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Culture - Cimaises

Les grandes heures de la collection Farid Trad

C’est tout autant une dispersion de collection qu’un hommage à un bâtisseur, un ministre et un ami des artistes libanais des années cinquante et soixante, qui se tient jusqu’au 23 septembre à la galerie Saleh Barakat*. Une ultime exposition des toiles qui ont embelli la vie de cet homme d’État libanais cultivé, esthète et mécène…

Les grandes heures de la collection Farid Trad

Une vue de l'exposition « Farid Trad Collector and Art Patron » à la galerie Saleh Barakat. DR

À peine poussé le lourd battant vitré du grand espace Saleh Barakat à Clemenceau, vous entrez dans une bulle temporelle aux antipodes de la période actuelle. À la manière d’un sas de décompression, la lumineuse salle du rez-de-chaussée, aux murs restés nus et blancs, vous sort immédiatement de l’agressivité, du chaos et de la moiteur de la rue beyrouthine pour vous mener avec douceur vers la belle collection de toiles de Farid Trad présentée dans l’immense salle du sous-sol. Là, les dizaines d’œuvres qui s’offrent au regard vous transportent immédiatement dans un autre Liban. Celui des élégantes et constructives années 1940-1950 et 1960 qui ont vu l’émergence de toute une génération d’artistes libanais passés aujourd’hui à la postérité, mais aussi celle des premiers grands architectes qui ont signé certains des bâtiments emblématiques de l’entrée dans la modernité de la ville de Beyrouth.

Farid Trad. DR

L’un des premiers architectes-urbanistes

Farid Trad était l’un d’entre eux. Il en était même l’un des pionniers. Diplômé de l’École centrale de Paris en 1926, cet architecte-urbaniste – né sous l’Empire ottoman et décédé en 1969 – a laissé son empreinte dans le paysage urbain libanais à travers d’importantes constructions privées et des édifices publics éminemment reconnaissables, à l’instar du palais de l’Unesco érigé en 1947 ou du Palais de justice en 1969…

Bâtisseur éclairé – et farouche opposant au plan Écochard –, il fut l’un des cofondateurs de l’ALBA en 1943 (avec Alexis Boutros et Joseph Naggear), l’un des cofondateurs et président de l’ordre des architectes et ingénieurs du Liban, mais également le président du Conseil exécutif des grands projets et le ministre des Travaux publics en 1956 sous le mandat du président Chamoun. Des responsabilités étatiques et professionnelles qu’il conjuguait avec son goût affirmé pour l’art et la culture. En témoignent, « outre son impressionnante bibliothèque de véritable érudit comptant plus de 6 000 ouvrages, les 80 pièces tirées de sa collection de toiles et sculptures présentées dans cette exposition* en préambule à leur dispersion », indique le galeriste Saleh Barakat.

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Une collection d’œuvres d’artistes essentiellement libanais que Farid Trad a commencé à constituer au cours de la première moitié des années 1940 et qu’il a continué à développer jusqu’à sa mort en 1969. Une collection qui a traversé le temps et les années de guerre pour nous parvenir de manière assez exceptionnelle dans son intégralité, signale Barakat, dévoilant qu’elle est restée durant des décennies entreposée dans un local à Jounié, mis sous scellés pour cause de démêlés de son propriétaire avec la justice. Et ce n’est que très récemment que les héritiers du collectionneur ont enfin pu la récupérer dans son jus.


Portraits et paysages de la collection Farid Trad. Photo DR

Une certaine persistance

« Sa démarche n’était pas celle d’un riche collectionneur avide d'accroître ses possessions, mais celle d’un véritable esthète et mécène qui a toujours pleinement soutenu les artistes qu’il appréciait », signale le galeriste. À l’instar d’Élie Kanaan qu’il a accompagné depuis ses premières œuvres figuratives jusqu’à sa plongée dans l’abstraction ; et dont un important ensemble d’huiles sur toile, de différentes thématiques et périodes (paysages, marines, bouquets et abstractions), occupent à elles seules tout un pan de l’exposition sobrement intitulée « Farid Trad Collector and Art Patron ».

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Une persistance que l’on retrouve également dans une autre série de toiles, des portraits cette fois, signées (Haroutiun) Galentz, un peintre arménien qui a vécu au Liban entre 1922 et 1946, et qui avait remporté un prix à l’Exposition universelle de 1939 à New York pour le bas-relief qu’il avait réalisé au sein du pavillon du Liban. Mais aussi dans les sculptures de Youssef Hoyeck dont les pièces en plâtre, pierre et bronze ponctuent cet accrochage.

Des « Noces » dans son salon

Idem pour les œuvres choisies du grand Paul Guiragossian, dont une très grande huile sur masonite (160 x2 42 cm), représentant une scène de Noces, constitue le clou de cet accrochage. « Cette pièce, véritablement muséale, avait été réalisée par Paul dans la période précédant son mariage avec sa femme Juliette. Farid Trad, qui la lui avait achetée, surtout pour l’aider à s’installer, a eu beaucoup de mal à convaincre son épouse de l’accrocher chez eux. Il finira par avoir gain de cause, et cette peinture deviendra le point de mire de leur salon où elle restera accrochée jusqu’au décès de Mme Trad en 2006 », raconte Saleh Barakat. Lequel a eu la bonne idée de présenter cette pièce rare datant de 1958 dans une scénographie reconstituant partiellement ce salon aux meubles dessinés par l’architecte collectionneur lui-même.

Une reconstitution du salon du collectionneur autour de la grande œuvre de Guiragossian. DR

Outre la réelle beauté des œuvres réunies dans cette collection, cette exposition offre aux visiteurs, à travers une plongée dans l’art des années 1940 à fin 1960, l’occasion de (re)découvrir certains talentueux artistes tombés dans l’oubli, à l’instar de Barkev Djiboghlian, Assem Stétié, Michel el-Mir et George Paul Coury, « un peintre alépin qui a aussi été l’un des fondateurs de l’ALBA », indique le galeriste-curateur. Ou encore de rarissimes pépites chez certains autres, comme ces huiles sur masonite de Guvder, qui fut surtout connu pour sa maîtrise du fusain.

De véritables œuvres choisies formant un ensemble cohérent et de toute beauté, à voir donc avant leur dispersion.


*« Farid Trad Collector and Art Patron » à la galerie Saleh Barakat, rue Justinien, secteur Clemenceau, jusqu’au 23 septembre.

À peine poussé le lourd battant vitré du grand espace Saleh Barakat à Clemenceau, vous entrez dans une bulle temporelle aux antipodes de la période actuelle. À la manière d’un sas de décompression, la lumineuse salle du rez-de-chaussée, aux murs restés nus et blancs, vous sort immédiatement de l’agressivité, du chaos et de la moiteur de la rue beyrouthine pour vous...

commentaires (3)

Peut-on espérer de voir exposé un jour, un choix de quelques rares ouvrages tirés de la bibliothèque de Monsieur Trad, un esthète, amoureux de l'art, de la peinture et des livres , mais disparu trop jeune !

MELKI Raymond

10 h 01, le 15 septembre 2023

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Commentaires (3)

  • Peut-on espérer de voir exposé un jour, un choix de quelques rares ouvrages tirés de la bibliothèque de Monsieur Trad, un esthète, amoureux de l'art, de la peinture et des livres , mais disparu trop jeune !

    MELKI Raymond

    10 h 01, le 15 septembre 2023

  • Quelle belle initiative et quel merveilleux article écrit avec un style élégant et professionnel. Félicitations à la journaliste talentueuse

    Lecteur excédé par la censure

    07 h 02, le 15 septembre 2023

  • CONFONDATEUR DE L'ALBA AVEC ALEXIS BOUTROS ( ET NON PAS FOUAD BOUTROS )

    Ramzi Salman

    01 h 30, le 15 septembre 2023

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