Depuis vendredi dernier et le début de l’offensive terrestre de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, les partenaires internationaux multiplient enfin leurs avertissements à l’État hébreu dans le but de limiter les pertes civiles. Trois semaines plus tôt, le 7 octobre, plus de 1 400 personnes ont été tuées dans l’attaque du Hamas en Israël, provoquant un déluge de feu sur l’enclave palestinienne, où le mouvement islamiste compte déjà près de 8 800 morts, dont plus de 3 600 enfants. Un bilan qui excède en trois semaines le nombre d’enfants tués annuellement dans les zones de conflit depuis 2019, s’est désolée dimanche l’ONG Save the Children. Des hôpitaux auraient en outre reçu des ordres d’évacuation, l’État hébreu soupçonnant le Hamas d’utiliser notamment leurs sous-sols pour mener la bataille depuis son réseau de tunnels. Mardi 31 octobre, le camp de réfugiés de Jabaliya a quant à lui été la cible d’une frappe israélienne faisant au moins 50 morts, selon un bilan provisoire, avant de subir une nouvelle frappe le lendemain, augmentant le nombre de victimes. « Il s’y trouvait un haut commandant du Hamas », s’est justifiée l’armée israélienne, qui avait prévenu le 22 octobre que « quiconque choisit de ne pas quitter le nord de Gaza pour aller au sud de Wadi Gaza pourrait être identifié comme le complice d’une organisation terroriste ». Kenneth Roth, ancien directeur exécutif de Human Rights Watch (1993-2022), actuellement professeur à la School of Public and International Affairs de l’Université de Princeton, fait le point pour L’Orient-Le Jour.
Les deux parties justifient leurs faits de guerre en invoquant d’une part des décennies d’occupation israélienne, de l’autre une sanglante attaque surprise du Hamas. Dans quelle mesure ces raisons pèsent-elles dans le droit international, notamment face à ce qui s’apparente à des crimes de guerre ?
Bien que le Hamas ait commis d’horribles crimes de guerre le 7 octobre en massacrant et en enlevant des civils, le droit international humanitaire est clair : les crimes de guerre commis par une partie ne justifient pas ceux commis par l’autre. Les exigences légales du droit international humanitaire s’appliquent de manière indépendante et inconditionnelle à chacune des parties. Elles ne sont pas tributaires d’un comportement réciproque de la partie adverse. Le droit international humanitaire s’applique également quelle que soit la justesse de la cause défendue, qu’il s’agisse du Hamas résistant à l’occupation israélienne ou d’Israël répondant aux attaques du Hamas contre les civils israéliens. Aucune cause ne justifie les crimes de guerre. Rien ne les justifie. Il est raisonnable de parler du contexte lorsque l’on examine les raisons pour lesquelles les Palestiniens ou les Israéliens peuvent choisir de se battre, mais celui-ci n’excuse pas les crimes de guerre.
Face aux injonctions du droit humanitaire, le principe de distinction et les règles fondamentales de proportionnalité et de précaution ont-ils été préservés dans ce conflit ?
Il y a eu des cas dans lesquels les forces israéliennes ont apparemment pris délibérément pour cible des civils ou des biens de caractère civil, comme le rapporte Reporters sans frontières concernant la mort d’un journaliste de Reuters ou comme le montre l’attaque israélienne contre l’Université islamique de Gaza (pour la simple raison qu’elle formerait prétendument des agents du renseignement – ce qui est probablement le cas dans de nombreuses universités dans le monde).
De manière plus fréquente, les forces israéliennes ont violé la règle interdisant les attaques indiscriminées, qui consistent à frapper une vaste zone civile du simple fait qu’une cible militaire pourrait s’y trouver. Plusieurs quartiers rasés de Gaza paraissent être les témoins de cela. De plus, même lorsque c’est une cible militaire qui est visée, le droit international humanitaire interdit une attaque lorsque les dommages causés aux civils sont disproportionnés. La destruction de grands complexes résidentiels, privant de logement une centaine de familles d’un coup, simplement en raison de la présence apparente d’éléments du Hamas, est un exemple de violation de la part d’Israël.
Israël a reproché au Hamas d’utiliser des civils comme boucliers humains, ainsi que de les mettre en danger en lançant des combats depuis des zones peuplées. Ces deux violations ont effectivement lieu, mais elles ne dispensent pas Israël du devoir continu de ne pas tirer de façon indiscriminée ou de sorte à causer des dommages disproportionnés aux civils. L’allusion de Netanyahu au fait que toutes les pertes civiles à Gaza sont imputables au Hamas est vraiment une invitation aux forces israéliennes à ne pas se préoccuper des morts de civils – à l’encontre de ce que devrait faire un chef de gouvernement respectueux du droit.
Le droit humanitaire international exige qu’un belligérant donne, si possible, un « préavis effectif » avant une attaque pour tenter d’épargner les civils, mais Israël s’est acquitté de cette obligation de manière inhumaine : en ordonnant à plus d’un million de civils du nord de Gaza de fuir vers le sud tout en continuant à bombarder le sud de Gaza et les routes qui y mènent ; en n’autorisant l’entrée que d’un filet d’aide humanitaire bien inférieur à ce qui est nécessaire ; et en omettant de fournir à ceux qui partaient des garanties crédibles qu’ils auront l’autorisation de rentrer afin de ne pas être confrontés à une seconde Nakba. Ordonner aux hôpitaux d’évacuer est en outre totalement déraisonnable, compte tenu du nombre de personnes sous assistance respiratoire qui pourraient en mourir, des graves pénuries de médicaments et des pénuries de produits de base tels que le carburant et l’électricité. Même si le Hamas opère sous les hôpitaux, comme le prétend Israël, les attaquer causerait un préjudice disproportionné aux civils.
Du point de passage de Rafah avec l’Égypte, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Karim Khan a déclaré le week-end dernier que le fait d’empêcher l’aide de passer à Gaza pouvait constituer un crime. L’investigation lancée par la CPI sur la situation en Palestine depuis 2014 peut-elle inclure le conflit actuel et aboutir à des inculpations ?
Le procureur général a raison de dire que l’obstruction par Israël de l’aide humanitaire aux personnes dans le besoin constitue un crime de guerre qui peut faire l’objet de poursuites. La CPI est compétente pour tout crime commis par des ressortissants palestiniens ou sur le territoire palestinien, étant donné que la Palestine, reconnue comme État non membre par l’Assemblée générale des Nations unies, a adhéré à la Cour (en 2015, NDLR). Si Israël commet des crimes de guerre sur le territoire palestinien, le fait qu’il n’ait pas adhéré à la Cour n’a pas d’importance. M. Khan a ouvert une enquête sur la Palestine il y a plus de deux ans, mais elle marche au ralenti, manifestement parce qu’il aurait été controversé d’inculper des responsables israéliens. Cette impunité ne fait qu’encourager de nouveaux crimes de guerre. Ceux commis par les deux parties dans le conflit en cours ont incité M. Khan à tenir une conférence de presse dimanche en Égypte. J’espère que cela le convaincra également d’accélérer l’enquête qu’il a ouverte, qui pourrait inclure les crimes de guerre actuels s’il les poursuit.
Avec près de 3 700 enfants tués dans ce conflit, comment expliquer ces pertes extrêmement élevées et les condamnations seulement timides de la communauté internationale ?
Le nombre élevé d’enfants palestiniens morts fait partie du total inquiétant de civils tués à cause des bombardements israéliens. Cela suggère que les forces israéliennes ne prennent pas les mesures nécessaires pour se conformer aux exigences du droit humanitaire international. En parlant du siège, le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, a qualifié les résidents palestiniens de Gaza d’« animaux humains ». Comme s’il ne considérait pas qu’il était important d’épargner leurs vies, comme s’il voulait les punir collectivement pour les actes du Hamas sur lesquels ils n’ont aucun contrôle, étant donné que le Hamas est une dictature militaire brutale. La punition collective est un crime de guerre.
Quelles responsabilités incombent à la communauté internationale ? Que peut-elle faire pour assurer la protection de la population civile ?
Les principaux pays occidentaux ont tenu à insister sur le fait que si Israël a le droit de se défendre, il doit le faire en conformité avec le droit humanitaire international. Mais les gouvernements occidentaux n’ont pas encore relevé la régularité avec laquelle Israël semble violer le droit humanitaire international. Cette approche laxiste ne fait qu’inciter à davantage de crimes de guerre. Lorsque la Russie a attaqué des civils en Ukraine, les gouvernements occidentaux n’ont pas tardé à réclamer justice. Je n’ai pas entendu un tel appui en faveur d’une action rapide de la CPI à Gaza. Israël est très sensible aux opinions des gouvernements occidentaux et ce traitement indulgent est trop facilement interprété comme un feu vert pour poursuivre les différentes attaques actuelles qui sont si préjudiciables aux civils.
En ce qui concerne la liberté d’expression, dans quelle mesure ce conflit peut-il constituer un tournant dans les sociétés occidentales longtemps présentées comme des défenseurs des libertés individuelles ?
En Europe particulièrement, certains rassemblements propalestiniens sont entravés. Raison évoquée, la sécurité. Mais les gouvernements devraient faire face aux défis sécuritaires en augmentant la présence policière chargée de la protection, non pas en censurant. L’accusation d’antisémitisme est en outre utilisée à mauvais escient pour tenter de réduire au silence toute voix critique face aux abus du gouvernement israélien. Alors que je suis juif, j’ai moi-même été accusé de façon ridicule d’être antisémite, sous prétexte que je critique ouvertement la répression, l’apartheid et les crimes de guerre d’Israël. Évidemment, certains critiques d’Israël sont antisémites, mais beaucoup d’autres sont légitimement et sincèrement préoccupés par les abus israéliens. L’antisémitisme est un important fléau au niveau mondial pour le peuple juif, mais le concept est dévalorisé, tout comme la lutte à son encontre, dès lors que les gens en viennent à croire que les accusations d’antisémitisme ne sont que des ruses pour mettre un terme aux critiques des abus israéliens.
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DES AUJOURD,HUI JE CONSIDERE, APRES LES NASSACRES CRIMINELS COMMIS PAR LES SIONISTES A GAZA ET EN CISJORDANIE, LE HAMAS ET CONSORTS ET LE HEZBOLLAH ET TOUTE AUTRE ORGANISATION DE RESISTANCE AUX SIONISTES, DES ORGANISATIONS DE LIBERATION. LES TERRORISTES SONT CEUX QUI COMMETENT UN GENOCIDE A GAZA EN PARTICULIER ET CONTRE TOUS LES PALESTINIENS ET LIBANAIS EN GENERAL. SANS LEGALISER LA MAINMISE DU HEZB SUR MON PAYS. QUE LES OCCIDENTAUX SE REVEILLENT ET TRES VITE. LA LIBRE EXPRESSION. VERITES ! EQUITE ! 11 h 01, le 01 novembre 2023
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 33, le 02 novembre 2023