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Culture - Débat

Ces femmes qui ont eu le courage de…

La femme d’aujourd’hui au Levant et le combat des féministes : ces thématiques étaient au centre d’un débat avec René Otayek et Nada Moghaïzel dans le cadre du festival Beyrouth Livres organisé par l’Institut français de Beyrouth.

Ces femmes qui ont eu le courage de…

René Otayek, auteur de « Féministes arabes du Levant » paru aux éditions de L’Orient des Livres/Non Lieu . Photo DR

La parution de l’ouvrage Féministes arabes du Levant de René Otayek, aux éditions de L’Orient des Livres/Non Lieu, a constitué un parfait prétexte pour un débat qui s’est tenu le dimanche 8 octobre à l’École supérieures des affaires (ESA) dans le cadre du festival Beyrouth Livres organisé par l’Institut français du Liban. La cause des femmes dans cette région du monde a été soulevée avec Georgia Makhlouf, qui modérait le débat, et de Nada Moghaïzel, doyenne honoraire de la faculté des sciences de l’éducation, déléguée du recteur, professeure à l’Université Saint Joseph.

Constat d’amnésie

Le dernier livre de René Otayek comporte 16 portraits de femmes, divisés en deux parties de manière arbitraire. La première, consacrée aux « Femmes de la Nahda », regroupe les huit portraits de Houda Chaaraoui, May Ziadé, Malak Nassif, Nabbawiya Moussa, Marie Ajami et Zaynab Fawwaz. Dans la seconde partie, intitulée « Les héritières », on retrouve Anbara Salam Khalidi, Nazek el-Abed, Nazek el-Malaïka, Fadwa Touqan, Jocelyne Saab, Nawal el-Saadaoui, Laure Moghaïzel et Mai Masri. 

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Au départ de l’ouvrage de René Otayek, deux insatisfactions. Résident en France depuis de nombreuses années, il a toujours été attentif aux débats et aux discussions qui ont lieu dans l’espace public français autour de la question des sociétés du monde arabe et des sociétés musulmanes. « Je suis frappé, souligne l’auteur, par la manière dont les médias, le public, les commentateurs politiques continuent de représenter la femme orientale et la femme musulmane, qui ne sauraient être, à leurs yeux, selon cette représentation, que soumises ou vouées à procréer, une femme privée de toute autonomie. Il y a donc une insatisfaction par rapport à ce discours. La seconde insatisfaction, symétrique à la première, est due au retour de discours qu’on entend dans la société moyen-orientale et dans ces régions sur l’infériorité de la femme qui s’accompagne de codes vestimentaires que je n’ai pas connus durant mon adolescence au Liban. Lorsqu’on regarde des images du monde arabe dans les années 50-60, ajoute l’auteur, on est frappé par le nombre restreint de femmes qui portaient le voile. Sans porter de jugement, en tant que professeur de sciences sociales, il y a matière à s’interroger : que s’est-il passé pour assister à la résurgence de ces codes vestimentaires, de ces discours et de cette façon de se représenter la femme ? »


René Otayek et Nada Moghaïzel entourant Georgia Makhlouf lors du débat à l'ESA dans le cadre de Beyrouth Livres. Photo DR

René Otayek a ainsi voulu réagir en brossant une série de portraits de femmes du Levant (palestiniennes, égyptiennes, libanaises, irakiennes ou syriennes), qui ont vécu entre la seconde moitié du XIXe siècle et aujourd’hui. Il lui semblait important de remettre ces femmes disparues en lumière, d’insister sur le rôle qu’elles ont joué. « Il y a une forme d’amnésie qui s’est installée. On a tout oublié, tant et si bien que beaucoup de Libanais ignorent qui était May Ziadé », déplore le directeur de recherches au CNRS, qui rapporte dans l’ouvrage un geste très important qui s’était déroulé en 1923. Égyptienne et pionnière du féminisme, Houda Chaaraoui décide un jour, en revenant d’un congrès, d’enlever son voile. Elle est accueillie à la gare du Caire par une salve d’applaudissements de la part des femmes présentes. Anbara Salam Khalidi a eu, elle aussi, ce même courage. C’était à Beyrouth, en 1927, au cours d’une conférence. Deux gestes fondateurs il y a 100 ans…

Dimension politique

Ces femmes se sont inscrites dans les luttes anticoloniales et se sont battues pour leurs revendications. « Mais il existe des parcours et des profils très diversifiés, nuance l’auteur. Et d’expliquer qu’au départ, leur lutte ne s’inscrivait pas frontalement dans une lutte politique, elles étaient plutôt préoccupées par la défense des droits des femmes, l’égalité entre hommes et femmes, le droit au travail, à la santé. « Rares sont celles qui posent la question du passage au politique, constate René Otayek. Houda Chaaraoui  est l’une des premières qui amorce ce passage au politique. Elle crée des associations, combat sur le terrain contre la colonisation britannique en Égypte, participe à la structuration du mouvement féministe arabe et internationale. » Le conférencier relève cependant l’importance du contexte dans lequel vivaient ces femmes. Elles étaient invisibilisées, et la question des droits de la femme était débattue d’une façon très virulente.  Rien que le fait de la poser était en soi un geste politique.

Quant à celles qu’il a surnommées « les héritières »,  elles sont dans un contexte historique différent, celui de la mise en œuvre du projet sioniste en Palestine, de l’accentuation de la lutte anticoloniale en Syrie, en Jordanie, en Irak et en Palestine. Ces femmes articulent étroitement à la fois la lutte pour les droits des femmes et celle pour l’indépendance. Nazek el-Abed, issue de l’aristocratie syrienne,  en est une figure emblématique. Elle a été surnommée « l’épée de Damas ». Certains hommes ont eux aussi participé à la lutte des droits de la femmell comme Qasim Amin, dont l’œuvre a inspiré de nombreuses militantes. Certaines figures, plus récentes, comme celle de Laure Moghaïzel, que sa fille, présente sur le plateau, évoquera en faisant un tour d’horizon de ses nombreux combats et sa lutte pour les droits de la femme libanaise et arabe. Avocate, elle a en effet été derrière de nombreuses réformes législatives en faveur des droits des femmes. Plus de dix lois ont été modifiées. Sous sa pression, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw) a aussi été ratifiée par le Liban en 1997.

Elle a également beaucoup œuvré pour instaurer une paix civile permanente au Liban et a accompagné son époux Joseph Moghaïzel dans la fondation du Parti démocratique libanais, en 1969, prônant la laïcité du Liban.

Que reste-t il aujourd’hui de ces femmes qui ont tant donné, tant lutté et tant souffert ? C’est l’ultime question que pose l’œuvre de René Otayek.        


Bio express
Directeur de recherches émérite au CNRS et professeur à Sciences Po Bordeaux, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique subsaharienne, René Otayek a consacré de nombreux ouvrages à ces régions du monde, mais surtout au Moyen-Orient. Il est l’auteur de deux romans historiques, « Les abricots de Baalbeck » et « Le Levantin ».

La parution de l’ouvrage Féministes arabes du Levant de René Otayek, aux éditions de L’Orient des Livres/Non Lieu, a constitué un parfait prétexte pour un débat qui s’est tenu le dimanche 8 octobre à l’École supérieures des affaires (ESA) dans le cadre du festival Beyrouth Livres organisé par l’Institut français du Liban. La cause des femmes dans cette région...

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