
L'immeuble de la Caisse nationale de sécurité sociale. Photo Mohammad Yassine
Comme la majorité des institutions publiques et entreprises d’État, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a vu ses revenus fondre dans la spirale de la dépréciation de la livre libanaise face au dollar, tandis que la crise, débutée en 2019, se développait.
Le taux de change employé pour le calcul des cotisations sociales sur la base des salaires déclarés reste de 15 000 LL pour un dollar, soit dix fois plus que l’ancienne parité en vigueur avant la crise, mais six fois moins que le taux de change réel, qui sert de référence dans les bureaux de change. De fait, la CNSS se retrouve dans l’incapacité d’assurer les frais médicaux de plus en plus onéreux de ses 1,4 million d’inscrits, selon les chiffres fournis par sa direction.
Dans ce contexte, certaines compagnies d’assurance tentent de se positionner comme une alternative, en proposant des polices d’assurance à des prix moins élevés que la moyenne du marché pour une couverture santé qui inclut le remboursement des frais d'intervention et d’hospitalisation présentée comme comparable à celle de la CNSS.
Appétit variable chez les assureurs
Une promesse qu’assure pouvoir tenir Commercial Insurance ou Comin, dont Roger Zaccar est le directeur général. Depuis plusieurs mois, l'entreprise mène une campagne active pour attirer de nouveaux assurés qui dépendaient presque exclusivement de la CNSS. « C’est le cas de beaucoup de Libanais qui ne pensaient pas avoir besoin d’une assurance santé privée avant que la crise ne fasse s’écrouler l’État », souligne Roger Zaccar.
« Nous avons pu réduire les prix en supprimant les frais de courtage, vu que les assurés peuvent directement acheter puis gérer leur police avec nous via l’application que nous avons mis en place », assure-t-il, soulignant que « si la CNSS ne peut plus remplir sa mission, les assureurs peuvent venir remplir ce vide ». Ce schéma existe d’ailleurs dans certains pays d’Europe, comme en Suisse ou aux Pays-Bas, où les pouvoirs publics confient en effet la gestion de la couverture maladie de base, qui est obligatoire, à des acteurs privés.
L’enthousiasme de Comin est relativisé par d’autres membres de l’Association des compagnies d’assurances du Liban (ACAL). « Il y a des limites à ce qu’un assureur peut proposer pour maintenir son équilibre financier de façon à pouvoir concurrencer voire se substituer à la CNSS », considère Assaad Mirza, patron de Capital Insurance et président de l’ACAL.
« Les premiers exercent une activité lucrative, contrairement à l’institution qui est investie d’une mission de service public et peut se permettre d’être déficitaire. Or la prise en charge des soins de santé implique des coûts qui sont incompressibles pour un assureur privé, à l’heure actuelle, que ce soit au niveau des taxes grevant les frais de santé qu’il couvre (25 % en moyenne du prix d’une police) ou encore la différence considérable qui existe entre les prix des prestations dans les hôpitaux privés et publics » détaille-t-il. Assaad Mirza précise enfin que l’ACAL est en train de discuter avec le ministère de la Santé et certains hôpitaux pour lancer un produit qui assure un niveau de couverture acceptable à des prix abordables. « Mais on reste dans une logique de complémentarité, pas de substitution », précise-t-il.
Limites du néo-libéralisme
L’économiste Albert Dagher, enseignant et auteur du livre Comment une élite prédatrice a détruit le Liban (éditions Le Bord de l'Eau), publié en 2022, va plus loin. « A chaque fois que l’on privatise un service public, on en augmente le prix pour le consommateur sans aucune garantie d’amélioration de service. C’est particulièrement vrai pour les pays en voie de développement », explique-t-il. « Et si un service public intéresse le secteur privé, c’est d’abord parce qu’il peut potentiellement lui faire gagner de l’argent, les autres considérations sont toujours secondaires », défend-il encore.
Dans une perspective plus large, Albert Dagher s’oppose à l’idée qui érige la privatisation des services publics, ou même leur gestion par le secteur privé, comme la seule alternative viable pour un État fonctionnel, qui plus est dans un pays comme le Liban où l’adoption d’une institution aussi universelle que la CNSS a été adoptée dans la douleur (par le président Fouad Chéhab en 1963) pour finalement servir une proportion aussi importante de Libanais. « L’histoire me donne raison, vu que le dogme quasi-divin du néo-libéralisme qui a guidé la destruction des services publics au profit du privé montre aujourd’hui ses limites » conclut-il.
Le point de vue de la CNSS
Enfin sans surprise, le directeur général de la CNSS, Mohammad Karaki, rejette également la perspective de voir l’institution qu’il dirige s’effacer au profit du secteur privé. « Il y a eu des tentatives par le passé, notamment dans les années 2000, mais elles n’ont pas abouti » observe-t-il, avant de poursuivre : « C’est principalement dû au fait que les assurances ont tendance à exclure les personnes à risque, ou à les faire payer plus cher. Un assureur peut être capable de pratiquer des tarifs comparables à ceux de la CNSS pour de jeunes assurés, mais plus ces derniers vont vieillir, plus les montants des primes demandés vont grimper ». Il ajoute qu'il n'est pas possible de comparer la CNSS, dont la mission est d'assurer une couverture médicale à l'ensemble de la population, et les assurances privées.
Mohammad Karaki fait ensuite remarquer que les pays où l’État confie les services de santé au privé le font de manière structurée et non par défaut. « Les pouvoirs publics fixent les règles, définissent le panier de soins et encadrent les prix des polices, et la concurrence se joue sur la qualité de service. On est loin de pouvoir garantir les mêmes conditions au Liban aujourd’hui » souligne-t-il. Le directeur de la CNSS estime que l’institution peut redevenir opérationnelle avec un budget de 20 000 à 22 000 milliards de livres par an (entre 220 et 245 millions de dollars au taux de change de 90 000 livres pour un dollar, soit le niveau moyen du marché depuis plusieurs mois). « Ces derniers temps nous avons multiplié par 20 les prix des remboursement de consultations, qui sont fixées à 12 dollars. Il y a du mieux même si cela ne couvre pas encore totalement les prix du marché. Pour les médicaments génériques, les montants ont été multipliés par 15, et par 12 pour les médicaments de marque », enchaîne-t-il. Et de conclure : « les assurances pourront compléter les services de la CNSS mais pas la remplacer. »
Comme la majorité des institutions publiques et entreprises d’État, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a vu ses revenus fondre dans la spirale de la dépréciation de la livre libanaise face au dollar, tandis que la crise, débutée en 2019, se développait.Le taux de change employé pour le calcul des cotisations sociales sur la base des salaires déclarés reste de 15 000 LL...
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The NSSF should be strengthened, the vacancies of its committee filled, and its money restituted in full at its value in 2019. The activities of the NSSF should be upgraded to an e-government model. Going forward, all funds paid to NSSF by contributors should be invested by an independent board into a diversified portfolio to grow the fund. NSSF should no longer be mandated to lend its funds to the government through the treasury bonds. A restructuring the NSSF is needed, as stated above, not by outsourcing it to privated insurances that will increase fees to pay for management by private entities. However, privatization of the management could be considered at a reasonable fee to upgrade and modernize its activities and improve efficiency.
Mireille Kang
19 h 56, le 20 septembre 2023