Rechercher
Rechercher

Culture - Opéra

Sous le signe du mythe, trois œuvres de Zad Moultaka au Festival Berlioz

Dirigé depuis 2010 par le musicologue Bruno Messina, le Festival Berlioz consacré à la musique symphonique se tient depuis 1994 au mois d’août, à la Côte-Saint-André. Cette petite ville de l’Isère qui a vu naître Berlioz accueillait pour « Mythique ! », l’édition 2023 de son festival, le musicien et plasticien libanais Zad Moultaka avec une première mondiale de son opéra « Hercule, dernier acte », sur un livret de Bruno Messina.

Sous le signe du mythe, trois œuvres de Zad Moultaka au Festival Berlioz

Tableau de l'opéra « Hercule, dernier acte », sous la direction de Roland Hayrabedian (à gauche). Photo Festival Berlioz.

Avion, train, voiture, quand on n’est pas familier de la Côte-Saint-André, le voyage se mérite et c’est tout le miracle du concept de festival, événement saisonnier capable de drainer du monde entier des foules passionnées vers des lieux confidentiels ou inattendus. Berlioz est à cet égard un pionnier, inventeur de la notion-même de festival et créateur du plus ancien festival de musique au monde. C’est après lui que Wagner crée le sien à Bayreuth : « Dès 1830, Hector Berlioz imagine déjà ces grandes rencontres autour de la musique, dans ce même lieu de son enfance, qui s’achèvent avec un banquet », explique Bruno Messina. Le directeur du Festival Berlioz, qui dirige également un festival Messiaen dans la même région, rappelle que « les plus grands compositeurs de l’histoire de la musique occidentale ont un lien avec le département de l’Isère, sa beauté, le Vercors, les lacs de montagne, la plaine, la ville romaine de Vienne, les vins célèbres ». « On est dans une carte postale de la France, la ruralité, les paysages, la dimension humaine, les rencontres possibles, le chant des oiseaux, la place de la nature », rappelle avec ferveur cet auteur d’une attachante biographie de Berlioz publiée chez Actes Sud en 2018. « Berlioz est né ici. Sa famille a vécu ici, son père était le médecin du village, un original qui a introduit l’acupuncture en France. Le jeune Hector est destiné à des études de médecine pour lesquelles il est envoyé à Paris. Cependant, à un très jeune âge, il est obsédé par les sons et la musique sans y avoir vraiment accès. Son premier instrument est une flûte de berger et, à part une guitare que lui offrent ses parents à la fin de l’enfance, c’est tout ce qu’il a à sa portée. A défaut, son instrument à lui sera littéralement l’orchestre, un orchestre qu’il rêve grandiose, irrigué par les sonorités de son enfance rurale, le son des cloches, les bruits des animaux et des machines agraires, le souffle du vent. À Paris, il découvre l’opéra ; il écrit une messe solennelle alors même qu’il n’est pas entré au conservatoire », détaille Messina.

Zad Moultaka au vernissage de l'exposition « Reliquien » à la médiathèque de la Côte-Saint-André. Photo Festival Berlioz

La musique expressionniste et descriptive de Berlioz, à la fois nationale au sens romantique du terme et universelle, puisque c’est à l’étranger, notamment en Europe et au Royaume-Uni qu’elle est le mieux comprise encore aujourd’hui (Bruno Messina est toujours ému de la fidélité des membres très britanniques de la Berlioz Society au festival de la Côte-Saint-André), cette musique audacieuse, avant-gardiste pour son époque, ne pouvait que préparer le terrain à toutes les innovations futures.

Sortir Hercule de sa grotte

Le thème du mythe, ou plutôt l’intitulé « Mythique ! » plus vaste encore, de l’édition 2023 du festival, ne pouvait qu’ouvrir la voie à de nouvelles explorations sonores, dont l’opéra Hercule, dernier acte, de Zad Moulataka. Tout commence quand Roland Hayrabedian, chef d’orchestre et fondateur de l’ensemble Musicatreize, songeant sans doute à un projet d’opéra inabouti de Berlioz sur le même thème, propose à Moultaka la création d’un opéra sur Hercule, mythe dans lequel il voit un miroir de nos problématiques actuelles (la pollution, le réchauffement climatique, la dégradation de la Terre). Au départ, il offrait à Zad Moultaka de composer quelque chose sur l’un des douze travaux d’Hercule, mais ce dernier choisit les douze. C’est Bruno Messina lui-même qui est pressenti pour écrire le livret. « Nous avons eu beaucoup de discussions et d’échanges, ensuite Bruno s’est mis au travail jusqu’au jour où il m’a envoyé le texte. Quand je l’ai reçu j’étais dans le bonheur, le fond, la forme,le rythme tout y était », confie le compositeur doublé d’un créateur visuel. « J’ai alors construit la scénographie et la mise en scène avant de m’attaquer à l’écriture musicale. J’ai suggéré à Bruno un tableau supplémentaire pour des raisons de tensions musicales, ce qu’il a fait avec le poignant tableau XI. » Le compositeur libanais a sans doute croisé Messina lors de leurs années communes au Conservatoire de Paris. « Avec Bruno ça a été comme si on se retrouvait après 25 ans d’absence ! » résume-t-il.

Le chœur de l'ensemble Musicatreize entoure le maestro Roland Hayrabedian (au centre). À l'extrême droite, Zad Moultaka et Bruno Messina. Photo Festival Berlioz

Cette belle synergie se matérialise donc avec Hercule, dernier acte, un opéra fascinant, lancinant, donné à la chapelle de la Fondation des apprentis d’Auteuil de la Côte-Saint-André, dont l’abbé Pierre fut l’aumônier en 1942. Ce lieu d’accueil et d’apprentissage est aujourd’hui un refuge pour de jeunes migrants qui ont franchi la frontière française en traversant les Alpes. Au fond de la chapelle, un écran et six chanteurs. Un paysage qui se dessèche graduellement sert de toile de fond. Un coryphée, appelé « le guide » est sollicité par le chœur pour sortir Hercule de sa grotte. « Il ne reviendra pas », dit le guide. « Il le faut ! » réclame le chœur. Aussitôt se profile le fantasme du super-héros ou l’attente du retour d’un sauveur, propre à plusieurs religions. Dans la trame complexe du mythe grec, Héraclès, fils de Zeus et d’une mortelle, Alcmène, est poursuivi par la haine et la jalousie d’Héra, l’épouse légitime du dieu des dieux. Mi-dieu mi-homme, (ce que Bruno Messina interprète en mouvement « de bas en haut, de haut en bas »), il fait preuve dès le berceau d’une force extraordinaire. Héra le pousse à la folie, lui fait assassiner sa femme et ses fils. Pour se racheter de ce crime, la Pythie lui conseille d’exécuter, en se mettant au service de son ennemi Eurysthée, des tâches surhumaines. Mais quelle est l’utilité de ces travaux ? Peut-on se demander.

« Crier avec les Amazones/Femme Vie... »

« Hercule, dernier acte, est comme un long poème dialogué, avec quelques personnages classiques, archétypes du genre, qui se répondent souvent rapidement, quasiment sans ponctuation ni didascalie, sans forme ni décor imposé, pour laisser à la musique le choix du rythme, du temps, des silences, des images peut-être. Il avance d’un trait, mais il faut le laisser respirer », commente Bruno Messina. Dès les premiers accents, à travers l’énigmatique va-et-vient des protagonistes entre le vaste paysage projeté à l’écran et leur présence physique sur scène, l’obscurité de la grotte représentée par un écran noir et le suspense autour de cet Hercule confiné, presque boudeur, tout prend le spectateur à la gorge. L’urgence contenue dans les voix semble venir du fond des temps pour résonner au présent. Une enfant réclame « des histoires qui espèrent et nous tiennent debout ». Mais le chœur veut du concret : « Revoir le lynx et le gorille / Nager avec les esturgeons / Laver l’eau / Regonfler la couche d’ozone / Peindre au milieu des papillons / Crier avec les Amazones/Femme Vie/ Liberté Égalité Fraternité/ Droits du sol / Droits de l’homme et des animaux / Droits du sous-sol / Droits du ciel / Droits de vie sous le soleil. » « Ce sont des références qui renvoient à nos angoisses, à l’actualité, à des combats que l’on connaît », explique Messina. Ces incantations, ces suppliques entre colère et désespoir finissent par faire réapparaître le silencieux Hercule. Mais la voix de ce dernier, une glaçante voix de synthèse, porte à comprendre qu’Hercule n’est qu’une coquille vide. Les héros ne peuvent rien pour nous. Les héros n’existent pas. C’est chacun, en soi-même, qui doit trouver le héros qu’il espère. Que l’on demande à Moultaka si c’est par hasard que la première d'Hercule ait été donnée aux Ateliers d'Auteuil qui hébergent de jeunes migrants, il répond : « On peut dire le hasard et on peut dire l’intuition , Bruno est un homme incroyablement intuitif, il tisse des liens entre les choses et les êtres. »

La chapelle de la Fondation des apprentis d'Auteuil lors de la première de l'opéra de Zad Moultaka, « Hercule, dernier acte ». Photo Festival Berlioz


« Puiser là où l’homme avait une relation puissante au sacré »

En marge de cet opéra présenté pour la première fois à la Côte-Saint-André avant de prendre le large, Zad Moultaka présentait deux autres œuvres dans le cadre du festival. Au Couvent des Carmes, à Beauvoir-en-Royans, on pouvait contempler Sisyphe, volet d’une trilogie dont le premier acte, Déluge, est visible au musée d’art moderne de Beyrouth. Il s’agit d’une précipitation d’une quinzaine de milliers d’images prises d’internet, projetées en un mouvement ascendant puis descendant puis croisé, rappelant le calvaire de Sisyphe avec un regard vers l’explosion de Beyrouth et l’éternel recommencement libanais, sur une musique électroacoustique où se mêlent les voix des solistes de Musicatreize.

À la médiathèque de La Côte Saint-André se donnait également à voir, en partenariat avec la galerie Tanit, l’exposition « Reliquien », sur le thème de l’art pariétal. Moultaka explique que cette installation où des instruments de musique imaginaires qu’il a lui-même dessinés et moulés, ainsi que les gravures de tentatives de portées musicales leur correspondant résulte de « l’envahissement mystérieux » qu’il a ressenti en 2017, lors de sa descente dans la grotte Chauvet. Existe-t-il un lien entre ces œuvres ? « Le mot qui ferait le lien entre toutes les œuvres pourrait être l’archaïsme ou le primitivisme dans le beau sens de ces termes, dans le sens où ils cherchent à puiser dans des énergies anciennes, premières, aux époques où l’homme avait une relation puissante au mystère et au sacré », suggère Moultaka.

Vue de l'exposition « Reliquien » de Zad Moultaka à la médiathèque de la Côte-Saint-André. Photo Festival Berlioz


Le Festival Berlioz qui s’est tenu du 20 août au 3 septembre accueillait dans sa riche programmation un hommage à l’Ukraine et une rare interprétation des Troyens de Berlioz, symphonie en cinq actes et autant d’heures donnée en deux fois sous la direction de John Eliott Gardiner. Géant, à la fois éclectique et populaire avec ses fanfares et ses rencontres informelles, ouvert aux musiques du monde, il serait merveilleux de le faire voyager.

Avion, train, voiture, quand on n’est pas familier de la Côte-Saint-André, le voyage se mérite et c’est tout le miracle du concept de festival, événement saisonnier capable de drainer du monde entier des foules passionnées vers des lieux confidentiels ou inattendus. Berlioz est à cet égard un pionnier, inventeur de la notion-même de festival et créateur du plus ancien...

commentaires (1)

Bravo ZAD, je suis triplement fier de toi, pour l'ensemble de ton oeuvre, libanais tu es, genie tu es, et le fait de te connaitre depuis ton enfance je fais le déplacement pour admirer ton oeuvre

Élie Aoun

08 h 31, le 11 septembre 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Bravo ZAD, je suis triplement fier de toi, pour l'ensemble de ton oeuvre, libanais tu es, genie tu es, et le fait de te connaitre depuis ton enfance je fais le déplacement pour admirer ton oeuvre

    Élie Aoun

    08 h 31, le 11 septembre 2023

Retour en haut