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Culture - Beyrouth Livres

ChatGPT ? Gentil collaborateur peut-être, mais certainement piètre auteur !

À l’invitation de l’Institut français du Liban, quatre auteurs se sont prêtés à une expérience de création littéraire en collaboration avec l’intelligence artificielle. Leurs témoignages déconstruisent le mythe du robot écrivain.

ChatGPT ? Gentil collaborateur peut-être, mais certainement piètre auteur !

De gauche à droite : Charif Majdalani, Monique Proulx, Pascal Mougin, Sofía Karámpali Farhat et Charlotte Moundlic. DR

C’est une rencontre d’auteurs plutôt inédite qui s’est tenue dimanche après-midi à l’ESA dans le cadre de la deuxième édition de Beyrouth Livres. Une réunion issue d’un exercice tout aussi inédit auquel se sont prêtés les 4 auteurs participants. À savoir, la poète libano-grecque Sofía Karámpali Farhat, le romancier libanais Charif Majdalani, l’éditrice de BD et auteure de livres jeunesse Charlotte Moundlic et l’auteure et scénariste québécoise Monique Proulx. Ces derniers devaient produire – à la demande de Matthieu Diez, attaché pour le livre et le débat d’idées auprès de l’Institut français du Liban – une courte nouvelle chacun, en s’appuyant sur l’intelligence artificielle (IA). Et relater leur expérience à un public curieux d’en apprendre un peu plus sur les potentialités et les enjeux de la production littéraire automatisée à l’aune de Chat GPT.

Menée par Pascal Mougin, professeur de littérature française contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et spécialiste des liens entre littérature et numérique, la séance de partage de leurs textes et observations aura conjuré (du moins pour le moment !) le mythe du robot écrivain qui serait susceptible de dépasser l’humain et de le déposséder de sa créativité. Et cela par la mise en lumière, à travers les savoureux témoignages des quatre intervenants, des réelles lacunes et limites de création de cette intelligence qui porte bien son nom. Car ne maîtrisant aucunement (jusqu’à ce jour ?) les naturelles subtilités imaginatives, émotionnelles et de construction qui font le terreau de l’écriture littéraire singulière à chaque écrivain.

La rencontre s'est tenue dans les jardins de l'ESA au cours du week-end de clôture de Beyrouth Livres 2023. DR

 L'IA, un fantasme qui remonte à Platon…

Commençant par rappeler que « cette idée d’une machine de production littéraire n’est pas nouvelle », Pascal Mougin a indiqué qu’« on la trouvait déjà dans l’Antiquité chez Platon, au Moyen Âge chez Raymond Lulle, puis à la Renaissance chez les grands rhétoriqueurs, ainsi que dans Les voyages de Gulliver de Jonathan Swift et tout au long de la deuxième partie du XXe siècle dans les tentatives de poésie générée électroniquement… Si, depuis son apparition en novembre 2022, le robot conversationnel ChatGPT fait beaucoup parler de lui, c’est parce qu’il y a une charge fantasmatique très forte autour de l’IA générative de contenu », a-t-il poursuivi. « Il y a des clivages idéologiques qui se creusent entre, d’un côté, le discours de la fascination, celui des utopistes technophiles qui pensent que l’intelligence artificielle va résoudre tous nos problèmes et, de l’autre, une réaction d’inquiétude, voire même d’effroi face à cette IA qui fait redouter le moment où les machines vont atteindre les capacités exclusivement humaines, voire potentiellement les dépasser et prendre à jamais le contrôle. »

Une crainte qui ne se reflète absolument pas dans l’exercice d’écriture ou de coécriture avec l’IA auquel se sont prêtés, « sans a priori, avec un esprit plutôt joueur et curieux », les quatre auteurs, dont Pascal Mougin a recueilli les témoignages et partagé les textes avec un public aussi intéressé qu’amusé.

 L’art du prompt

Car la drôlerie était au rendez-vous. Aussi bien dans les résultats obtenus par les auteurs que dans leurs descriptions des échanges qu’ils ont développés avec ChatGPT.

Pour la jeune poétesse Sofía Karámpali Farhat, qui a commandé à l’outil générateur de texte « un poème mélancolique sur mon village natal au Sud-Liban, ChatGPT n’est visiblement pas au courant de l’actualité », a-t-elle relevé avec humour. Car dans le poème classique qu’il lui a produit, il dessine un paysage de montagne « si paisible et serein » qui ne correspond absolument pas à la réalité de son village situé à 20 km de la frontière libano-israélienne. S’il est évident que les strophes en vers de l’IA ne l’ont pas convaincue, la jeune femme s’est dit cependant « époustouflée par sa rapidité d’écriture. Les alexandrins ayant été formulés en une minute à peine, en moins de temps qu’il ne m’a fallu pour élaborer ma question ».

Une célérité à laquelle ne s’attendait pas non plus Charif Majdalani. Pas plus qu’il ne s’attendait à être contraint par la machine à préciser ses demandes. Exposant ses démêlés de novice en la matière, le romancier libanais d’expression française a ainsi rapporté avoir découvert qu’il y a un art du prompt (c’est-à-dire des instructions à formuler de manière claire et précise) à développer dans l’usage de ChatGPT. « Contrairement à ce que l’on pourrait croire spontanément, il ne faut pas penser que le robot produirait l’œuvre envisagée à partir d’un simple bouton qu’on presse. Il ne suffit pas de lui demander d’écrire une version contemporaine du Petit Chaperon rouge ou l’histoire d’un homme qui vit dans une épave par exemple pour obtenir un récit qui fasse sens. » Pour son histoire d’un homme vivant dans une épave, donc, Charif Majdalani a relaté comment ChatGPT a commencé par donner l’idée la plus conventionnelle, celle d’un naufragé dans un navire échoué. Spécifiant sa requête, l’auteur a indiqué à la machine qu’il aimerait que le récit se déroule dans une épave en ville. L’IA lui a alors ébauché le profil d’un clochard réfugié dans une usine abandonnée. « Je l’ai poussé un peu en lui disant que je préférais que le héros ne soit pas un sans-abri mais plutôt le gardien de cette épave. Et à partir de là, il m’a proposé un texte qui n’était pas mal du tout », a affirmé le romancier qui a trouvé l’interaction avec l’IA « stimulante au niveau de la créativité, passionnante même ». Même si d’un point de vue littéraire, cet outil ne « fonctionne que par les clichés ou par la reproduction absolument stricte des textes, sans sortir du cadre, il peut être une ressource parmi d’autres à condition de s’en servir en gardant un esprit critique », a-t-il signalé en conclusion.

 « Il pourrait me servir d’esclave »

Pour l’auteure de livres jeunesse, éditrice de bédé et directrice artistique des éditions Rue de Sèvres, Charlotte Moundlic, il s’agissait plus d’une envie d’en découdre avec cette intelligence artificielle qui fait la terreur des dessinateurs et scénaristes, qui l’a poussée à mettre au défi ChatGPT en lui commandant un texte improbable. « Je lui ai demandé de m’écrire un dialogue entre Cyrano de Bergerac et Michouchou, le jeune héros contemporain de l’un de mes livres (Le slip de bain ou les pires vacances de ma vie, éditions Castor). Et en exigeant que ces deux personnages aux antipodes débattent sur le thème très politique du droit de disposer librement de son corps. « Inutile de vous faire part du résultat. Un alignement d’inepties totales », a déclaré l’auteure française. Qui a néanmoins reconnu certaines vertus à cet outil, comme sa « capacité à lisser le discours, à effacer les aspérités syntaxiques au bénéfice de la fluidité de la lecture, à utiliser des termes intéressants ce qui pourrait lui donner une fonction de gentil collaborateur au service des écrivains », s’est-elle réjouie.

Monique Proulx a elle aussi préféré évoquer la démarche plutôt que le résultat de cette expérience entreprise « avec un esprit de jeu, sans aucune envie de produire une œuvre littéraire ». S’amusant plutôt à sonder la véracité et la pertinence des propos de la machine, elle lui a demandé, entre autres, comment faire pour délier son inspiration totalement bloquée en milieu d’écriture de son roman. « Eh bien, il m’a donné des conseils pratiques très appropriés. Dont je vous énumère quelques-uns que voici : prenez une pause ; changez de perspective ; essayer de voir votre histoire sous un angle différent ; laissez votre créativité s’exprimer sans vous soucier de la qualité de ce que vous écrivez ; dialoguez avec vos personnages pour mieux comprendre leurs motivations ; relisez vos notes ; lisez d’autres textes, inspirez-vous au contact d’autres arts… Alors, je me suis dit que ce ChatGPT, je reviendrais certainement le voir à l’avenir. Il pourrait éventuellement me servir d’esclave », lance à la ronde, visiblement amusée par sa découverte, l’auteure québécoise, lauréate du prix des 5 Continents de la francophonie pour son roman Enlève la nuit (éditions du Boréal ; 2022).


C’est une rencontre d’auteurs plutôt inédite qui s’est tenue dimanche après-midi à l’ESA dans le cadre de la deuxième édition de Beyrouth Livres. Une réunion issue d’un exercice tout aussi inédit auquel se sont prêtés les 4 auteurs participants. À savoir, la poète libano-grecque Sofía Karámpali Farhat, le romancier libanais Charif Majdalani, l’éditrice de BD...

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