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Moyen-Orient - Guerre d’octobre

Il y a 50 ans, pourquoi Sadate et Assad ont attaqué Israël

C’était le 6 octobre 1973, en plein Yom Kippour et ramadan. Les dirigeants égyptien et syrien attaquaient par surprise l’État hébreu. Une opération commune mais aux objectifs distincts.

Il y a 50 ans, pourquoi Sadate et Assad ont attaqué Israël

Une scène de guerre est reconstituée lors de la visite du Mémorial de la guerre d’octobre 1973 au Caire, en Égypte, le 1er octobre 2023. Khaled Desouki/AFP

Il est des guerres où la perception importe davantage que la victoire militaire effective. Celle d’octobre 1973 en est un des exemples les plus frappants. Dans les mémoires arabes, la « guerre du Ramadan » ou d’Octobre est une victoire. Celle qui est parvenue à créer la surprise et semer la confusion chez les Israéliens, à mettre en danger l’État ennemi créé 25 ans plus tôt. Si, sur le terrain, Israël a pu progressivement inverser le cours du conflit, pénétrant au bout de dix jours les lignes de défense égyptiennes et syriennes, Le Caire et Damas ont réussi leur pari : laver l’humiliation de 1967, un élément-clé vers la réalisation de leurs objectifs respectifs.

Pour les Israéliens, le choc de l’attaque surprise du 6 octobre était tel qu’il hante toujours les mémoires. Comment expliquer le dysfonctionnement du système d’alerte israélien ? Comment des signaux qui semblent aujourd’hui si flagrants ont-ils pu être ignorés par le leadership ? « L’orgueil, commente James Gelvin, professeur au département d’histoire de l’Université de Californie à Los Angeles. Après leur écrasante victoire lors de la guerre des Six-Jours, en juin 1967, les Israéliens ne pouvaient pas croire qu’ils seraient à nouveau attaqués par des États arabes. Ils ont ignoré les signes avant-coureurs et ont en fait été trompés par les Égyptiens, qui avaient déclaré 1971 “année de la décision” et qui avaient organisé un certain nombre d’exercices fictifs pour endormir les Israéliens. »

Victoire ponctuelle décisive

Lors de la guerre des Six-Jours, l’Égypte perd la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï, la Syrie est amputée du plateau du Golan et la Jordanie doit céder la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Le sentiment d’humiliation au profit d’Israël domine le monde arabe. Trois ans plus tard, succédant au président Gamal Abdel Nasser à la présidence égyptienne après sa mort, Anouar el-Sadate multiplie les discours de surenchère à l’encontre d’Israël. Pressé de sortir son pays de la situation de « ni guerre ni paix », il annonce en 1971 qu’il ne laissera pas l’année s’écouler sans déclarer la guerre contre l’État hébreu, à moins d’un accord prévoyant le retrait des troupes israéliennes de tous les territoires arabes occupés en 1967. Peu de temps après l’accession au pouvoir d’Anouar el-Sadate, le général Hafez el-Assad est investi des pouvoirs présidentiels en Syrie, après avoir orchestré un coup d’État militaire contre l’aile civile radicale du parti Baas. Lui et Anouar el-Sadate ne s’entendent guère. Obsédé depuis la période Nasser par la volonté de se protéger contre toute provocation et de défendre ses intérêts, le nouveau dirigeant syrien se méfie de son homologue égyptien, qui rompt par ailleurs avec l’ère du socialisme et adopte un tournant libéral. « Sadate et Assad se détestaient, mais aucun des deux ne pouvait réussir sans l’autre, observe James Gelvin. Ils se sont rencontrés au Caire au printemps 1973 et c’est de là qu’est née l’alliance de circonstance. »

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Une alliance en réalité guidée par des objectifs distincts. Car si les armées égyptienne et syrienne ont conjointement lancé une attaque surprise massive dans la péninsule du Sinaï et sur le plateau du Golan, les motifs sous-jacents diffèrent. D’un côté, l’un, Anouar el-Sadate, veut redonner de la fierté à son peuple et repositionner l’Égypte dans une situation où elle soit à même de négocier, tout en reprenant le Sinaï. « Son objectif n’était pas de vaincre les Israéliens au combat, mais plutôt d’envoyer un signal à Israël, et à d’autres, que l’Égypte était forte et qu’Israël devait être ouvert à un échange de territoires contre la paix avec l’Égypte », observe Mark Tessler, spécialisé dans les études sur le Moyen-Orient et professeur à l’Université du Michigan. Pour ce faire, le point de départ est d’arracher une victoire ponctuelle décisive, quand bien même elle serait suivie d’une défaite. Le long de la côte du canal de Suez, « les forces égyptiennes se sont emparées de la ligne Bar Lev, lourdement fortifiée. Il s’agissait là d’un exploit majeur, tant pour la traversée elle-même que pour le fait qu’elle ait été gardée secrète », poursuit Mark Tessler. « L’objectif de Sadate était de franchir le canal de Suez et, ce faisant, d’ébranler le système israélien et de mettre fin à son “aura d’invincibilité”, souligne de son côté David Makovsky, chercheur au sein du Washington Institute for Near East Policy. Il pensait que la rupture du statu quo obligerait les États-Unis à être plus actifs dans la diplomatie d’après-guerre. »

Des troupes israéliennes traversent le canal de Suez pendant la guerre d’octobre 1973. Photo d’archives AFP

À l’été 1972 pourtant, Anouar el-Sadate expulse d’Égypte la majorité des conseillers soviétiques, un gage de bonne foi à l’intention de Washington en vue d’obtenir sa médiation dans d’éventuelles négociations. La stratégie ne fonctionne qu’à l’issue de la guerre, Le Caire ayant précédemment encouragé les Saoudiens à mener un embargo sur les exportations de pétrole vers les États-Unis. Sur le terrain, les Israéliens étaient en position de force, tandis que Washington avait lancé un pont aérien à destination d’Israël. Alors qu’un cessez-le-feu est instauré le 26 octobre 1973, la diplomatie est en marche, débouchant dès les mois suivants sur les accords de désengagement et la restitution progressive du Sinaï. « Les États-Unis ont saisi l’occasion et complété la démarche de Kissinger (secrétaire d’État américain) visant à mettre les Soviétiques à l’écart au Moyen-Orient, puisque l’Égypte ne pouvait récupérer ses terres qu’avec la médiation de Washington », indique David Makovsky.

Parité stratégique

Côté syrien, les objectifs sont autres. Il ne s’agit pas de pacifier, mais de neutraliser le front avec Israël. Un impératif répondant à une obsession syrienne : le pouvoir ne doit plus être tributaire des autres puissances de la région. Pour positionner son pays au centre du jeu régional, Damas doit rester dans la fermeté avec l’État hébreu et constamment jouer la surenchère avec ce dernier. Si la guerre se solde par sa défaite militaire et son incapacité à récupérer le Golan, Hafez el-Assad ressort politiquement renforcé de cette confrontation. La perception qui domine après 1973 permet au dirigeant syrien de s’ériger en acteur régional de poids – y compris aux yeux d’Henry Kissinger –, un acteur capable de contrôler ses voisins et les Palestiniens. « Kissinger a obtenu les premiers retraits israéliens coordonnés avec la Syrie et l’Égypte. Mais ensuite, Sadate a décidé de faire cavalier seul et de traiter directement avec Israël, violant ainsi l’accord conclu avec Assad », commente Charles Smith, professeur émérite d’histoire du Moyen-Orient à l’Université de l’Arizona. Le 21 octobre 1973 déjà, tandis que son homologue égyptien se dit prêt à accepter un cessez-le-feu sous réserve de plusieurs conditions, parmi lesquelles des discussions politiques, Hafez el-Assad s’y oppose fermement tant que l’État hébreu ne se retire pas des parties du Golan nouvellement occupées au cours des derniers jours. Le dirigeant syrien rejette l’approche d’Anouar el-Sadate s’aventurant sur sa propre voie diplomatique.

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En 1974, un accord de désengagement des forces armées dans le Golan est négocié entre Israël et la Syrie sous la médiation d’Henry Kissinger. La ville de Qouneitra, capitale du gouvernorat éponyme, entièrement rasée après la guerre, est symboliquement reprise par Hafez el-Assad à la suite de cet accord. Ce dernier s’y rend après le désengagement, promettant de reconstruire la ville. Mais cette négociation permet surtout au président syrien de poser l’un des fondements de sa légitimité : établir la « parité stratégique » avec Israël pour le combattre lorsque son armée sera prête, avec l’aide des Soviétiques. Une utopie qui cache son véritable dessein de devenir un partenaire indispensable dans la région et s’ingérer dans les affaires de ses voisins, comme il le fera deux ans plus tard au Liban. De son côté, Anouar el-Sadate signe un traité de paix avec Israël en 1979, dans le sillage des accords de Camp David un an plus tôt, après son voyage hautement controversé en Israël en 1977 – devenant ainsi le premier dirigeant arabe à effectuer une visite officielle dans l’État hébreu. « Sadate affirme que son objectif a été atteint : montrer à Israël que la sécurité réside dans la paix avec ses voisins et non dans le territoire, explique Mark Tessler. Nous savons, d’après les développements ultérieurs, que Sadate était sérieusement intéressé par un accommodement avec Israël. »

« Les vétérans de 1973 »

Au sein de la société israélienne, le traumatisme du 6 octobre reste vif. Surtout après l’éclatante victoire de 1967. Marquant une défiance de la population envers ses élites, les circonstances de la guerre forceront la Première ministre israélienne de l’époque, Golda Meir, et son ministre de la Défense, Moshe Dayan, à démissionner, accusés d’avoir sous-estimé le danger d’une attaque arabe. Dans un pays agité depuis janvier par une crise politique inédite où une partie de la population manifeste sans relâche contre son cabinet, d’aucuns font aujourd’hui le parallèle avec 1967. Certes, le danger imminent était extérieur. Il est aujourd’hui interne. Mais le manque de confiance de centaines de milliers d’Israéliens à l’encontre de leurs dirigeants est le même. Chaque semaine depuis le début de l’année, un groupe d’hommes se ralliant aux mobilisations massives contre la réforme judiciaire menée par le pouvoir – le plus à droite de l’histoire de l’État hébreu – vient le rappeler. Ils sont âgés d’environ soixante-dix ans et se font appeler « les vétérans de 1973 ». Il y a cinquante ans, ils combattaient tous pour sauver leur pays. Aujourd’hui, ils prétendent faire de même : protéger la supposée démocratie israélienne de ses élites corrompues et extrémistes. 

Il est des guerres où la perception importe davantage que la victoire militaire effective. Celle d’octobre 1973 en est un des exemples les plus frappants. Dans les mémoires arabes, la « guerre du Ramadan » ou d’Octobre est une victoire. Celle qui est parvenue à créer la surprise et semer la confusion chez les Israéliens, à mettre en danger l’État ennemi créé 25 ans...

commentaires (3)

Apparemment, les souvenirs sont oubliés et la mémoire transformée. De mémoire, nous avons bien entendu à l'époque que l'Egypte allait attaquer Israel pour des raisons politiques plus que pour des raisons militaires. Même plus, cette attaque serait même convenue avec les USA et Israéliens ( sans doute pas l'endroit? et pas le timing? ) . Donc cette guerre ( pour l'EGYPTE en tout cas) c"était SURTOUT pour la consommation locale et arabe : SADATE ne pouvait pas signer la paix avec Israel , aller à la Knesset sans avoir un minimum de victoire militaire et la tête haute. C'est ce qui s'est passé. Une victoire limitée pour que l'opinion Egyptienne ne soit pas totalement hostile à cette paix à venir surtout après la débandade Egyptienne suite à la guerre des 6 jours. Les soldats Egyptiens ayant fui sans même avoir le temps de porter leurs chaussures et bottes militaires. Pour la Syrie, pour d'autres raisons sans doute mais c'est surtout l'Egypte qui a marqué le coup lors de cette guerre.

LE FRANCOPHONE

18 h 23, le 06 octobre 2023

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Commentaires (3)

  • Apparemment, les souvenirs sont oubliés et la mémoire transformée. De mémoire, nous avons bien entendu à l'époque que l'Egypte allait attaquer Israel pour des raisons politiques plus que pour des raisons militaires. Même plus, cette attaque serait même convenue avec les USA et Israéliens ( sans doute pas l'endroit? et pas le timing? ) . Donc cette guerre ( pour l'EGYPTE en tout cas) c"était SURTOUT pour la consommation locale et arabe : SADATE ne pouvait pas signer la paix avec Israel , aller à la Knesset sans avoir un minimum de victoire militaire et la tête haute. C'est ce qui s'est passé. Une victoire limitée pour que l'opinion Egyptienne ne soit pas totalement hostile à cette paix à venir surtout après la débandade Egyptienne suite à la guerre des 6 jours. Les soldats Egyptiens ayant fui sans même avoir le temps de porter leurs chaussures et bottes militaires. Pour la Syrie, pour d'autres raisons sans doute mais c'est surtout l'Egypte qui a marqué le coup lors de cette guerre.

    LE FRANCOPHONE

    18 h 23, le 06 octobre 2023

  • VICTOIRE AMERICAINEMENT PLANIFIEE POUR RESULTER AUX ABRAHAMS D,AUJOURD,HUI ET AUTRES PROJETS TOUS AU PROFIT D,UN SEUL.

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 44, le 06 octobre 2023

  • L'immortel Amin Maalouf a déjà répondu à cette question. Mais, mais, il y a quarante ans jour pour jour, une "guerre civile", un nettoyage ethnique, la déportation des chrétiens de la Montagne, faisant du Chouf druze un canton avec son chef druze. Il y a quarante ans, la face du Liban a complètement changé, et personne ne risque d'aborder le sujet, par crainte de quoi ? Je me le demande.....................................

    Nabil

    16 h 39, le 06 octobre 2023

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