Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

De la Grande Famine au port de Beyrouth, le devoir de mémoire de Ralph Hage

« Les Libanais ne veulent pas se souvenir », reproche l’artiste qui estime que « l’oubli est un mécanisme de défense au succès limité ». 

De la Grande Famine au port de Beyrouth, le devoir de mémoire de Ralph Hage

L’artiste Ralph Hage posant devant une de ses créations à Beit Beirut, à Sodeco. Photo Zeina Antonios

Quelle attitude adopter face à la Grande Famine qui a frappé les habitants du Mont-Liban pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918) et décimé près de la moitié des habitants ? Que penser de la guerre civile libanaise (1975-1990) ou encore de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020 ? Pourquoi le pays est-il constamment en proie à des événements historiques dévastateurs ?

À travers sa dernière exposition, « Chronique de trois guerres », Ralph Hage dissèque le Liban par le biais de ces trois événements qui ont directement marqué sa propre famille et dénonce la primauté de la « tribu » qui a, selon lui, alimenté la plupart des conflits dans le pays.

Ses créations, qui mêlent textes, collages et autoportraits fragmentés, sont exposées au fameux Beit Beirut, ancien repaire de francs-tireurs de la guerre civile transformé en musée, le lieu idéal pour aborder la problématique des conflits et de la mémoire. À travers ses créations, Ralph Hage se livre à toutes sortes d’expérimentations artistiques, notamment dans sa fameuse Nef des fous, un grand collage qui rassemble sur une embarcation à la dérive plusieurs figures bien connues du grand public.

L’idée de cette exposition a germé dans l’esprit de l’artiste au lendemain du drame du port, lorsqu’en inspectant son appartement beyrouthin dévasté, il remarque que les objets qui s’y trouvent lui permettent de se greffer sur d’autres pans de l’histoire du Liban, dont le point commun est celui de l’attachement à la tribu ou à la communauté d’origine. 


« La nef des fous », collage de Ralph Hage à Beit Beirut. Photo DR

La tribu, une arme à double tranchant

Ce constat, il l’a effectué au lendemain du 4 août 2020, en observant les dégâts dans la salle à manger familiale. « La table de la salle à manger symbolise la solidarité qui nous a permis de survivre pendant la guerre civile, mais cette même solidarité a renforcé l’aspect tribal qui a engendré la guerre en premier lieu », commente-t-il.

Une sculpture effectuée lorsqu’il avait 19 ans, en pleine guerre civile, mais inachevée a été épargnée par le drame du port. Cet « autoportrait mélancolique », comme il se plaît à le décrire, peut être perçu comme le précurseur de ses réflexions à venir, quelques décennies plus tard.

La Première Guerre mondiale, elle, est représentée par certains objets ayant appartenu à ses grands-parents et qui trônent toujours dans l’appartement familial. « La Première Guerre et la Grande Famine revenaient souvent dans les conversations de ma grand-mère Régina, mais il y avait chez elle une sorte de pudeur quand elle en parlait. On ne voulait pas voir les choses en face, comprendre qu’une partie de l’élite libanaise y était pour quelque chose, et non seulement l’Empire ottoman... » raconte Ralph Hage. 

« Les Libanais ne veulent pas se souvenir », reproche l’artiste qui estime que « l’oubli est un mécanisme de défense au succès limité ». 

« La Grande Famine est presque un génocide, mais on n’en parle pas. Durant la guerre civile, nous avons commis des atrocités les uns vis-à-vis des autres, mais nous refusons de regarder ces massacres en face. Quant aux explosions au port, je ne pense pas qu’elles étaient préméditées, mais elles sont le fruit de l’incompétence. Face à tout cela, on préfère rester silencieux », analyse-t-il. 

Pour l’artiste, une chose est sûre, « l’histoire et la vérité sont mises au service de la tribu au Liban ». « L’histoire peut être distordue pour préserver son identité », prévient-il, tout en mettant en garde contre une version unique de l’histoire. « Les sociétés qui adoptent un seul narratif historique sont en général totalitaires, staliniennes ou fascistes... Nous avons besoin d’une méthodologie unifiée et scientifique pour comprendre l’histoire, en partant du respect de la vérité », explique-t-il.

Ralph Hage va encore plus loin dans son analyse et évoque « l’influence du stalinisme au Liban à travers le fondamentalisme religieux », une tendance qui se fait de plus en plus une place dernièrement au Liban. « Nous sommes en présence d’un totalitarisme moderne. La culture est en danger au Liban », alerte-t-il.


* L’exposition se poursuit jusqu’au 31 août 2023, à Beit Beirut, à Sodeco.

Quelle attitude adopter face à la Grande Famine qui a frappé les habitants du Mont-Liban pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918) et décimé près de la moitié des habitants ? Que penser de la guerre civile libanaise (1975-1990) ou encore de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020 ? Pourquoi le pays est-il constamment en proie à des événements...

commentaires (1)

Quel dommage, je vais rater cet expo de peu...pour une fois qu'un artiste traite du point névralgique, de l'impensé libanais central, le déni de mémoire, l'absence d'analyses rétrospectives collectives, la non remise en question des "élites", des atavismes tribalo-confessionnels...

IBN KHALDOUN

11 h 35, le 26 août 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Quel dommage, je vais rater cet expo de peu...pour une fois qu'un artiste traite du point névralgique, de l'impensé libanais central, le déni de mémoire, l'absence d'analyses rétrospectives collectives, la non remise en question des "élites", des atavismes tribalo-confessionnels...

    IBN KHALDOUN

    11 h 35, le 26 août 2023

Retour en haut