La « trêve » n’aura duré que 48 heures. Il a suffi que le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, remette sur le tapis la question du vide qui guette la tête de l'armée à partir du 10 janvier 2024 (date du départ à la retraite du chef de la troupe, Joseph Aoun) pour que les rapports entre le Sérail et le Courant patriotique libre subissent une nouvelle secousse. En témoigne la violente altercation verbale, mercredi, entre le chef du gouvernement et le ministre sortant de la Défense, Maurice Slim – qui gravite dans l’orbite du courant aouniste –, avec, en toile de fond, le sort du commandement de la troupe. Une affaire d’autant plus pressante que le Liban est aujourd’hui face au sérieux risque d’être entraîné dans la guerre qui fait rage entre le Hamas et Israël à Gaza. Toutefois, la veille encore, Nagib Mikati recevait Gebran Bassil qui a entamé en début de semaine une tournée auprès de tous les protagonistes dans le cadre d'une initiative en quête d’union nationale face au risque de guerre au Liban, sur fond d’implication du Hezbollah dans des affrontements frontaliers quotidiens avec l'armée israélienne.
Le malentendu entre MM. Mikati et Slim a éclaté en raison de ce que le ministre a interprété comme un vice de forme entachant la communication entre le Sérail et le ministère de la Défense. Mais le différend a sans doute une dimension politique. Car le chef du CPL semble de plus en plus catégorique dans son refus de voir le mandat du général Aoun – une option sérieuse pour combler le vide à la tête de l'État – prorogé. Il rejette aussi l’option de nommer un successeur dans un contexte de vacance présidentielle. Une position sur laquelle M. Bassil converge – fait rare – avec son grand rival présidentiel, le chef des Marada, Sleiman Frangié, candidat du tandem chiite Amal-Hezbollah à la présidence de la République. « Nous sommes contre la prorogation du mandat du commandant en chef de l’armée et contre la nomination de son successeur en l’absence d’un président de la République », a déclaré mercredi Sleiman Frangié, à l’issue de sa réunion à Bnechaï avec Gebran Bassil. Il s’agissait du premier entretien entre les deux rivaux depuis le fameux iftar du 8 avril 2022 tenu sous la houlette du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. « Nous attendons une formule qui pourrait assurer la continuité du service public, tout comme ce fut le cas au sein d’autres institutions », a ajouté M. Frangié. Il faisait référence notamment à la Sûreté générale et la Banque du Liban, où l’intérim a été assuré par Élias Baïssari et Wassim Manssouri, seconds de Abbas Ibrahim et Riad Salamé, partis à la retraite en mars et juillet respectivement.
L’importance de ces propos réside surtout dans leur timing : ils sont intervenus quelques heures après la réunion ministérielle informelle qui a témoigné de l’échange verbal acerbe entre MM. Mikati et Slim. « Le ministre de la Défense semblait énervé à son arrivée à la réunion, le chef du gouvernement lui ayant demandé de faire des propositions pour régler la question du sort de l’armée, par un mémo adressé également au ministre de la Justice (ministre de la Défense par intérim) et au commandement de l’armée », raconte à L’Orient-Le Jour le ministre sortant de la Jeunesse et des Sports, Georges Kallas. « Je n’ai fait que respecter les lois en vigueur », commente Nagib Mikati. « Quand je vois que le pays est face à un risque de guerre, et que le chef de l’armée partira à la retraite dans quelques mois sans qu’un chef d’état-major (censé prendre l'intérim) soit nommé, il est normal de me mobiliser pour éviter le vide à la tête de l’armée », dit-il à notre journal. Et M. Mikati d’ajouter : « Il (Maurice Slim) était furieux parce que j’ai envoyé la lettre au commandement de l’armée, censé proposer des noms pour pourvoir aux postes vacants au conseil militaire, comme le stipule clairement la loi de défense ».
« Un président de l’avant-Taëf »
Sauf que la colère de M. Slim est loin d’être exclusivement liée à ce qu’il estime être un vice de forme entachant la démarche de M. Mikati. Elle est le reflet de la colère aouniste face à la volonté du Premier ministre de régler cette question avant le départ à la retraite de Joseph Aoun. « Le Premier ministre sortant se comporte aujourd’hui comme un président de la République de l’avant-Taëf », lance un ex-député aouniste sous le couvert de l’anonymat, en référence à l'accord conclu dans la ville saoudienne en 1989 pour mettre fin à la guerre civile et qui a limité les prérogatives du président de la République maronite au profit du Premier ministre sunnite. « S’ils sont vraiment pressés, qu’ils élisent un président de la République et forment un nouveau gouvernement pour que le numéro un de la troupe puisse être nommé », explique Wadih Akl, conseiller de Gebran Bassil.
Le nouveau round du bras de fer Mikati-Slim est intervenu à l’heure où le chef du CPL poursuivait sa tournée, entamée lundi au Sérail, auprès des protagonistes politiques. Officiellement, le but de la tournée est d’unifier les rangs des Libanais derrière la cause palestinienne et le refus de voir le Liban emporté par le « Déluge d’al-Aqsa ». Il n’en demeure pas moins que la question de l'avenir de Joseph Aoun était au menu des discussions. Même si les aounistes, à commencer par M. Bassil lui-même, s’emploient à assurer que le chef du CPL s’est contenté de répondre aux questions qui lui ont été posées à ce propos. « Ce sont mes interlocuteurs qui ouvraient le débat et j’insistais sur l’existence de solutions légales », a dit le leader aouniste lors d’un point de presse jeudi. Comme pour dire que la question du commandement de l’armée n’est pas actuellement une priorité pour le courant aouniste.
« Solution à froid »
Il reste que selon Georges Kallas, Nagib Mikati a évoqué avec Gebran Bassil les scénarios possibles, dont le maintien de Joseph Aoun à son poste (en prolongeant son départ à la retraite) et la nomination de tous les membres du conseil militaire. Une option à laquelle serait favorable le leader druze Walid Joumblatt, qui presse depuis des mois pour la nomination d’un chef d’état-major, un poste réservé à la communauté druze, vacant depuis décembre dernier. « Walid Joumblatt est pour la prorogation du mandat de Joseph Aoun, un excellent officier sur le terrain », dit à L’OLJ une source proche de Moukhtara. Comprendre que le leader druze n'est plus très enthousiaste à l'idée de voir un druze prendre les rênes de l'institution militaire durant cette phase sécuritaire tendue. Jeudi, Nagib Mikati s'est tourné vers Nabih Berry. Le chef du législatif est pour une « solution à froid », confie le Premier ministre, sachant que dans certains milieux proches du tandem chiite, on laisse entendre que M. Berry avaliserait le maintien de Joseph Aoun à son poste... au grand dam de Gebran Bassil.
Bassil élabore son plan basé sur cinq idées en vue d'une « entente nationale »Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a élaboré jeudi les cinq idées sur lesquelles se base son plan en quête d'une entente nationale pour permettre au Liban de faire face au risque de guerre généralisée avec Israël. Le leader chrétien a présenté son projet après avoir conclu sa tournée entamée lundi auprès des différents protagonistes pour essayer de s'accorder sur une position libanaise unifiée concernant le conflit opposant le Hamas à l'État hébreu, dans lequel le Hezbollah est jusqu'ici timidement impliqué.
« J'ai porté un ensemble d'idées, et non une initiative, aux différents protagonistes concernant la guerre en cours et j'ai jugé nécessaire d'instaurer un consensus national autour d'elles », a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse. « J'ai constaté que nous sommes d'accord sur la plupart des points et j'ai pour espoir d'élargir cette compréhension pour inclure les parties que je n'ai pas encore rencontrées », a-t-il ajouté en référence aux composantes de l'opposition, notamment les Forces libanaises et les Kataëb, qui ont refusé de s'entretenir avec le chef du CPL.
En premier lieu, l'ancien ministre a souligné de nouveau son soutien aux Palestiniens. « D'abord, il faut soutenir le peuple palestinien et son droit à établir un État, ainsi que sa résistance face à la machine de guerre israélienne », a-t-il plaidé, ajoutant qu'une enquête internationale sur les événements à Gaza et les « crimes de guerre » israéliens doit être ouverte. « Il faut également adopter la solution à deux États comme une voie pacifique garantissant les conditions d'une paix juste et globale. » Le deuxième point proposé par Gebran Bassil repose sur « le droit du Liban à se défendre face aux provocations israéliennes ». « Il est essentiel de protéger le Liban et d'empêcher l'utilisation de son territoire comme une plateforme pour des attaques qui pourraient l'entraîner dans la guerre », a-t-il toutefois nuancé. Le troisième point concerne l'élection d'un président de la République « réformiste » et la formation d'un gouvernement d'union nationale. « La situation actuelle ne signifie pas que nous ne pouvons pas élire un président », a-t-il affirmé, alors que depuis le début des hostilités le 7 octobre le dossier présidentiel semble être relégué au second plan.
Le chef du CPL a par la suite évoqué le dossier des réfugiés et migrants syriens, son cheval de bataille. « Il faut considérer le dossier des déplacés syriens comme une question urgente et le traiter comme un facteur susceptible de déstabiliser le pays, en particulier en cette période de haute tension », a-t-il affirmé. Enfin, le cinquième point proposé par M. Bassil repose sur le respect des décisions internationales, notamment la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui a mis fin à la guerre de 2006 entre le Liban et Israël, mais aussi l'initiative de paix arabe, qui propose une normalisation des relations entre toutes les capitales arabes et Tel-Aviv en échange de l'établissement d'un État palestinien. « Il faut également libérer tous les territoires libanais occupés par Israël, assurer le droit de retour des réfugiés palestiniens au Liban et protéger nos ressources », a-t-il ajouté.
M. Bassil s'est enfin dit prêt à « fournir tout effort en vue de parvenir à cette entente nationale » et « ouvert à toute initiative ou dialogue fructueux en vue de combler le vide au sein des institutions et rétablir le prestige de l'État ».
commentaires (11)
La règle de lecture:" aux titres où l'on voit: Bassil, hez-boilant, noss-ralant (ou épelés différemment)" je saute à l'article suivant... un sport qui préserve la santé physique et surtout mentale...
Wlek Sanferlou
15 h 22, le 29 octobre 2023