La tâche s’avère de plus en plus ardue pour Abdallah Bou Habib. Dans les coulisses des Nations unies à New York, c’est un véritable bras de fer dans lequel le Liban officiel, pressé par le Hezbollah et représenté par le chef de la diplomatie, est engagé à quelques jours du renouvellement du mandat des Casques bleus opérant à la frontière sud. Dans un premier temps, la mission du ministre sortant Bou Habib consistait à mener des négociations – en appelant à l’aide la Russie et la Chine – en vue de rayer l’article 16 de la résolution 2650 par laquelle le mandat de la Force intérimaire des Nations unes (Finul) a été prorogé jusqu’au 31 août 2023. Introduit l’année dernière sous l’impulsion des puissances occidentales, ce paragraphe accorde la permission à la force onusienne de mener sa mission « sans autorisation préalable » et de « manière indépendante » de l’armée libanaise. Actuellement, l’enjeu dépasse cet article, puisqu’il serait question de placer le mandat de la Finul sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies. Ce chapitre crée le cadre dans lequel le Conseil de sécurité peut prendre des mesures coercitives et recourir à des mesures militaires « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».
L’information a été fuitée par Abdallah Bou Habib lui-même. Dans une déclaration publiée vendredi tard dans la soirée, le ministre sortant des Affaires étrangères a souligné le rejet du Liban d’une formule circulant dans les coulisses onusiennes pour transférer le mandat de la Finul du chapitre VI au chapitre VII. Et de noter que le premier appelle à « résoudre les conflits par des moyens pacifiques », tandis que le second « appelle à imposer la résolution 1701 (qui avait mis fin à la guerre qui avait opposé le Hezbollah à Israël en juillet 2006) par la force ». Il a également exprimé le refus du Liban du projet proposé, car il ne fait pas référence à la nécessité de coordonner les opérations de la Finul avec l’armée libanaise, tenant à souligner que le renouvellement du mandat des Casques bleus se fait chaque année à la demande du gouvernement libanais. Il a dans le même temps insisté sur l’importance que le Liban attache à la liberté de mouvement de la force onusienne et à sa sécurité, dans le respect de la souveraineté libanaise.
Réagissant à la position de M. Bou Habib, le député Achraf Rifi a estimé que celui-ci « joue le rôle du ministre des Affaires étrangères du Hezbollah, et non du Liban », ajoutant que l’intérêt de l’État réside dans la coopération avec la Finul pour garantir la mise en œuvre de la résolution 1701 « sans les obstacles qui lui sont imposés depuis 2006 jusqu’à aujourd’hui ».
« Déclaration de guerre »
Pour sa part, Israël exerce une énorme pression pour élargir les prérogatives de la Finul. À cet effet, les Israéliens, soutenus par Washington, cherchent à agir sur plusieurs fronts, dont l’imposition de sanctions américaines au Hezbollah, comme récemment sur l’ONG Green Without Borders. De plus, ils mettent l’accent sur le maintien par le Hezbollah de deux tentes aux abords de la localité frontalière de Kfarchouba en insinuant que des éléments et des combattants du parti chiite y sont retranchés. Enfin, ils rappellent les multiples incidents entre le Hezbollah et la Finul, dont le dernier et le plus grave a impliqué (en décembre dernier) une patrouille irlandaise et entraîné la mort d’un de ses membres. L’enjeu est crucial pour l’État hébreu qui se concentre sur l’extraction de pétrole et de gaz, tandis que le Liban a entamé la phase de forage et de prospection.
Parallèlement aux pressions israéliennes, Washington, qui assure la présidence du Conseil de sécurité pour le mois d’août, adopte un ton ferme. Lors de sa réunion avec M. Bou Habib, la représentante des États-Unis aux Nations unies, l’ambassadrice Linda Thomas-Greenfield, s’est dit « en faveur d’une résolution robuste du Conseil de sécurité pour prolonger la mission temporaire des Nations unies au Liban afin qu’elle puisse accomplir ses devoirs indépendamment des forces armées libanaises ».
Si, cette fois-ci, la proposition de passer le mandat de la Finul sous le chapitre VII de l’ONU est sérieusement évoquée et trouve un appui international, elle serait considérée d’une manière ou d’une autre comme une « déclaration de guerre », ce chapitre autorisant l’utilisation de la force pour imposer la stabilité et lutter contre le transfert d’armes. Cette option serait, de toute évidence, également inacceptable pour le Hezbollah, qui l’a déjà rejetée en 2006. Et Abdallah Bou Habib sait tout cela. Certes, l’idée aurait pu été évoquée dans les coulisses, comme chaque année au moment du renouvellement du mandat des Casques bleus. Mais alors que la stabilité dans la région devient un besoin vital (notamment pour des raisons liées à l’extraction du pétrole et du gaz), il est improbable que la communauté internationale franchisse ce cap. Alors, pourquoi (et pour qui) Abdallah Bou Habib a-t-il envoyé ce message alarmiste ? Revenons à la principale mission du ministre sortant : celle de rayer l’article 16 de la résolution onusienne. Une mission vouée à l’échec vu la fermeté de la communauté internationale. Et vu que même Moscou et Pékin n’avaient pas empêché cet amendement l’année dernière. Ces deux pays « amis » du Hezbollah peuvent en contrepartie apposer leur veto au passage au chapitre VII, et le chef de la diplomatie libanaise présenter cela comme une victoire pour le Liban. Le prix étant que l’article 16 reste intact...
commentaires (10)
Oh le beau lapsus révélateur : « tant que Israël occupe une toute petite portion du Hezbollah, cette dernière a tout lieu d’exiger de conserver ses armes ». Le Liban assimilé au Hezbollah !! On ne peut pas être plus explicite. Bienvenu au troll !!
JB El catalán
18 h 54, le 28 août 2023