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Société - Reportage

À Aïn Ebel, « tout a changé » deux mois après la mort d'Élias Hasrouni

Alors que l'enquête patine et qu'Yvette Hasrouni est elle aussi décédée dans un accident de voiture cette semaine, les habitants de ce village chrétien semblent se résigner face au climat d'impunité et aux craintes de marginalisation communautaire.

À Aïn Ebel, « tout a changé » deux mois après la mort d'Élias Hasrouni

« Tu resteras dans nos cœurs cher voisin », peut-on lire sur la banderole installée dans la rue principale du village où aurait été kidnappé Élias Hasrouni. Photo Lyana Alameddine

Depuis l’assassinat présumé de son mari, Élias Hasrouni, le 2 août dernier, la vie d’Yvette s'était retrouvée sens dessus dessous et l’angoisse ne la quittait plus. Lorsqu’on l’avait rencontré à Aïn Ebel, un petit village chrétien d’ordinaire paisible devenu le théâtre d’un crime non résolu, les questions fusaient mais pas les réponses. Pourquoi a-t-on tué son mari, dont les portraits habillaient depuis les murs et les guéridons ? À ses côtés, sa fille Marianne ravalait ses sanglots, persuadée qu’on « ne saura jamais la vérité ». « Tout le monde sait que si une mouche passe par ici, ils sont au courant », lâchait son fils Charbel, en allusion au Hezbollah, qui contrôle cette région du Sud. «Depuis la mort d’Élias, tout le monde ressent de la peur», assurait même la vieille dame.

Cinq jours après cet entretien, le 3 octobre dernier, Yvette Hasrouni est morte sur une petite route du village, après avoir heurté un poteau électrique alors qu’elle se trouvait au volant de sa voiture. « Un accident », « un vrai, cette fois », tonne-t-on de toutes parts, pour dissiper les thèses du complot. « Elle vivait une tragédie et l’enquête (sur la mort de son époux) n’a toujours rien donné. Depuis, elle était dans un état de stress permanent », déclare Charles Jabbour, porte-parole des FL.

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Deux mois après le drame, au village, l’atmosphère pesante ne s’est pas dissipée. Dans les rues quasi vides, les habitants sont sur le qui-vive. D’abord présenté comme un « simple accident de la route », les conditions suspectes du décès de ce cadre des Forces libanaises avaient finalement poussé les autorités à lancer une enquête le 9 août. La semaine suivante, Samir Geagea, chef du parti chrétien, avait dénoncé un « crime prémédité », ainsi que l'implication du Hezbollah.

« Les chiites l’aimaient plus que nous »

Sur la route où Élias Hasrouni aurait été kidnappé – selon les images des caméras de surveillance fournies par la municipalité aux enquêteurs –, une banderole a été installée à sa mémoire : « Tu resteras dans nos cœurs cher voisin ». Le sentiment d’insécurité est partout. « Désormais, nous avons peur que quelqu’un d’autre soit pris pour cible », lâche Fouad*, un menuisier. Faisant partie d’une minorité dans le caza de Bint Jbeil majoritairement chiite, où seuls trois autres villages sont chrétiens, les habitants de Aïn Ebel disent n’avoir jamais ressenti la peur. « Avant, nous ne craignions rien, mais tout a changé», renchérit, le regard grave, Marguerite* une proche du défunt. « Depuis 2000 (année de la libération du sud, NDLR), jusqu’à aujourd’hui, aucun incident de ce genre n'avait eu lieu. La région a toujours été sûre, notamment en raison de la présence du Hezbollah, de l’armée libanaise, et des Nations unies », affirme Imad Lallous, président de la municipalité, qui ne parvient pas à comprendre pourquoi celui qu’on surnommait « al-Hantouche » a été ciblé.

Dans le salon d'Élias Hasrouny, le 29 septembre 2023. Photo Lyana Alameddine

Qui pouvait bien en vouloir à cet homme connu comme le loup blanc dans la région ? Un homme serviable, considéré comme le « père de tous » et visiblement sans problèmes. Cet ancien fonctionnaire qui a travaillé trente ans pour Électricité du Liban, à Bint Jbeil, avait ouvert les portes de sa maison aux résidents des villages voisins lors de la guerre de 2006.  Depuis, il supervisait quotidiennement les affaires du bourg comme l’avancée de la construction d’un immense édifice dédié à la Vierge Marie à l’entrée nord…« Ils s’entendaient bien avec les villages d’à côté, les chiites l’aimaient plus que nous », va jusqu’à dire Samer*, employé dans une station d’essence.

Sans vraiment y croire, ses voisins énoncent toutes les hypothèses possibles quant au mobile supposé du « crime ». Pour son passé ? « Peut-être à cause de son rôle lors de la guerre civile lorsqu’il luttait contre les Palestiniens », suppute Carlos*, un ami. À  chaque jour son lot de rumeurs. La plus saugrenue ? « Que Geagea l'aurait tué, parce qu’il piquait de l’argent dans les caisses du parti ! » s’esclaffe le maire, Imad Lallous, « mais al-Hantouche était très aisé. »

Le Hezbollah « n'oserait jamais pointer ses armes sur les Libanais »

Sa veuve, comme beaucoup au village, compare sa mort aux assassinats de Lokman Slim en février 2021, et de Rafic Hariri en 2005. Mais le fonctionnaire à la retraite n’était pas un intellectuel chiite opposant ni un Premier ministre d’envergure, devenus encombrants pour le parti chiite, accusé d’être derrière ces meurtres. « C’était une “épine dans le pied” du parti pro-iranien», insiste Carlos, en relevant son rôle politique dans la région. Élias Hasrouni avait, depuis peu, cédé sa place de responsable FL dans la région, pour profiter de sa retraite.

La lenteur de l’enquête ravive les soupçons, faisant redouter une interférence politique, comme l’a laissé entendre Samir Geagea le 22 septembre dernier, en affirmant que les autorités avaient informé son parti qu’elles n’étaient « plus en mesure de poursuivre l'enquête… parce qu'elles en sont empêchées » – une information qui avait été démentie à L'OLJ par le ministère de l’Intérieur.

À la sortie du village de Aïn Ebel, dans le caza de Bint Jbeil. Photo Lyana Alameddine

La mort d’Elias Hasrouni s’inscrit dans un climat de ras-le-bol chrétien de plus en plus vif. Dernier exemple en date, l’incident de Kahalé – lorsqu’un camion de munitions du Hezbollah, qui s’est renversé dans la localité, a entraîné des affrontements entre ses miliciens et des résidents le 9 août. Une séquence qui a fait rejaillir les discours appelant au retrait des armes du parti pro-Téhéran, et au fédéralisme alors que le Hezbollah tient à imposer son candidat pour la présidence.

« Au départ j’avais des doutes, mais désormais j’en suis presque persuadée : c’est le Hezbollah qui est derrière tout ça, c’est la seule raison qui explique que le crime n’a toujours pas été résolu», accuse pour sa part Jeannette, une fervente aouniste, qui croyait pourtant jusque-là que le Parti de dieu « n'oserait jamais pointer ses armes sur les Libanais »...

Depuis l’assassinat présumé de son mari, Élias Hasrouni, le 2 août dernier, la vie d’Yvette s'était retrouvée sens dessus dessous et l’angoisse ne la quittait plus. Lorsqu’on l’avait rencontré à Aïn Ebel, un petit village chrétien d’ordinaire paisible devenu le théâtre d’un crime non résolu, les questions fusaient mais pas les réponses. Pourquoi a-t-on tué...

commentaires (2)

Hezbollah wants to terrorize the Christian population to push them to sell their lands on the cheap and leave the area. Hezbollah behaves like an organized crime entreprise.

Mireille Kang

03 h 22, le 06 octobre 2023

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Commentaires (2)

  • Hezbollah wants to terrorize the Christian population to push them to sell their lands on the cheap and leave the area. Hezbollah behaves like an organized crime entreprise.

    Mireille Kang

    03 h 22, le 06 octobre 2023

  • Totalement hors sujet, mais qu’est devenu le camion de munitions du Hezbollah, qui s’est renversé dans la localité de Aïn Ebel ? Surprenant que personne n’en parle plus.

    C…

    19 h 17, le 04 octobre 2023

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