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Lifestyle - PHOTO-ROMAN

Le moment où l’humanité a échoué


Le moment où l’humanité a échoué

Photo Thomas Billhardt tirée du compte instagram middleastarchive

Avant le 7 octobre 2023, cette nouvelle m’aurait sans doute donné de l’espoir. Un centre d’hébergement à Deir al-Balad, au centre de Gaza, dans une microscopique enclave encore épargnée, à l’heure où j’écris ces mots, par les Israéliens. Ici, au cœur de l’enfer qu’est devenu Gaza, une association humanitaire locale s’est organisée par une force qui tient du miracle pour que « des centaines d’enfants palestiniens déplacés reçoivent un soutien psychosocial à travers des jouets, des activités et des visages amicaux ». Sur les images, les enfants entre les âges d’un et d’environ 10 ans sont assis, en cercle, dans la cour intérieure du centre d’hébergement. Ils sont encore vivants, mais pour combien de temps encore ? Pour combien de temps encore auront-ils le corps intact, encore tous leurs membres ? Pour combien de temps encore leurs visages garderont leurs formes avant que les tapis de bombes ne les réduisent vraisemblablement à des cendres de sang ? Dans combien de temps finiront-ils amassés dans des sacs poubelle blancs, de ceux qui hantent nos nuits depuis le 7 octobre ? Une poignée de minutes, de secondes peut-être. J’essaie de ne pas croire les mots que j’écris, mais je dois apprendre à écrire la violence et l’horreur, maintenant que le monde a permis à la violence et à l’horreur de devenir si inévitables. À devenir la vie. Ils sont si petits, les enfants du centre de Deir al-Balad, certains si frêles qu’ils disparaissent dans les bras des volontaires. Ils sont si jeunes, mais leurs espérances de vie si courtes, si incertaines, seulement et simplement parce qu’ils ont eu la poisse d’être nés ici.  

Nous avons échoué

Au centre d’hébergement de Deir al-Balad, il y a des volontaires déguisés en Pokémons, en lapins et en clowns tristes. Ils sourient on ne sait pas trop comment, les volontaires, et les enfants leur sourient en retour. Avant le 7 octobre 2023, ces images m’auraient sans doute donné de l’espoir. Mais l’espoir a été à ce point bombardé depuis le 7 octobre que même cette incursion de la plus belle des humanités au milieu de la pire des atrocités ne suffit plus à nous faire croire en l’être humain. Quand je regarde ces images d’enfants, je me dis que même si par magie ils s’en sortent et qu’ils restent en vie, à quoi ressemblera leur vie, dans un désert du Sinaï ou dans un camp de réfugiés au Liban, une autre prison ? Je pense aux dégâts, à leurs petits cœurs déjà cabossés, leurs yeux qui ne réussiront plus jamais à regarder le monde avec l’innocence des enfants et les cauchemars qui ne les quitteront plus jamais. Avec ces souvenirs qui pèsent si lourd sur leurs tous petits corps, comment auront-ils la force d’aborder un instant de plus de la vie ? À défaut de mourir, ces enfants seront-ils abîmés à vie ? Deviendront-ils fous, tellement ils ont été poussés dans la folie ? À force d’avoir vécu dans la violence et la mort, ces enfants finiront-ils eux-mêmes par, un jour, par devenir sanguinaires ? D’un côté, le gouvernement de Netanyahu dit qu’il ne s’arrêtera pas jusqu’à la « victoire », la nuit de vendredi déjà nous en a donné un avant-goût. D’un autre, le Hamas promet qu’il ne reculera devant rien, coûte que coûte, au prix même de sa population. Et entre les deux, les enfants de Gaza. Et entre les deux, tandis que les enfants de Gaza disparaissent sans qu’on ne parvienne à les compter, c’est l’humanité en entier qui a échoué. Nous avons échoué.  

 Des « animaux inhumains »  

Nous avons échoué face au nombre de morts à Gaza, plus de 7 000 alors que j’écris ces mots, et l’on ne veut même pas imaginer ce qu’est devenu ce chiffre, depuis que l’enclave a été officiellement et complètement coupée du monde  ; mise d’abord sous silence, puis sous siège dans la nuit de vendredi. La moitié de ces morts sont des enfants, massacrés, calcinés, démembrés, couverts de suie et de poussière, puis enveloppés dans l’étreinte finale de leurs parents, quand ce n’est pas dans du plastique blanc. Nous avons échoué face aux enfants de Gaza. Entre le moment où vous avez commencé à lire ce texte, et le moment où vous auriez fini de le lire, au moins un enfant palestinien sera mort, vous vous rendez compte ? Nous avons échoué, face aux 12 000 tonnes d’explosifs déversés sur Gaza en rien que vingt jours, et dont on dit que cette quantité équivaut à l’amplitude de la bombe nucléaire d’Hiroshima. Nous avons échoué face au 1,4 million de déplacés, aux 17 000 blessés, aux plus de 3 000 disparus sous les bâtiments pulvérisés, aux 70 membres du corps médical tués à Gaza, aux 23 journalistes assassinés (dont le Libanais Issam Abdallah), aux 61 professeurs abattus, aux 35 forces des Nations unies abattus aussi, aux 56 hôpitaux bombardés, aux 206 écoles sous les tapis de bombes, aux 645 familles qui ont perdu au moins un de leurs membres, aux 50 familles éradiquées. Ces chiffres datent de vendredi, ils sont déjà dépassés. La mort va si vite à Gaza, et face à elle, nous avons échoué. Nous avons échoué face aux enfants opérés sans anesthésie, par manque d’équipement médical. Nous avons échoué face aux morgues si remplies, que les cadavres d’enfants sont désormais entassés dans des camions de glace. Nous avons échoué face à la déshumanisation publique des Palestiniens  ; traités au mieux d’« animaux inhumains » ; quand on ne promet pas, ouvertement, de « se battre jusqu’à leur briser les vertèbres », « les finir. »  Nous avons échoué face au ciment coulé dans les conduits d’eau des Gazaouis, face à l’internet et l’électricité coupés de force, aux panneaux solaires détruits, au fuel et aux médicaments que l’on empêche d’atteindre l’enclave. Nous avons échoué face au phosphore blanc, aux bombes de plus de 500 kg larguées depuis des F-35 sur des corps de bébés, d’enfants, de femmes et de vieillards qui crèvent de peur et de faim et de soif. Nous avons échoué face aux corridors humanitaires jamais ouverts, aux camions d’aides qui ne sont jamais arrivés. Nous avons échoué face à la mort de la famille de Waël Dahdouh et celle de Mohammad Farra, et nous avions déjà échoué face à la mort de Shireen Abu-Akleh. Nous avons échoué face aux larmes des mères, à l’impuissance des pères ; et surtout face aux petits corps des enfants. De quoi faut-il être fait pour pouvoir leur faire du mal et les tuer ?

Nous avons échoué face à tout l’Occident qui continue d’appeler ça un « conflit » alors que ce que nous vivons depuis la tout aussi abominable attaque du 7 octobre n’est en vrai que le génocide et le nettoyage ethnique les plus médiatisés et les précisément documentés de l’histoire. Nous avons échoué face au silence assourdissant des dirigeants du monde arabe. Et un jour, j’espère au moins qu’on se rappellera cette époque comme la pire de l’humanité. Du moment où l’humanité a simplement et totalement échoué. 

Avant le 7 octobre 2023, cette nouvelle m’aurait sans doute donné de l’espoir. Un centre d’hébergement à Deir al-Balad, au centre de Gaza, dans une microscopique enclave encore épargnée, à l’heure où j’écris ces mots, par les Israéliens. Ici, au cœur de l’enfer qu’est devenu Gaza, une association humanitaire locale s’est organisée par une force qui tient du miracle pour...
commentaires (2)

Poignant%20!%20

Tabet

15 h 37, le 30 octobre 2023

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Commentaires (2)

  • Poignant%20!%20

    Tabet

    15 h 37, le 30 octobre 2023

  • Un cri dans le desert!? Je partage

    Nemer Salam

    10 h 48, le 30 octobre 2023

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