Une attaque contre tout le Liban

Chère abonnée, cher abonné,

Il a découvert la chose le lendemain matin, entre la troisième gorgée de café et la première bouffée de cigarette.

« Ça m’a collé la nausée. »

« La cigarette ? »

« Non, cette histoire d’attaque contre le bar, à Mar Mikhaël, où se déroulait un spectacle de drag queens. L’attaque par les Jnoud el-Rab, ces soi-disant soldats de dieu. »

Un jour, alors que Beyrouth baignait dans l’obscurité, il s’était dit que ces mecs un peu costauds, déployés à certains croisements d’Achrafieh, pourraient protéger le quartier « au cas où ». « Oui, ils ont l’air complétement crétins. Mais bon, tu le vois bien, la situation se tend chaque jour un peu plus. Donc si ça déborde, ils défendront le quartier ces types, même si on ne les aime pas », avait-il dit. Il ne semblait pas totalement convaincu par ses propres arguments, mais en enfant de la guerre, il avait l’habitude de tout mesurer à l’aune du pire.

« Oui, je sais ce que j’ai dit un jour », a-t-il reconnu cette semaine, après l’attaque contre le bar Om. « Je me rends compte, aujourd’hui, que j’avais tout faux. Des ‘soldats’ qui s’attaquent à ceux qui appartiennent aux communautés les plus fragiles dans ce pays sans droits, sont des lâches. En cas de problème, de vrai problème, ils seront les premiers à fuir. »

Il a de nouveau tiré sur sa cigarette.

« Et puis je pense à mon petit cousin. Il aurait pu être dans ce bar. Tu te rends compte... En 2023, au Liban, mon petit cousin pourrait se faire tabasser par ces idiots juste pour ce qu’il est. Comment en sommes-nous arrivés là ? ».

Nous en sommes arrivés là parce que l’État libanais est plus inexistant que jamais. Quant à la justice… Le 4 août a enterré les dernières illusions.

Dans les failles de ces effondrements lents et continus se multiplient les discours rétrogrades, virulents, clivants, sectaires et nauséabonds. Dans les failles de l’effondrement pullulent les groupes qui se placent au-dessus des lois. Et en arrière-plan, il y a des citoyens, plus que jamais livrés à eux-mêmes.

Il ne faut pas se tromper. L’attaque de Mar Mikhaël n’est pas seulement une attaque contre une communauté. La communauté LGBT, en l’occurrence. Elle incarne une attaque contre le Liban tout entier. Contre un Liban ouvert, éclairé, divers et multiple.

Cette attaque est une attaque contre nous tous. Demain, un groupe d’excités désœuvrés ira tout casser pour une jupe un peu courte, un trait d’humour dans un club de stand-up, un regard de travers…

Voilà pourquoi tous ceux qui croient encore en un certain Liban doivent se sentir concernés par l’attaque de Mar Mikhaël.

Émilie Sueur