C’est une nouvelle démonstration de la vitesse à laquelle les dynamiques géopolitiques peuvent évoluer au Moyen-Orient. Le président iranien Ebrahim Raïssi et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane se sont téléphoné mercredi soir pour évoquer l’escalade militaire en cours à Gaza, ont rapporté les agences de presse officielles des deux pays, la Saudi Press Agency (SPA) et l’Islamic Republic News Agency (INRA). Selon cette dernière, l’appel a duré 45 minutes, projetant la discussion au-delà des normes protocolaires. Alors que le communiqué iranien évoque la nécessité de mettre fin aux « crimes de guerres », le saoudien rappelle que « le prince héritier a souligné la position inébranlable du royaume en faveur de la cause palestinienne et en soutenant les efforts visant à parvenir à une paix globale et juste garantissant les droits légitimes du peuple palestinien ». Il s’agit du premier échange rendu public entre les deux dirigeants, sept mois après la signature de l’accord de détente saoudo-iranien, le 10 mars, à Pékin.
La nouvelle est d’autant plus frappante que le rapprochement entre Riyad et Téhéran n’a jamais généré de résultats concrets hors du champ diplomatique, tandis que le processus de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël a largement occupé l’espace médiatique ces derniers mois, reléguant l’accord de Pékin au second plan. Il y a encore trois semaines, MBS annonçait sur Fox News que les négociations avec l’État hébreu avançaient « un peu plus chaque jour ». Elles semblent pour l’heure enterrées.
Communiqué au vitriol
Pour Riyad, il s’agit aussi de montrer son attachement à la question palestinienne, qu’il a toujours mise en avant dans les pourparlers avec Israël. Ces derniers butaient d’ailleurs sur les demandes saoudiennes de cesser la colonisation en Cisjordanie et de créer un État palestinien. Une position que le royaume a tenu à appuyer après l’attaque inédite du Hamas, qui a fait un millier de morts israéliens depuis le 7 octobre. « Les Israéliens ont été très vite en besogne en espérant que tout cela resterait verbal et qu’ils pourraient arriver à une normalisation qui ne prendrait pas en compte les Palestiniens, observe Joseph Bahout, directeur du Issam Fares Institute de l’Université américaine de Beyrouth. Ça a été une pièce essentielle de la stratégie régionale de Netanyahu. Et là, il y a un vrai recul. Le coup de fil et la posture saoudienne depuis le début du conflit montrent qu’au fond, les accords de normalisation qui sont essentiellement construits dans la tête israélienne pour faire face à l’Iran sans considérer la question palestinienne sont des accords très fragiles. »
Dans un communiqué au vitriol publié le jour de l’assaut, le ministère saoudien des Affaires étrangères a soigneusement évité de condamner l’attaque du Hamas, tout en l’imputant en creux à la responsabilité des « forces d’occupation israéliennes ». Il a rappelé ses « avertissements répétés sur les dangers d’une situation explosive résultant d’une occupation continue, de la privation des Palestiniens de leurs droits légitimes et de la répétition des provocations systématiques (des Israéliens) envers les lieux saints ».
« L’appel entre MBS et Ebrahim Raïssi s’inscrit dans la continuité de la position saoudienne des premiers jours qui avait été un choc pour Israël, estime Joseph Bahout. C’est une position politique qui dépasse la question humanitaire derrière laquelle les Émirats où d’autres se cachent. »
Opprobre des populations arabes
Un autre enjeu se pose ici pour l’Arabie saoudite : celui de ne pas laisser à l’Iran le monopole de la question palestinienne. D’autant que son entreprise de normalisation avec Israël avait suscité l’opprobre des populations arabes. « L'Iran reçoit de nombreux éloges, même de la part de ceux qui n'aiment pas sa politique dans la région, et il y a un respect croissant pour la façon dont Téhéran semble donner du pouvoir à ses alliés à un moment où les États arabes les abandonnent », expose Sami Hamdi, fondateur du cabinet de conseil en géopolitique The International Interest. « L’appel à Raïssi pourrait être un moyen pour MBS de donner le sentiment à l'opinion publique que les nations musulmanes, et pas seulement l’Iran, agissent de concert pour le bien de la Palestine. »
Il y a aussi la nécessité de maintenir l’équilibre entre les différentes puissances régionales et internationales que Riyad développe maintenant depuis des années. « Il ne s’agit pas de garantir les droits des Palestiniens ou à les défendre, tranche Sami Hamdi, mais plutôt de garder des options ouvertes, à mesure que le conflit se déroule, afin de permettre à MBS de maintenir des liens avec Israël si l’issue leur est favorable, ou de revendiquer un soutien à la résistance si l’issue est favorable à la Palestine. »
« L’Arabie continuera à tout faire pour pacifier son environnement dans le Golfe avec l’Iran et à entretenir le contact en coulisses avec Israël, y compris sur la question palestinienne même si ça fâche les Israéliens, prédit Joseph Bahout. Ce qui pourrait les rapprocher, c’est si l’Iran reprend une forte position offensive dans la région. Il y aura toujours un intérêt à garder un fil entre le royaume et l’État hébreu. »
Ne parlons que de deux états vivant côte à côte entre Israël et la Palestine.
13 h 53, le 13 octobre 2023