s’y engage sans fard ni esquive.

L’un de ses derniers ouvrages, roman sans image sobrement intitulé Mike, était d’ailleurs déjà largement consacré à ce sujet. Il y racontait un voyage en Amérique qu’il a mené pour accompagner un ami, compagnon de dessin, dans ses derniers jours. Dans ce tome 2 de Légendes, Guibert écrit avec un sens de la tournure et une maîtrise du ton qui rend les passages les plus difficiles dans le fond, toujours délectables dans la langue.

Mention spéciale pour le chapitre final, une étonnante balade que réalise l’auteur avec, dans son sac à dos, les cendres de sa mère incinérée. Une ultime promenade accompagnée de dessins à la plume qui sont un concentré d’affection.

Légendes (tome 2) : Dormir dans les transports en commun d’Emmanuel Guibert, Dupuis, 2023, 240 p.

La bibliographie d’Emmanuel Guibert est pour le moins protéiforme. Il explore avec une qualité et un investissement constants des territoires qui peuvent sembler aux antipodes l’un de l’autre. N’est-il pas le scénariste de la série Ariol, chronique de l’enfance et à destination des enfants, tout en étant l’auteur d’œuvres résolument adultes telles que le cycle Alan, ou le...

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