(Suite aux affrontements ayant eu lieu à Aïn el-Heloué dans la soirée du jeudi 7 septembre 2023, nous vous proposons la relecture de ce reportage réalisé le 22 août dans ce même camp palestinien.)
Ils sont deux à inspecter les passants de la tête aux pieds sous un soleil de plomb. Ces soldats de l’armée libanaise contrôlent les papiers d’identité à l’entrée de Aïn el-Heloué, le plus grand des douze camps palestiniens que compte le pays. Rares sont ceux qui s’aventurent ces temps-ci dans « la capitale des éparpillés », clôturée de toutes parts, qui a accueilli les différentes vagues de réfugiés palestiniens qui se sont succédées au fil des ans, où les médias sont en principe interdits d’accès par l’armée.
Si le camp de Aïn el-Héloué a toujours été le théâtre de fusillades et d’affrontements – personnels ou entre diverses factions palestiniennes –, depuis les combats meurtriers du 29 juillet dernier opposant le Fateh à des groupes islamistes parmi les plus radicaux, chaque seconde qui s’écoule peut faire valser une trêve on ne peut plus fragile.
Youssef Zariï, un responsable médias du Fateh, débarque tout sourire sur son scooter en chemise et pantalon de costume : à l’instar des autres camps au Liban, le parti est la clef permettant d’entrer au cœur de la zone. Youssef fait office de guide, indiquant ce que le parti palestinien peut ou veut bien montrer. Une fois passé le point de contrôle, le jeune homme se transforme. Il ne traîne plus des pieds et n’a de cesse de regarder par-dessus son épaule en traversant la route principale de Baraksat, l’un des quartiers au cœur des récents combats qui ont duré cinq jours. Dans ces ruelles aux murs tapissés de portraits de Yasser Arafat, figure historique de l’Organisation de libération de la Palestine, et de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, on avance, on vit avec une arme posée sur la tempe.
Postée sur un champ dégagé, complètement défigurée avec ses façades percées, cette école gérée par l’Unrwa (Office des Nations unies pour le secours aux réfugiés palestiniens) est aujourd’hui occupée par des groupes islamistes armés. « C’est Jund el-Cham. Même s’ils changent toujours d’appellation, ce sont les mêmes qui nous ciblent depuis vingt ans », accuse Maher Chabayta, un général du Fateh, depuis son QG où responsables et partisans sont à cran. « L’objectif était de semer la zizanie et redistribuer les cartes dans le camp », assure-t-il. Mais à qui profite le crime ? Nombre d’analystes ont vu dans cette séquence affaiblissant le mouvement une nouvelle manifestation de l’influence iranienne – dans le sillage de la réconciliation post-guerre syrienne entre le Hezbollah et le Hamas. Mais pour Maher Chabayta, l’ennemi n’a pas changé : « En réalité, ces mercenaires sont en train d’appliquer le projet israélien qui vise à affaiblir les camps, et pas seulement au Liban. » Il ne le dira pas, fierté ou langue de bois oblige, mais le terrain parle pour lui-même : les derniers affrontements ont sérieusement ébranlé le Fateh.
En pleine matinée, le souk, d’ordinaire surpeuplé, est vide. Seules quelques âmes osent s’aventurer dans les parages. Des combattants, pour la plupart, armés jusqu’aux dents et postés devant des échoppes au rideau de fer baissé. Le ciel est bas et on entendrait presque battre le cœur des rares passants. Mohammad, propriétaire d’une boulangerie, a décidé de rouvrir ses portes. Mais « personne n’ose venir, je ne fais pas plus de 500 000 livres par jour », déplore-t-il. Après avoir fui les lieux quelque temps, ce boulanger a dû y revenir par nécessité, mais sa famille et lui vivent depuis avec la peur au ventre. « Ce camp ne nous appartient plus : il est aux mains des terroristes », conclut-il. Près de lui, une hajjé perd son calme. La septuagénaire est juste de passage pour apporter des plats cuisinés à ses fils. « Je ne veux plus rester ici… Pour quoi faire ? Au prochain affrontement, il ne restera plus personne », déplore-t-elle.
Deux garçonnets jouent dans les ruelles où des fils électriques pendouillent. Un homme marche péniblement en s’appuyant sur les murs des immeubles. « Mais rentre chez toi », lui lance Fatima*, la soixantaine. Le jeune homme ne parvient pas à parler. « Il a été blessé à la tête lors des affrontements », raconte cette femme, l’air attristé. Fatima est restée fidèle à Aïn el-Heloué, sa « seconde nation », où elle est née et qu’elle n’a jamais quitté, même au plus fort de la guerre civile. Mais le camp de 300 000 m², établi en 1948 et où quelque 80 000 Palestiniens résident, n’est plus le même à ses yeux depuis que les islamistes s’y sont installés. Si certains d’entre eux étaient présents depuis longtemps, comme Osbat el-Nour et Fateh el-Islam, c’est au milieu des années 2010 que la présence islamiste prend un véritable essor dans le camp, avec l’arrivée de factions ayant fait leurs armes en Syrie. « Ils pensent comme les Israéliens, ils veulent en finir avec nous ! » lâche Fatima avant d’arriver chez la femme d’un « martyr » pour présenter ses condoléances.
Vendetta
De Faten, toute vêtue de noir, on n’aperçoit que le cou et le visage au teint de porcelaine. « Depuis l’arrivée des islamistes, chaque famille a perdu quelqu’un », déplore-t-elle. Dans son salon, son bébé de six mois dort sur un transat. Sa fille Elham, 8 ans, reste près d’elle. Son autre fils de 6 ans est sorti jouer avec un copain. Leur père, Tarek Khalaf, est mort le 30 juillet lors d’une embuscade visant Abou Achraf el-Armouchi. Ce chef de la sécurité dans le camp, affilié au Fateh, a été tué, ainsi que ses quatre gardes du corps, dont Tarek. Une tuerie en représailles au meurtre, la veille, d’un responsable d’un groupe islamiste, en réaction à l’assassinat, le 1er mars, d’un jeune du Fateh. Une vendetta sans fin ? Depuis, la jeune veuve ne décolère pas et attend que justice soit rendue. « Je me calmerai une fois que je verrai ses assassins découpés en morceaux », s’emporte-t-elle. Faten n’a pas quitté le camp depuis la mort de son amour de jeunesse, épousé en 2011. « J’ai déjà perdu ce que j’avais de plus cher… À quoi bon partir ? » dit-elle en éclatant en sanglots. Sa fille, posée près d’elle, tente de retenir ses larmes. Son petit bébé se réveille et parvient à arracher à sa mère et à sa sœur un sourire.
Sur le chemin du retour, un homme, sur le ton de l’humour, lance à Fatima, qui rit nerveusement en retour : « Ils vont vous tirer dessus ! » Dans les rues menant au quartier Boustani, des combattants du Fateh sont sur le qui-vive. Les murs tout autour sont criblés de balles. Tout comme l’école gérée par l’Unrwa, occupée depuis les affrontements par des combattants islamistes. Sept autres écoles sont aujourd’hui sous la coupe de « groupes armés », selon l’organisation onusienne, sans préciser lesquels. « Ça peut éclater à n’importe quel moment », signale Youssef Zariï. À travers un creux dans un mur, provoqué par les combats, on peut apercevoir les quatre voitures calcinées d’Abou Achraf et de ses gardes du corps. « N’y mets pas ta main pour prendre une photo, ils peuvent te la couper », lance Youssef, en riant à moitié.
Un peu plus loin, devant l’entrée d’un immeuble, trois hommes passent le temps autour d’un narguilé. « Ils perforent les murs », explique Ahmad, qui réside dans le bâtiment familial qui fait face à l’école occupée. « Ces terroristes n’arrêtent pas de nous provoquer et de nous insulter », poursuit-il. Chez ses parents, des dizaines de douilles ou de balles parsèment le carrelage. La porcelaine, les meubles et les fenêtres ont volé en éclats. Un mur a été éventré par un obus. À cause de la crise économique, ils n’ont plus les moyens de reconstruire. Et sa famille ne peut plus revenir, comme les quelque 350 déplacés suite aux combats. Depuis, Ahmad, qui vit maintenant chez sa tante, ne dort plus de la nuit. « Il faut rester vigilant. Avant, ils (les islamistes) vivaient à une dizaine de mètres, maintenant, à peine deux nous séparent. » Sa mère, qui est revenue le temps d’une journée pour constater les dégâts, est toujours sous le choc quinze jours plus tard. Alors qu’elle entame le récit de sa fuite, elle est coupée. Le tapage dans l’école commence à s’intensifier. Les combattants du Fateh font des va-et-vient fébriles dans la pièce. Ils s’observent d’un air grave, chuchotent entre eux et répondent à leurs talkies-walkies. Les visages des jeunes hommes, assis sur un canapé, se décomposent. « Il faut partir… Ils sont sur le toit », lance l’un d’entre eux.
commentaires (12)
Mais Ain el-Heloué n'appartient plus au Liban surtout!
Marionet
11 h 28, le 08 septembre 2023